C O N C E R T S 
 
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PARIS
10/03/05
Valéry Gergiev
OTELLO

Opéra en 4 actes de Giuseppe VERDI
Livret d'Arrigo Boito

Mise en scène : Personne
Décors : Nobody
Costumes : Graciela Galán
Lumières : On ne sait pas

Otello : Vladimir Galouzine
Jago : Carlos Alvarez
Desdemona : Soile Isokoski
Cassio : Gordon Gietz
Roderigo : Sergio Bertocchi
Lodovico : Riccardo Zanellato
Montano : René Schirrer
Emilia : Ekaterina Gubanova

Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris
Maîtrise des Hauts-de-Seine / Choeurs d'enfants de l'Opéra National de Paris

Direction musicale : Valery Gergiev
Version concert en costumes

10 mars 2005

OTELLO SUR LA GREVE

Créé en mars 2004, la production d'Andrei Serban fut une des plus contestées, tant par le public que la critique, de l'ère Gall. A tel point que lors de la présentation de la saison 2005/2006, Gérard Mortier avait annoncé qu'il demanderait à Andrei Serban de revoir son travail.

Pour cause de grève nationale, nous n'aurons pas eu le plaisir d'apprécier cette remise à plat. Pour une fois, ce n'est pas le personnel de l'Opéra qui est en cause, mais la paralysie des transports en commun : à défaut d'explications de la direction, on imagine que les techniciens de plateau n'ont pas eu la possibilité de rejoindre leur travail.

La version qui nous a été donné de voir est ainsi un spectacle en costumes pour les solistes (jouant sur le devant de la scène), en habits pour les choristes (en rangs serrés derrière les rôles principaux).

La direction ne propose le remboursement qu'à ceux qui le demandent formellement, insistant sur la qualité musicale du spectacle mais (nouveauté et soirée AROP obligent !) propose une coupe de champagne à l'entracte en guise de dédommagement.

La déception des spectateurs occasionnels (vraisemblablement majoritaires) est bien sûr compréhensible ; pour ceux qui auront eu l'occasion de voir précédemment le spectacle, la nouvelle sonne comme un soulagement ! Nous voici débarrassés des incongruités insupportables de cette production ridicule (1).

On peut même dire qu'on y gagne au change tant la mise en place (non signée, ce qui est bien dommage) est tout à fait remarquable d'intelligence théâtrale. A titre d'exemples, le meurtre de Desdémone (poignardée, étouffée et étranglée dans la mise en scène de Serban : on n'est jamais trop prudent) devient d'une efficace sobriété, Otello se contentant d'étrangler son épouse avec le foulard ; alors que dans la production Serban, nous assistions à un véritable bain de sang, la moitié des protagonistes mourant sur le devant de la scène, ici, le Maure s'effondre en enlaçant une dernière fois sa femme avant de mourir sur le dos, le voile venant recouvrir son visage.

Il n'en reste pas moins que c'est du côté purement musical de la représentation que nos attentes sont les plus fortes.

Vocalement, il faut bien admettre une certaine déception.

Pour son nième Otello à Bastille, Galouzine n'est plus que l'ombre de lui-même. Malgré quelques tentatives pour nuancer, le ténor se révèle incapable de tenir la distance, notamment dans les duos avec Iago où la voix peut même disparaître totalement, entre deux éructations glaireuses ; il retrouvera néanmoins un minimum de dignité pour le dernier acte.

A ses côtés, Carlos Alvarez n'a pas de mal à faire bonne figure : voix bien timbrée, chaleureuse, scrupules stylistiques... Cependant, l'incarnation reste basique, le chanteur réussissant à paraître tout du long sympathique : un comble !

Soile Isokoski est également digne d'éloge sur le plan musical : legato parfait, variations subtiles de couleurs, le tout conduit avec une parfaite sensibilité ; néanmoins, il faut regretter une légère difficulté à passer la rampe : manque de largeur vocale d'une part, mais aussi de volume (2).

Parmi les seconds rôles, on remarque le Cassio de Gordon Gietz, un peu inférieur au Jonas Kaufmann de la saison passée, mais très correct. Ekaterina Gubanova est également une Emilia dont il faudra suivre la carrière.

Pour le reste, rien de notable à l'exception du Roderigo de Sergio Bertocchi, franchement trop graillonnant.

La présence de Valery Gergiev faisait tout le prix de cette reprise, du moins aux yeux de la nouvelle administration (3) : suffirait-elle à palier un plateau au global assez moyen ?

Sans surprise, l'introduction est impressionnante, spectaculaire de violence : le chef déchaîne un véritable malstrom dans la fosse et rend littéralement palpable la tempête scénique.

Mais Gergiev sait aussi calmer la fureur de son instrument : le duo de l'acte I est accompagné amoureusement, le chef se révélant à l'écoute de ses chanteurs, et tirant de l'orchestre des sonorités parfois inédites, allant jusqu'à mettre en évidence certaines dissonances.

De même, les différents ensembles sont parfaitement maîtrisés : une tâche d'autant plus ardue que la version choisie est celle adaptée par Verdi pour Paris et pour laquelle l'entrée de Desdémone à l'acte II ou le finale du III ont été particulièrement développées.

Enfin, le dernier acte nous fait goûter une formation aux teintes mélancoliques, qui accompagne idéalement les protagonistes dans leurs dernières souffrances.

Le champagne aidant, le public sera indulgent pour les chanteurs et réservera un triomphe au chef russe (ou ossète pour certains puristes (4)).

Il n'empêche que le public parisien ne sera véritablement comblé que lorsqu'il pourra bénéficier dans un même spectacle des chanteurs qu'Hugues Gall avait l'habitude d'engager et des chefs que Gérard Mortier à l'intelligence d'inviter. Faisons un rêve...
 
 

Placido CARREROTTI

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Notes

1. Voir toutes les critiques précédentes !

2. Ce défaut n'est pas nouveau et la soprano s'est déjà exprimée sur le sujet : quand les spectateurs ne l'entendent pas, c'est parce que le chef ne maîtrise pas son orchestre. Un argument un peu court pour le spectateur lambda qui a quand même eu l'opportunité de comparer la chanteuse finlandaise avec ses collègues dans des productions identiques : Hei-Kyung Hong en Liu, Felicity Lott et Renée Fleming en Maréchale ou encore Sondra Radvanovsky, Renée Fleming, Nancy Gustafson, Nelly Miricioiu, Kale Esperian ou Cristina Gallardo-Domas en Marguerite de Faust sont des artistes qui n'avaient aucune peine à se faire entendre à Bastille...

3. Je me réfère à la présentation de Gérard Mortier en début de saison. 
En ce qui concerne l'adéquation de Gergiev au chef-d'oeuvre de Verdi, j'étais personnellement dubitatif, ayant le souvenir d'un Otello au Metropolitan (94) plus spectaculairement tonitruant qu'intériorisé : ce spectacle parisien aura largement dissipé mes appréhensions.

4. A puriste, puriste et demi : Valery Gergiev est né à Moscou de parents ossètes et fut élevé dans le Caucase. L'histoire ne dit pas si les parents étaient originaires d'Ossétie du Nord (capitale Vladikavkaz, en russe et Dzaudjikau, en langue ossète, république membre de la Fédération de Russie depuis 1991) ou d'Ossétie du Sud (chef-lieu : Tskhinvali, simple région de la République de Géorgie, dite officiellement ìShida Kartliî ayant perdu l'autonomie qui était la sienne au temps de l'Union soviétique). 

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