C O N C E R T S
 
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LAUSANNE
12/03/2004

Cassandre Berthon
© DR
Christoph-Willibald Gluck (1714-1787)

ORPHEE ET EURYDICE

Tragédie-opéra en trois actes
Livret en français de P.-L. Moline
Version révisée par Hector Berlioz en 1859

Nouvelle production

Elodie Méchain (Orphée)
Marie Arnet (Eurydice)
Cassandre Berthon (L'Amour)

Ludovic Lagarde (mise en scène)
Pierre Kuentz (dramaturgie)
Cynthia Vandecandelaère (vidéo)
Virginie et Jean-Jacques Weil (costumes)
Sébastien Michaud (éclairages)
Stéphany Ganachaud (collaboration artistique)
 

Orchestre de Chambre de Lausanne
Nicolas Chalvin, direction
Choeur de l'Opéra de Lausanne
Véronique Carrot, cheffe de choeur

Lausanne
12*, 14, 17, 19 et 21 mars 2004



Triste Orphée et Eurydice

Ils étaient sept, entre le metteur en scène, le dramaturge, les costumiers, l'éclairagiste, la vidéaste à se faire huer en fin de spectacle. Jamais, depuis que votre serviteur assiste aux productions lyriques lausannoises, il n'avait entendu les spectateurs de l'Opéra de Lausanne manifester une telle désapprobation à l'issue d'un opéra. Pourtant, dans sa mise en scène, Ludovic Lagarde n'avait essayé ni de choquer, ni de provoquer comme le font tant et tant de metteurs en scène actuels. Alors ? Peut-être que les raisons de la tonitruante réaction du public sont à rechercher dans ce que le metteur en scène déclarait quelque neuf mois avant la première de ce spectacle. "Au théâtre, à l'opéra, il faut s'éloigner de la réalité pour parler mieux", affirmait-il. Ici, il applique ses dires à la lettre. Il s'éloigne du sujet, de la réalité du mythe d'Orphée, mais il s'en éloigne pour ne rien dire. Parce que Ludovic Lagarde n'a peut-être rien à raconter. En tout cas dans cet opéra.

Quand le choeur chante "Ah ! dans ce bois tranquille" et que la scène s'ouvre sur un écran noir projetant l'image d'une jeune fille nue, le sexe recouvert d'un carré de toile légère, difficile d'imaginer le bucolique de l'endroit. Qui est cette jeune fille ? Dort-elle ? Posant trop bien pour être une gisante, seul qui connaît l'opéra de Gluck envisagera qu'il pourrait s'agir d'Eurydice au tombeau. Apparaît Orphée (Elodie Méchain), loubard de banlieue, blouson de toile noire, tee-shirt noir, pantalon de combat noir, santiags aux pieds, elle déambule maladroitement sur le devant de la scène pendant que, dans l'ombre, le choeur se tient en rang d'oignons. Chacun tient une fleur de tournesol à la main. Rassemblées, elles seront jetées dans un trou de scène, qui doit être la tombe d'Eurydice. Des tulles gris ou noirs descendent des cintres pour servir d'écrans à des projections vidéo dénuées de sens. Tout est noir, noir, noir, noir. Paraît Amour (Cassandre Berthon) en blond Pégase. Se collant à Orphée dans une chorégraphie (?) de pauses arrêtées "à la Bob Wilson" du plus haut ridicule, les projections vidéo reprennent, pour cesser un peu plus tard, sans qu'on en saisisse la raison. A une direction d'acteurs inexistante répondent des protagonistes incapables d'imposer leur présence scénique. Avec des chanteurs aussi inexpérimentés, il est coupable de les présenter dans l'immensité d'une scène vide en pensant qu'ils en rempliront l'espace. Et pendant tout ce temps, l'orchestre joue, les chanteuses chantent et le choeur entre et sort d'une scène vide d'accessoires. Grande ouverte pour n'y loger que deux ou trois personnages, bien vite c'est l'interprétation vocale qui suscite l'intérêt dans le secret espoir d'y découvrir une performance d'artiste.

Rien de tout cela. Si la mezzo française Elodie Méchain (Orphée) possède une belle voix, bien timbrée, elle s'en sert comme d'un simple instrument, n'offrant que des nuances extrêmes entre piano et forte. Manquant de l'agilité nécessaire à un air de bravoure comme "Amour, viens rendre à mon âme", sans grande diversité de couleurs, son chant reste souvent inexpressif. Elle n'émeut pas. Elle dit, mais elle ne raconte pas. Soucieuse de la belle note, elle en oublie la diction et livre un discours souvent inintelligible. Néanmoins, lorsque les airs se prélassent dans les lentes mélopées, la mezzo française est capable d'exprimer un lyrisme bienvenu. A ses côtés, la soprano suédoise Marie Arnet (Eurydice) souffre d'être abandonnée à la même par le metteur en scène. Errant sur le plateau sans conviction, elle se sauve néanmoins par une émission vocale claire et pleine de joliesse. Pour son compte, la soprano française Cassandre Berthon (Amour) s'avère la meilleure interprète du plateau. Si son costume chevalin n'amène rien à la dramaturgie de l'oeuvre ni à sa compréhension, elle se joue des attitudes grotesques imposées à son rôle par une chorégraphie inepte en donnant admirablement corps à l'entremetteuse de bon augure. Vocalement, elle ravit son auditoire par la limpidité de son émission et sa parfaite diction.

Finalement la grande triomphatrice de la soirée reste la sublime musique de Gluck. Avec Orphée et Eurydice, le théâtre lyrique compte l'un de ses plus beaux opéras. A la tête d'un excellent Orchestre de Chambre de Lausanne, Nicholas Chalvin prend un évident plaisir à dynamiser cette musique qu'il semble apprécier tout particulièrement. On retient son souffle devant l'inspiration qui l'habite pendant La Danse des Furies. Comme toujours, l'impeccable préparation vocale du choeur de l'Opéra de Lausanne est à relever, d'autant plus qu'il avait aussi à se plier à des ballets dont le ridicule n'avait d'égal que l'inefficacité. S'être mis à sept pour offrir un si triste Orphée et Eurydice tient de l'exploit. Un exploit malheureux à oublier, comme la prétention de ces dispensateurs d'esbroufe scénique que prolifèrent dans nos théâtres.
 
 
 

Jacques SCHMITT
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