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AVIGNON
09/10/05
© Opéra d'Avignon
LE NEGRE DES LUMIERES

Opéra en deux actes
Livret d'Alain Guédé
Musique du Chevalier de Saint-George

Direction musicale : Bertrand CERVERA
Direction des choeurs : Stephano VISCONTI 
Etudes musicales : Stéphane PETITJEAN 

Mise en scène : Nadine DUFFAUT
Assistanat à la mise en scène : Irène FRIDRICI
Chorégraphie : Eric BELAUD
Scénographie : Emmanuelle FAVRE
Costumes : Katia DUFLOT
Lumières : Marc DELAMEZIERE

Louise : Christine RIGAUD
Sophie Arnould : Catherine DUNE
La Reine Marie-Antoinette : Sophie FOURNIER

Le Chevalier de Saint-George : Loïc FELIX
Bertrand CERVERA
Hugo MBENG
Le Duc d'Orléans : Didier HENRY
Lamothe : Rodolphe BRIAND
Un Quidam : Serge MIONE
La Commedia dell'arte : Eugénie ANDRIN - Valérie YVARS
Anthony BEIGNARD - Alexis TRAISSAC

ORCHESTRE LYRIQUE DE REGION AVIGNON-PROVENCE

Choeurs de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse
Ballet de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse

Avignon, 9 octobre 2005

Assurément la personnalité du Chevalier de Saint George méritait d'être connue et c'est avec plaisir que nous avions lu la biographie consacrée par Alain Guédé à ce Protée du XVIII°siècle, violoniste exceptionnel, escrimeur de première force, chef d'orchestre émérite avant la lettre et Don Juan impénitent. Fallait-il en tirer un opéra ? En a-t-on tiré un opéra ?

A la deuxième question, on serait tenté de répondre par la négative ; c'est par un abus de langage que cette suite d'airs et de récitatifs entre lesquels un intervenant joue la voix "off" est appelée ainsi. Et des abonnés du dimanche après-midi, qui ne se piquent pas de purisme, le disaient tout haut.

A la première, on pourrait dire : pourquoi pas ? Le personnage a un relief si singulier qu'il a de quoi tenter un librettiste. Ce musicien n'était pas seulement instrumentiste mais aussi compositeur , de symphonies, de quatuors et même d'opéras, six, desquels il n'en subsiste qu'un. Le problème est que dans son enthousiasme pour celui qui fut l'objet de son étude, Alain Guédé veut nous persuader que le compositeur était l'égal des plus grands de son siècle.

Il a donc imaginé de nous faire entendre un assemblage de cette musique sur un livret rédigé par ses soins, en vers (de mirlitons) et mettant en scène Saint-George dans ses oeuvres, violoniste, chef d'orchestre et compositeur , une jeune aristocrate sincèrement éprise de lui, une séductrice bafouée en la personne de l'influente cantatrice Sophie Arnould, une souveraine mélomane divisée entre caprice et souci de sa réputation, un admirateur également musicien, Lamothe, ami des bons et des mauvais jours, un grand seigneur éclairé car franc-maçon - le futur Philippe-Egalité - et le raciste de base pour qui un nègre est un mal blanchi.


© Opéra d'Avignon

Première difficulté : l'oeuvre est censée se dérouler sur une vingtaine d'années. Quels moments choisir ? Au premier acte, Marie-Antoinette paraît au Théâtre des Italiens où Saint-George dirige sa musique. Elle le félicite et le convoque pour le lendemain, au dépit de Sophie Arnould dont les avances ont été repoussées par le musicien, sous l'oeil inquiet de Louise, la jeune aristocrate, qui est éprise de ce dernier. Puis dans les jardins du Palais-Royal une scène où le Duc d'Orléans et Saint-George sont les oracles d'une vertu fondée sur la liberté et où Louise, Sophie et Lamothe chantent en trio qu' "être bien c'est faire le bien" ; mais Louise redoute que prendre le bonheur pour loi soit trahir le Roi et le Duc met en garde le musicien contre l'inconstance des faveurs de la Reine. Chez celle-ci, Saint-George apprend qu'elle a décidé de le nommer Directeur de l'Opéra Royal - preuve irréfutable selon M .Guédé que son héros était du rang d'un Lulli ou d'un Rameau - mais lorsque la jalouse Sophie Arnould évoque les commérages relatifs à une liaison entre la souveraine et le musicien, cette dernière décide en trois vers d'annuler la nomination. Voilà toute l'action pendant ces soixante-quinze minutes où se succèdent, sur des morceaux de musique de Saint-George, des choeurs à sa gloire, des airs exprimant les sentiments des deux amoureuses , des interventions d'un Arlequin faisant fonction de récitant , et des danses.

Au deuxième acte Lamothe invite Saint-George à s'étourdir dans les plaisirs, en vain. Le Duc d'Orléans célèbre -  sans la nommer -  la franc-maçonnerie porteuse de liberté, d'égalité et de fraternité ; il est témoin du duo d'amour où Saint-George semble céder à Louise, mais ils restent divisés : "entre eux il y a le Roi, il ne veut pas aimer le Roi." A la scène suivante Lamothe évoque les événements survenus : le Duc d'Orléans est mort, Saint-George, qui a levé un régiment d'Antillais pour sauver la République, se retrouve emprisonné et attend d'être jugé, ce qui lui donne l'occasion de revoir Marie-Antoinette et de montrer sa compassion, sa magnanimité. Des années plus tard, Louise et Sophie, réconciliées par le temps pacificateur, retrouvent par hasard Lamothe et Saint-George qui ont survécu à la tourmente révolutionnaire. A l'amour individuel que Louise lui offre il répond qu'il a une mission universelle de fraternité. Elle s'apprête à monter en montgolfière pour l'impressionner quand il lui révèle qu'il va mourir et il quitte le théâtre tandis qu'elle s'élève dans la nacelle. Arlequin a le mot de la fin : "Nègre des Lumières je te nomme Car si tu es mon frère tu fus surtout un homme." avant qu'un adagio tiré d'un quatuor n'accompagne le fondu au noir et le baisser du rideau.


© Opéra d'Avignon

Qui a dit que l'enfer est pavé de bonnes intentions ? Non seulement il n'y a dans cette succession aucune des scènes fortes qui émeuvent, soulèvent, emportent, mais ce qui est supposé atteindre la sensibilité - je veux dire la musique - présente durant plus de deux heures l'image de compositions d'une monotonie de style où seuls quelques éclairs font penser à des sérénades de Mozart, un air de Grétry, ou de Gluck, sans que jamais une personnalité puissante et originale se dégage nettement des stéréotypes sonores conventionnels de la musique de salon des années 1770-1780. Quelqu'un du métier parlait, à l'entracte, d'"inanité sonore".

Dommage donc d'avoir mobilisé tant d'énergies et de talents pour cette cause. Si la musique du Chevalier de Saint-George est à ce point géniale, pourquoi ne pas avoir monté l'opéra rescapé ? Parce que le livret serait indigent ? Sans vouloir offenser quiconque, ce qui passe sur le papier quand on le résume ne passe pas au spectacle. Des personnages historiques attachants en tant qu'êtres humains ne font pas forcément de bons héros de théâtre. Car là aussi le bât blesse : dramatiquement, cela ne marche pas.

Pourtant la réalisation visuelle est réussie : éléments de décor évocateurs , beaux costumes XVIII°, accessoires de style, lumières particulièrement soignées, chorégraphie et danses évocatrices , exploitation de l'espace optimisée ... Sans doute pourrait-on s'interroger sur le choix de placer l'orchestre -  une formation réduite de 24 musiciens en costume d'époque - sur la scène ; si, visuellement, la répartition en deux groupes disposés sur une estrade en arc de cercle est flatteuse et permet ainsi un passage central pour les personnages principaux en même temps qu'elle facilite le changement d'interprète, puisque le Chevalier de Saint-George est tour à tour le chef d'orchestre Bertrand Cervera, en tant que tel et en tant que violoniste , le ténor Loïc Félix d'origine antillaise et le danseur Hugo Mbeng dont le nom évoque l'Afrique, cette division nuit quelque peu à l'homogénéité sonore. Cette réserve disparaît en partie au second acte, où l'orchestre, toujours en scène, est rassemblé dans une disposition en oblique. Fausse bonne idée aussi la décision d'installer les choristes, au début de l'acte un, dans les loges d'avant-scène encadrant le plateau ; on voit bien qu'il s'agit de reconstituer le coin du Roi et le coin de la Reine, et soieries, aigrettes, bijoux, lumières, composent un tableau très suggestif, mais pour les auditeurs c'est une catastrophe car le résultat sonore est une bouillie confuse. Les choses s'arrangent dès que les choristes reprennent place en scène. A ces remarques près, Nadine Duffaut a tiré le meilleur parti des situations qui lui étaient proposées, car son travail ici relevait de la gageure.

Sur le plan de l'interprétation, une mention spéciale évidemment à Bertrand Cervera qui a fait valoir son talent d'instrumentiste et qui a su insuffler à la formation sous sa direction précision, moelleux, homogénéité , et des applaudissements à Brigitte Tramier au clavecin et à Odile Bruckert à la flûte. Tous les chanteurs ont fait de leur mieux pour donner vie à ces personnages qui manquaient tellement d'épaisseur dramatique. Loïc Felix est généreux et même nuancé , Didier Henry et Rodolphe Briand jouent qui le sage, qui le viveur avec conviction. Leurs consoeurs sont mieux servies en airs de bravoure, Louise pour l'effusion lyrique, Sophie pour la fureur, la Reine pour la plainte. Si les aigus des unes et des autres, lancés à pleine voix, nous ont semblé parfois stridents, leur engagement est sans restriction et dramatiquement elles s'efforcent elles aussi de faire vivre leurs rôles autant que possible , parvenant par instant à créer l'illusion. Le danseur Hugo Mbeng a tenté d'exprimer les tourments intérieurs de Saint-George avec intensité et noblesse et le ballet du théâtre a animé efficacement les intermèdes dansés.

Annoncée à grand renfort de publicité, cette entreprise n'a pas attiré les foules et si une jauge honorable a été obtenue c'est peut-être à force d'invitations dont la liste, ce dimanche, nous a paru fort longue. N'ayant pas apporté la preuve indéniable de la grandeur du compositeur, en ces temps difficiles en général pour les budgets publics, était-elle prioritaire, voire nécessaire ?
 
 

Maurice SALLES
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