C O N C E R T S 
 
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PARIS
12/09/02, 21/05/03 & 07/07/03
LE NOZZE DI FIGARO

Opera buffa de Wolfgang Amadeus MOZART

Livret de Lorenzo da Ponte
d'après Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

Conte Almaviva : Bo Skovhus / Dimitri Hvorostovsky / Gerald Finley
Figaro : Ildebrando d'Arcangelo / Gerald Finley / James Rutherford
Bartolo : Reinhard Dorn (x3)
Don Basilio : Robert Tear / David Cangelosi (x2)
Cherubino : Ruxandra Donose / Joyce Di Donato (x2)
Antonio : Michel Trempont (x3)
Don Curzio : François Piolino / Rodolphe Briand (x2)
La Comtesse : Brigitte Hahn (x3)
Susanna : Isabel Bayrakdarian / Patrizia Ciofi (x2)
Marcellina : Della Jones (x3)
Barbarina : Laura Giordano (x3)

Direction : Stéphane Denève

Mise en scène : Giorgio Strehler
Réalisation : Humbert Camerlo
Décors costumes : Ezio Frigerio
Chorégraphie : Jean Guizerix

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris 

Paris, Opéra-Bastille,
les 12 septembre 2002, 21 mai et 7 juillet 2003


3 MARIAGES ET 1 ENTERREMENT
 

Créée au Théâtre Gabriel de Versailles le 30 mars 1973 pour deux soirées, et immédiatement reprise au Palais Garnier dès le 7 avril pour 55 représentations supplémentaires jusqu'au 14 juillet 1980, la production de Giorgio Strehler inaugurait de façon magistrale "l'ère Liebermann" et elle en est restée l'un des symboles.

Durant ces sept années, elle servit d'écrin à quelques uns des plus grands chanteurs mozartiens de l'époque (ne citer que les meilleurs prendrait déjà trop de place dans cette chronique).

A nouveau reprise sous les mandats mouvementés de Bernard Lefort ou Alain Lombard (1) en mars 83, mais en l'absence de son créateur, la production ne dégageait plus beaucoup de magie : pourtant Margaret Price et José van Dam étaient encore au sommet de leur art, transcendant une direction d'orchestre routinière (l'Opéra de Paris attend encore aujourd'hui une constellation de chefs comme il en connut sous Liebermann).

Dans un louable souci de populariser le bijou de Strelher, mais aussi dans le vain espoir de donner au nouvel Opéra-Bastille le lustre de son rival Garnier en spéculant sur le prestige des années Liebermann, la production était adaptée pour la nouvelle salle.

Perdue dans l'immense vaisseau et sous des éclairages inadaptés à l'ampleur des lieux, costumes et décors paraissaient bien fades (ne parlons pas de la mise en scène, qui n'existait que comme décalcomanie de l'original) : elle vit se succéder des distributions plutôt médiocres, la tentative de retrouver un paradis perdu culminant avec l'édition de juin 92, dans laquelle Margaret Price et Tom Krause n'étaient plus que les fantômes de leur gloire passée.

Finalement remises à neuf, les Nozze revécurent néanmoins pour quelques saisons plus heureuses : des couleurs plus vives, des éclairages violents compensant la taille de la salle et un travail de direction exécuté par des assistants de premier plan ; ce n'était plus les Nozze de Strelher, mais il s'agissait généralement de spectacles de répertoire de grande qualité.

L'Opéra de Paris nous proposait pour le 20ème anniversaire de sa création une ultime série de dix-huit représentations (un peu moins après les grèves...) : après sa 155ème, le spectacle connaîtra donc enfin un "enterrement" bien mérité.

Cette série voyait alterner trois distributions.

En Comte Almaviva, alternent trois barytons ; le troisième devait être Peter Mattei, mais celui-ci, souffrant, devra laisser place à Ludovic Tézier pour les deux premières représentations, Gerald Finley (interprète de Don Giovanni le soir précédent et de Figaro dans l'édition d'avril), et enfin, William Shimmel pour la dernière soirée.

Des trois, Bo Skovhus est certainement le plus original : rejetant la caractérisation classique du noble autoritaire et hautain, Skovhus campe un personnage de barbon proche du Bartolo de Rossini.L'exploit est d'autant plus notable, qu'avec son physique de jeune premier, Skovhus aurait pu camper sans effort un séducteur sûr de son emprise sur Suzanna. Enfin, vocalement, même si le timbre n'est pas exceptionnel, Skovhus est un Comte remarquablement chantant.

On ne peut en dire autant de Dimitri Hvorostovsky qui déçoit un peu : un vibrato affecte la voix, le timbre paraît parfois usé et le personnage des plus conventionnels; manque de préparation, de motivation à moins qu'il ne s'agisse d'une fatigue passagère, l'artiste aura bien plus impressionné lors de la saison russe du Châtelet que ce soir-ci.

Enfin, Gerald Finley est un Comte très à l'aise, bien chantant et ne semblant nullement troublé par ce remplacement impromptu.

Ildebrando d'Arcangelo est de loin le Figaro le plus attachant : charme, gouaille, ajoutez à cela un timbre qui a gagné en épaisseur et un physique de séducteur, ce garçon se confirme comme l'un des interprètes les plus intéressants de sa génération (2) .

Gerald Finley est également un très bon Figaro : on regrettera seulement que son timbre manque de personnalité.

James Rutherford est, quant à lui, très différent : avec ses allures d'Oliver Hardy (moins d'embonpoint, mais des mimiques qui rappellent cet acteur jovial), son Figaro n'est pas franchement un séducteur, mais son abattage et son aisance rachètent un timbre un peu quelconque.

Pour en finir avec la distribution masculine, on citera l'inusable Michel Trempont (déjà Antonio à la création versaillaise), Robert Tear et David Cangelosi (un nom à suivre), excellents en Don Basilio, et Reinhard Dorn, Bartolo d'un bon niveau.

Le tableau féminin est un peu plus contrasté.

De l'avis général, Brigitte Hahn chante un beau "Dove Sono" : c'est une façon polie de dire que le reste ne vaut pas grand chose. "Porgi amor" laisse voir un timbre sec, un peu rêche, les interventions dans les ensembles sont très discrètes, les aigus précautionneux : si l'air du IIIème acte est bien applaudi, c'est davantage par contraste ! Certes la reprise piano (mais pas pianissimo) est bien exécutée mais cherche (et trouve) l'effet : franchement pas de quoi délirer.
Enfin, la tenue de scène de cette Comtesse voûtée et lymphatique, n'évoque en rien la Rosine de Beaumarchais.

Par son interprétation "générique", Ruxandra Donose, au timbre également un peu rude, ne m'a pas convaincu en Cherubin. Joyce Di Donato, au contraire, confirme tout le bien que l'on doit penser de cette artiste: abattage, séduction du timbre, chant impeccable, c'est un des espoirs de la nouvelle génération.

Patrizia Ciofi est une Suzanna très agréable (3) : bon jeu, beau chant, mais je préfère à son timbre un rien acide, celui plus crémeux d'Isabel Bayrakdarian, qui plus est dotée d'un legato impeccable.

En ce qui concerne Della Jones, on ne peut espérer qu'une chose : c'est qu'elle disparaisse avec la production ; avec tout le respect qu'on doit à cette grands artiste, il y a quand même des limites à la dégradation vocale tolérable sur une scène internationale (on en vient à regretter la coupure de son air !).

J'avoue qu'au soir du 12 septembre, j'ai totalement été emballé par la direction fine, riche en contrastes et très théâtrale de Stéphane Denève. Effets d'accélération ou de décélération, de reprises piano, ornementation des points d'orgue (suivant les moyens des chanteurs), contribuent à une exécution très roborative de cette partition "trop connue". Nous verrons à l'occasion de la reprise de Peter Grimes la saison prochaine si ce chef confirme nos espoirs.
 
 
 

Placido Carrerotti

(1) . En cette période digne de "Règlements de comptes à OK Corral", difficile d'attribuer clairement la paternité de la reprise à l'un des deux responsables successifs.

(2) . Etonnamment, la voix passe même mieux la rampe qu'au Théâtre des Champs Elysées dans la récente Cenerentola : de quoi redonner vie à la rumeur d'une acoustique artificielle à Bastille...

(3) . Au risque de ma fâcher avec ses nombreux fans, je dirais qu'à l'aune des Freni, Popp, Stratas et autres Cotrubas de l'époque Liebermann, Ciofi est pour moi davantage une Barberina qu'une Suzanna.

(4) . A la deuxième représentation, l'orchestre m'a paru plus confus depuis le second balcon ; de retour aux premiers rangs de parterre pour ma troisième soirée, mon impression première se trouvait confirmée, même si l'orchestre m'a semblé plus négligent (on le comprend un peu) qu'en septembre. C'est dire si une critique objective est difficile dans une telle salle.

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