C O N C E R T S
 
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MILAN
10/01/2006
 
Act I
Tat'jana, Olga Guriakova
Filipp'evna, la njanja, Irina Bogatcheva
© Teatro alla scala
Piotr Ilitch TCHAIKOVSKI (1840 - 1893)

Eugène Onéguine

Scènes Lyriques en trois actes et sept tableaux 
Livret du compositeur et de Constantin Chilovski
d'après le poème d'Alexandre Pouchkine
 
 
Production du Festival de Glyndebourne
Mise en scène, Graham Vick
 Décors & Costumes, Richard Hudson
Eclairages, Matthew Richardson
Chorégraphie, Ron Howell

Tatiana, Olga Guryakova
Olga, Nina Surguladze
Filipievna, Irina Bogatcheva
Madame Larina, Alexandrina Milcheva
Eugène Onéguine, Ludovic Tézier
Vladimir Lenski, Giuseppe Sabbatini
Le Prince Grémine, Laszlo Polgar
Monsieur Triquet, Vjaceslav Voynarovsky

Orchestre et Chœurs de la Scala
Chef des choeurs, Bruno Casoni

Direction musicale, Vladimir Jurowski

Milan, le 10 janvier 2006

Grande émotion : ma première fois à la Scala. Place de la Scala… 19h45… De nombreuses silhouettes se pressaient de l'autre côté de la rue, devant une petite maison blanche… la Scala… précisons de nombreuses silhouettes revêtues de manteaux de fourrure, de mille bijoux scintillants et de robes plus somptueuses les unes que les autres. Décidément, les Italiens s'habillent plus que les Français pour se rendre à l'Opéra. Quelques mètres supplémentaires et la salle mythique s'offrait aux spectateurs… rouge et blanche parsemée d'or, les six étages de balcons surplombaient l'orchestre et l'inégalable loge impériale.

Aucun écran de surtitrage ne gâchait le spectacle merveilleux de cette harmonie délicieuse. En fait chaque siège en était pourvu, permettant de choisir la langue de traduction, anglais ou italien.

Soudain l'éclairage s'affaiblit, laissant peu à peu la place à une obscurité grandissante, sans pour autant inciter certains spectateurs au silence. Les premiers applaudissements retentirent et la silhouette élégante du Maestro Jurowski apparut à la tête de l'orchestre de la Scala.

Les premiers accords retentirent. Et l'incroyable se produisit. Un son velouté rond, fondu se répandit dans la salle. Un fondu unique, avec lequel la froideur de Bastille est bien loin de pouvoir rivaliser…Les tempi choisis étaient assez rapides, du moins plus que ceux retenus pour la production de Bastille de 2003.

Le rideau rouge surmonté de la célèbre enseigne se leva quasi simultanément sur un décor épuré, une rangée de blé remplissait le fond de la scène. Mesdames Larina et Filipievna, assises sur deux chaises côte à côte échangaient leurs points de vue sur la vie.

Pendant toute la représentation, à l'instar de la mise en scène de Willy Decker, la production de Glyndebourne privilégiera des décors épurés, toutefois plus diversifié à la Scala qu'à Bastille puisque chaque tableau possède son propre décor : les épis de blé pour le premier, la chambre de Tatiana, composée d'un lit d'un petit meuble et d'une chaise pour la scène de la lettre, la salle à manger des Larina pour la fête, un décor extérieur pour le duel Lenski-Onéguine et la salle de réception des Grémine pour le dernier acte. La direction d'acteurs est également réfléchie et précise, rappelant quelquefois celle de Willy Decker (la balade d'Onéguine et de Tatiana au premier acte entre autres), même si on peut se demander s'il était nécessaire pour Tatiana de renverser son broc d'eau sur la tête à la fin de son air… la musique traduisant suffisamment le trouble, l'émoi de l'adolescente.

Au tableau suivant, lorsqu'Onéguine rend la lettre à Tatiana, deux chaises sont disposées sur scène, le long de la première bissectrice. Tatiana écoute le sermon d'Onéguine assise à l'avant-scène côté jardin. Lors du duo final, les deux mêmes chaises réapparaissent au même endroit, mais bien sûr, cette fois Tatiana est en fond de scène côté cour et Onéguine là où Tatiana l'écoutait deux actes plus tôt.


Act III
Tat'jana, Olga Guriakova
Onegin, Ludovic Tézier
© Teatro alla scala


Quant aux danses et autres poèmes symphoniques, elles sont pour une fois travaillées ! Lors de la fête chez les Larina par exemple,  la beauté du cotillon dansé par les chœurs et les protagonistes a littéralement comblé les spectateurs… le regard pesant d'Onéguine sur Olga ne laisse plus aucun doute sur la non-homosexualité d'Onéguine, du moins aux yeux de son interprète. Au cours de la première intervention des chœurs lors du premier acte, une esquisse de danse traditionnelle russe est ébauchée. Enfin, lors de la célébrissime polonaise, un couple de danseurs classiques tout droit issus du ballet du Bolchoï virevoltent à travers une succession de rideaux jusqu'à la reprise du thème A : les derniers rideaux se lèvent et dévoilent les chœurs qui s'élancent sur la plus entraînante des mélodies.

Difficile de désigner le grand vainqueur de la soirée, entre Tatiana Onéguine et le chef d'orchestre.

Vladimir Jurowski dirige l'orchestre de la Scala avec tant de sûreté et de précision qu'il est difficile de croire qu'il s'agisse de leur première rencontre. Le résultat est tout simplement époustouflant, l'orchestration de Tchaïkovski révélant sous la baguette du maestro tous les secrets de sa splendeur, les couleurs chatoyantes des pupitres qui se répondent. Vladimir portera une attention toute particulière à l'adéquation entre les notes et l'âme des protagonistes. Le lyrisme du thème de Tatiana en ressort sublimé: Jurowski accélère, décélère à l'envie et surtout ose les nuances du pianissimo au fortissimo en passant par toutes les palettes imaginables. C'est l'essence même de l'amour que le maestro dessine de sa baguette à la fin de l'air de la lettre. Lors des danses, chez les Larina, lors de la Polonaise, toute l'âme slave ressort de la partition qui se transforme sous la direction de Jurowski en véritable poème symphonique, alchimie des cuivres des cordes et des vents. Deux passages demeurent marquants: le ralentissement extrême pour le duo final afin de soutenir la distorsion de l'âme de Tatiana : toujours éprise d'Onéguine qui la poursuit de ses assiduités, son rôle d'épouse de prince, ou une blessure douloureuse non cicatrisée trop vivement réveillée lui font repousser les avances du seul homme qu'elle ait jamais aimé. Et la montée qui conclut le grand air d'Onéguine au cours duquel il réalise son amour pour Tatiana transformée en une montée quasi orgasmique, presque en opposition avec la spiritualité de Tatiana.

Dès les premières mesures il est évident qu'Olga Guryakova nous offrira l'une des plus touchantes Tatiana que l'on puisse imaginer aujourd'hui. Tatiana apparaît en fond de scène de l'autre côté, plongée dans l'un de ses livres dont elle ne se sépare jamais. La robe est simple, la coiffure également, stricte, les cheveux tirés en arrière. Alors une voix ronde, ample et chaude, s'élève du plateau, peut-être la plus belle voix de soprano lyrico-dramatique aujourd'hui. Le vibrato est toujours là, impressionnant de richesse et de maîtrise ! La ligne musicale est superbe, le phrasé impeccablement soutenu. Amoureuse éperdue aux cheveux détachés, succombant pour la première fois à la passion, c'est une femme mûre  aux cheveux remontés en chignon qui clôture le duo final piano, puisant au plus profond d'elle le courage nécessaire à de telles paroles… Olga Guryakova, sublime de fraîcheur et de sensibilité, fait passer dans sa voix l'évolution du personnage en la modulant en fonction des circonstances. 

Ludovic Tézier campe un Onéguine parfait de dandysme de froideur et d'amour des femmes. La ligne musicale  est irréprochable, le timbre superbe. Onéguine est inédiablement l'un des grands rôles de Tézier. A quand cette distribution à Paris ?
L'outsider de cette production est sans aucune hésitation le Lenski de Sabbatini, ténor lyrique génial au souffle incroyable et au  timbre très riche qui n'est pas sans rappeler celui de Placido Domingo. En outre, il est rassurant de constater que certains ténors aujourd'hui peuvent encore tenir longuement les notes hautes de leur tessiture sans pour autant forcer  !!!


Act II
Lenskij, Giuseppe Sabbatini
Onegin, Ludovic Tézier
© Teatro alla scala


Parmi les autres protagonistes, relevons l'Olga charmante, dotée d'un très joli timbre mais bien moins corsé que celui de Marina Domachenko, un bon Triquet, même si  l'air n'est pas donné en français et s'il ne parvient pas à égaler Sénéchal. Intéressant Prince Grémine, malgré une voix vieillissante.

Deux points faibles pourtant mais qui ne tiennent pas à la production.

Si le son de la Scala est feutré et chaud, il demeure un point, situé entre la scène et l'avant scène côté cour, derrière lequel les chanteurs ont le timbre appauvri en harmoniques et la puissance dix fois inférieure à leur émission lorsqu'ils sont placés devant ce même point.

Aucune attention n'est portée à la cohérence de la traduction anglaise, et la douce déclamation de M.Triquet "Que sous le ciel de ce pays, étoile qui toujours brille et luit, elle éclaire nos jours et nos nuits" se transforme en une ridicule "Ses amis l'aimeront toujours et elle aimera toujours ses amis"…sans compter les erreurs du type "piece" au lieu de "peace" etc…

En conclusion…akh…stchastie bilo tak bliska

 
Audrey Bouctot(va)
 
  
 
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