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MONTREAL
17/09/05

Hasmik Papian (Norma)
© Opéra de Montréal
NORMA

Opéra de Vincenzo BELLINI
Livret de Felice Romani

Orchestre Métropolitain du Grand Montréal
Direction musicale : Bernard Labadie

Mise en scène : Stephen Pickover
Décors et Costumes  : John Conklin (Metropolitan Opera)
Éclairages : Luc Prairie
Chef des choeurs : Jean-Marie Zeitouni

Oroveso : Daniel Borowski
Pollione : Antonio Nagore
Flavio : Thomas Macleay
Norma : Hasmik Papian
Adalgisa : Kate Aldrich
Clotilde : Beverly McArthur

Place des Arts, Salle Wilfrid Pelletier
Montréal, 17 septembre 2005


 
En confiant Norma au génie dramatique de Giuditta Pasta, créatrice d'Amina (La Sonnambula), Bellini pouvait-il imaginer que seule une poignée de très grandes interprètes pourraient rendre justice à cette partie aussi exigeante sur le plan vocal que complexe quant à la caractérisation? Elle fut probablement la plus célèbre cantatrice de son époque et elle a marqué de son empreinte d'autres rôles de compositeurs italiens, entre autres : Romeo (Giulietta e Romeo) de Zingarelli, Medea in Corinto de Mayr, Desdemona (Otello) et Tancredi de Rossini, Anna Bolena et Bianca (Ugo di Parigi) de Donizetti. À part elle, Maria Malibran, Giulia Grisi, Lili Lehmann, Rosa Ponselle, Maria Callas et autre Joan Sutherland comptent certainement parmi celles dont la postérité retiendra les noms.

Hasmik Papian n'arrive pas aux mêmes sommets, mais il faut admettre qu'elle compte actuellement parmi les rares sopranos qui peuvent honorablement revêtir le manteau de la grande prêtresse. En versant dans une forme aussi diaphane tout ce que son génie possède d'élévation et de grandeur tragique, Bellini atteint la cime de son art. Il convient donc que la titulaire du rôle éponyme soit consciente de la mission qui l'attend. La cantatrice arménienne l'accomplit avec le plus grand soin et certainement beaucoup mieux que lors de sa prestation aux Chorégies d'Orange en 1998 alors qu'elle ne contrôlait pas complètement le legato indispensable à la maîtrise du cantabile spianato bellinien. De plus, au deuxième acte, elle n'arrivait pas toujours à respecter la mesure, en particulier dans son duo avec Pollione.

Ici, son contrôle vocal fait merveille et elle touche au sublime dans Casta Diva. Dès l'instant où ce chant s'exhale de l'orchestre et qu'elle le reprend avec assurance et volupté, on sent monter dans la salle une irrésistible émotion que seuls procurent les grands moments. Lorsqu'elle termine sa cavatine par de douces messe di voce, le public, d'abord stupéfait, éclate en applaudissements nourris et lui fait un triomphe mérité.

Tout au long de la soirée, Madame Papian se laisse porter par la beauté de la ligne mélodique, mais aussi par un solide instinct dramatique. Ainsi dans le trio du premier acte, elle sait contenir sa fureur tout en la rendant très incisive tandis que sa rage à l'endroit de Pollione dans le In mia man demeure mesurée, sans jamais perdre sa superbe et sa musicalité. C'est encore elle, l'artiste, qui conduit littéralement le final de l'opéra, ce long et majestueux crescendo qui commence par la plus émouvante des cantilènes, Deh! Non volerli vittime, et qui nous amène au bord des larmes sur le fortissimo de Ah piu non chiedo. Elle y est souveraine de musicalité et de splendeur vocale.


Hasmik Papian (Norma)  Antonio Nagore (Pollione) Fin de líacte II
© Opéra de Montréal

Kate Aldrich incarne une Adalgisa stylée, vocalement et dramatiquement en phase avec sa partenaire. Son ravissant mezzo-soprano aux riches accents passe sans difficulté l'épreuve des vocalises dont Bellini a parsemé ce rôle. On admire sans réserve les couleurs claires de son timbre, qui restent homogènes sur tout l'ambitus du rôle. Dès qu'elle entonne ses duos avec Norma, elle affiche avec la grande prêtresse une belle complémentarité. Un splendide Oh, rimembranza ! et surtout un Mira, o Norma à fendre l'âme ont de nouveau soulevé l'enthousiasme. Une irréprochable justesse de ton et un engagement en adéquation à son rôle signalent de remarquables qualités au plan dramatique.

Du côté masculin, les prestations ne sont pas du même niveau. En Oroveso Daniel Borowski projette une jolie voix qui manque pourtant de profondeur. Scéniquement son engagement n'est pas dépourvu de relief, mais disons qu'il ne possède pas dans l'intonation l'autorité qui le rendrait crédible comme père de Norma. La voix puissante d'Antonio Nagore ne suffit pas à en faire un Pollione acceptable. Dès qu'il se met à chanter on se demande s'il va pouvoir terminer la soirée tant on redoute que la voix ne se brise. Un manque flagrant de nuances, des aigus forcés dans la cavatine Mecco all'altar et dans la cabalette qui suit Me protegge, me difende font craindre le pire. Et rien ne s'arrange dans son duo avec Adalgisa au premier acte, non plus que dans celui avec Norma au second. Heureusement cela ne compromet pas l'abattage de ses partenaires. Le ténor Thomas Macleay (Flavio) et la mezzo-soprano Beverly McArthur (Clotilde) de l'Atelier Lyrique de l'Opéra de Montréal s'acquittent bien de leur partie.


Hasmik Papian (Norma)  Antonio Nagore (Pollione)  Kate Aldrich (Adalgisa)
© Opéra de Montréal

Si le succès de Norma dépend principalement des chanteurs, l'aspect théâtral ne saurait être négligé. De ce côté, la réussite de cette production est indéniable.

Admirablement servi par une scénographie fonctionnelle, le metteur en scène dirige les chanteurs de manière à ne pas surcharger l'action. Les mouvements des artistes et des choeurs sont d'une grande sobriété. Les décors sont à la fois très beaux et très simples. En fond de scène une toile sur laquelle se promènent les mouvements et les couleurs de la lune qui va du quartier à la pleine, de la couleur argentée lorsque Norma apparaît, au noir dans les moments sombres, au rouge vif lors de sa marche vers le bûcher avec Pollione. Parmi les accessoires, un autel sur lequel une branche de forte taille figurant Irminsul est déposée uniquement pour la durée du Casta Diva et de Ah! bello a me ritorna. Ici deux pans de mur en ruines et un feuillage projeté sur écran, là quelques bancs et un semblant de lit. Ailleurs quelques jeux pour les enfants de Norma plus occupés à s'amuser qu'à prendre part aux soucis de leur mère. Ainsi est soustraite subtilement aux yeux du spectateur la scène attendrissante où la prêtresse les étreint.

Les Choeurs de l'Opéra de Montréal (OdM) sont lumineux de bout en bout. Quelle admirable attention ils apportent aux moindres nuances de la partition! L'émotion nous gagne au final de l'opéra lorsque ces choeurs splendides se parent d'une souriante "vocalité" pour ensuite s'abîmer dans un rugissement de fureur.

Pour la première fois depuis son entrée à la direction artistique de l'OdM, Bernard Labadie aborde avec ferveur le romantisme italien. Sa lecture transparente et très personnelle de l'oeuvre appuie efficacement le travail des chanteurs. Les libertés de certains tempi, loin de briser l'harmonie de l'ensemble, enrichissent au contraire le discours musical. Les sonorités amples, chaleureuses et pleines de poésie témoignent des possibilités particulières d'un orchestre qui ne cesse de s'améliorer au fil des ans. Nous sommes loin de ces rythmes plats et languissants qui, lors de certaines interprétations, gomment parfois l'intensité dramatique de la partition. L'Orchestre Métropolitain du Grand Montréal se distingue de plus en plus comme l'ensemble instrumental attitré de l'OdM. Ce n'est pas sans raison qu'on lui trouve aujourd'hui autant d'affinité avec le répertoire lyrique dans lequel il impose sa marque.
 
 

Réal BOUCHER
Note

(1) Décors et costumes en location du Metropolitan Opera.

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