C O N C E R T S 
 
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BRUXELLES
Palais des Beaux-Arts

22/12/01

 
Symphonie de Psaumes
et
Oedipus rex

Igor Stravinsky

Koninklijk Concertgebouworkest 
Groot Omroepkoor
Riccardo Chailly, Direction

Waltraud Meier, Mezzo
Juha Uusitalo, Baryton-Basse
Robert Dean Smith, Ténor
Jan Hendrik Rootering, Basse


 
 
 
 

ORACULA, ORACULAAAAA !!

En 1930, quand l'orchestre symphonique de Boston commande une grande oeuvre pour choeur et orchestre à Stravinsky, celui-ci, dans une phase de questionnement théologique intense, saisit l'occasion de composer une messe. Élevé dans la plus pure tradition orthodoxe, Stravinsky pense d'abord adopter des textes de la liturgie slavonne, mais soucieux d'une certaine forme d'impartialité, il finit par opter pour le latin, langue relativement neutre dans le christianisme. La Symphonie de psaumes est composée de trois mouvements : Exaudi orationem meam, Expectans expectavi dominum et Laudate Dominum. Afin de tourner complètement le dos au mouvement romantique, Stravinsky élimine de son oeuvre les instruments significatifs de ce mouvement : violons, altos et clarinettes. La partition se repose donc sur un jeu de cordes singulièrement sombre et sur des vents onomatopéiques. Autre singularité, le troisième mouvement n'est pas ponctué d'interventions tonitruantes du choeur et de l'orchestre, au contraire tout ce beau monde s'éteint lentement et discrètement, un à un. L'interprétation de Riccardo Chailly et du concertgebouw est tout simplement confondante de beauté, quelle maîtrise dans les cordes, quelle discipline dans les cuivres ! Ajoutons à cela la maîtrise remarquable du Groot Omroepkoor, qui compte parmi ses rangs une dizaine de sopranos des plus vaillantes, et nous obtenons un moment musical qui flirte avec le recueillement. 

Oedipus Rex, dont le livret fut écrit en français par Jean Cocteau, puis traduit en latin par Jean Daniélou, offre avant tout au fantastique rythmicien qu'était Stravinsky l'occasion de travailler sur les sonorités rares de cette langue. Les invectives de Jocaste "oracula oracula" donnent froid dans le dos. Riccardo Chailly, son orchestre, ses choeurs et ses solistes entraînent le public dans un crescendo dramatique jusqu'à présent étranger à cette partition ; tout juste regrettera-t-on les interventions du speaker qui ­Concertgebouw oblige­ s'exprime en néerlandais, une langue certes amusante avec ses sonorités gutturales de trachéotomie, mais qui reste auditivement très anecdotique ; l'acteur est pourtant sérieusement investi par sa tâche et se débrouille assez bien pour faire passer les intentions du texte qu'il récite à travers le sabir dont on l'encombre. Robert Dean Smith, qu'on avait eu la chance d'entendre à la Monnaie dans la dernière production des Maîtres-chanteurs, confirme tout le bien qu'on pensait de lui : voix puissante, souple, extrêmement claire ; les réserves que nous émettions sur son jeu d'acteur se confirment ici par un statisme de concert relativement risible. Mais vraiment, peu importe. Waltraud Meier, la plus grande Kundry de ces vingt dernières années, reste subjugante d'intelligence, elle manie le texte avec une virtuosité telle que sa Jocaste rencontre ­enfin­ le théâtre. Exploit tout à fait rare au vu des différentes productions de ces dernières années et des disques que nous possédons. La voix dont on déplore l'horreur du timbre (horreur très relative) n'a rien perdu de sa grandeur : solidité, ampleur... Wow ! Défection d'Albert Dohmen remplacé par le baryton-basse finlandais Juha Uusitalo qui s'acquitte honorablement (seulement) des rôles de Créon et du messager, même reproche à Jan Hendrik Rootering (Tirésias) qui pourtant ne démérite pas non plus.

Bref, une belle soirée. 

Camille De Rijck

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