C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
PARIS
18/05/2004

© DR
Cycle "Les Grandes voix et les femmes musiciennes"
 

Anne-Sofie von Otter, mezzo-soprano
Bengt Forsberg, piano

Clara SCHUMANN (1819-1896)
- Am Strande (Burns)
- Beim Abschied (Serre)
- Lorelei (Heine)
- Geheimes Flüstern hier und dort, op. 23 n° 3 (Rollett)

Grazyna BACEWICZ (1909 - 1969)
- Deux études pour piano

Alma MAHLER (1879 - 1964)
- Laue Sommernacht (Falke)
- Ansturm (Dehmel)
- Der Erkennende (Werfel)

Ruth CRAWFORD-SEEGER (1901 - 1953)
- Extraits des Préludes pour piano

Agathe BACKER-GRONDAHL (1847-1907)

- Ouverture op. 41 -1 (Krag)
- Melodie op 41 - 5 (Traduction Thor Lange)
- Fagelns visa op 5.2 (Topelius)
 

Cécile CHAMINADE (1857 - 1944)

- Ronde d'amour (Fuster)
- Mignonne (Ronsard)
- L'anneau d'argent (Gérard)
- Air à danser, op.164 pour piano
- Ma première lettre (Gérard)
- Attente (Maquet)
- Si j'étais jardinier (Marin)
- Thème varié op. 89 pour piano
- La lune paresseuse (de Bussy)
- Sombrero (Guinand)
- Viens, mon bien-aimé (Lafrique)
- Mazurka suédoise op. 58 pour piano
- L'Été (Guinand)

AUDITORIUM DU MUSEE D'ORSAY - PARIS
Concert du 18 mai 2004
Cycle "Les Grandes voix et les femmes musiciennes"



POUR L'AMOUR DE CECILE...

Ce concert donné à l'auditorium du Musée d'Orsay récemment rénové était très attendu, d'autant plus que le programme, consacré exclusivement à des femmes compositeurs plus ou moins connues, sortait des sentiers battus.

C'était aussi l'occasion de réentendre à nouveau Anne-Sofie von Otter dans un genre où elle excelle, celui du liederabend et où elle s'est faite plutôt rare ces derniers temps, du moins en France : son dernier récital consacré au genre au Palais Garnier Garnier, remonte à 1999, sans oublier celui du Théâtre du Capitole, à Toulouse, en 2000.
 

Bien qu'issues d'horizons divers, les compositrices au programme de ce récital ont toutes en commun d'avoir été de remarquables pianistes, ce qui explique la prédominance des pièces pour piano et des mélodies pour voix et piano dans leurs oeuvres.

Autant les compositions de Clara Schumann, malgré l'influence de Mendelssohn, semblent comme des reflets chatoyants de celles de son célébrissime époux, autant celles d'Alma Mahler contrastent fortement avec celles du grand Gustav, dans le genre "jugenstil flamboyant". Il est clair que Clara écrivit "avec", alors qu'on a très nettement l'impression qu'Alma, elle, composa "contre". Le résultat est d'un romantisme délicat chez Clara Schumann - Geheimes flüstern hier und dort - et d'une violence très expressionniste chez Alma Mahler : Der Erkennende.

Les mélodies d'Agathe Backer Grondahl qui concluent la première partie du programme, dont l'écriture semble annoncer les pages de Chaminade de la seconde partie, sont une vraie découverte et l'art de la cantatrice met en valeur leur grande variété de styles et de couleur, de l'humour à la passion en passant par l'élégie, avec cette mélancolie toute particulière qui caractérise la musique nordique.

Comme de coutume, von Otter s'acquitte avec panache de ce mélange de styles et d'atmosphères, prenant un plaisir quasiment carnassier à présenter les lieder d'Alma Mahler, "femme superbe à la vie amoureuse très agitée" : un des poètes mis en musique par elle, Franz Werfel, (Der Erkennende) fut, avant de devenir son troisième mari, un de ses nombreux amants, auxquels il convient d'ajouter des peintres fameux comme Klimt et Kokoschka.

Quant à Cécile Chaminade, dont les oeuvres occupent toute la seconde partie de ce concert, elle eut un bien curieux destin et une longue vie plutôt solitaire. "Mon amour, c'est la musique, j'en suis la religieuse, la vestale", déclara cette féministe avant l'heure. Celle qui côtoya Bizet, Massenet, Gounod, Saint-Saëns, Chabrier et Ambroise Thomas, dont elle fit l'admiration,  laisse une oeuvre conséquente : à peu près 140 mélodies parmi 400 pièces dont 200 pour le piano. Elle écrivit même un opéra-comique, La Sévillane, et la musique d'un ballet, Callirhö. Chaminade mena également une brillante carrière de concertiste - c'était en effet une formidable pianiste - à travers toute l'Europe, mais aussi aux États-Unis où elle fit un triomphe. La Reine Victoria l'invita régulièrement à Windsor et fut l'une de ses admiratrices les plus ferventes.

Au départ, c'est le pianiste attitré - et talentueux - d'Anne-Sofie von Otter, Bengt Forsberg, qui s'enthousiasma en déchiffrant des oeuvres pour deux pianos de Cécile Chaminade, qu'un ami pianiste lui avait fait connaître. Plus tard, lors d'un voyage à Anvers, il découvrit d'autres partitions, dont quelques mélodies, qui eurent le bonheur de plaire à la mezzo suédoise, quand ils les travaillèrent ensemble.

Lors de ce mémorable récital d'avril 1999 à Garnier, quelques mélodies de "Cécile" figuraient déjà au programme. Ensuite, les deux comparses avaient souvent inclus ce compositeur dans leurs récitals à travers le monde, comme à Toulouse, où une importante partie du programme lui était consacrée. Un superbe disque enregistré en 2001 à Stockholm et paru en France début 2002, intitulé "Mots d'amour" (DG N° 471 31 2) , avait scellé de manière indélébile l'alliance entre "Cécile" et ses deux admirateurs suédois qui, depuis, lui ont rendu justice comme pratiquement aucun chanteur français ne semble l'avoir fait auparavant, du moins de manière aussi significative. Quelque part, pour ces deux artistes, Cécile Chaminade est devenue un compositeur fétiche, symbole de leur amour commun pour la France et sa musique.

Le bouquet de mélodies choisies pour Orsay réunit quelques unes des plus belles et des plus caractéristiques, parmi lesquelles on peut citer Mignonne, l'Anneau d'argent, Ma première lettre, Attente, La Lune Paresseuse, Viens, mon bien-aimé, écrites sur des textes d'une qualité littéraire assez inégale, certes, mais dans un style musical de haute tenue, très vocal, plus proche par conséquent de celui de Gounod ou Massenet que de celui de Fauré.

Le charme de ces pages un peu surannées, mais empreintes aussi de nostalgie et de mélancolie, où le désespoir n'éclate jamais tout à fait, opère indiscutablement. Il semble qu'une véritable rencontre ait eu lieu entre von Otter et ces mélodies raffinées et délicates, presque un peu décadentes, dont émane comme un enivrant parfum de tubéreuse. Elles conviennent parfaitement à son intériorité, qui excelle dans le non-dit et les demi-teintes, et aussi à la couleur moirée de sa voix, à tel point que certaines semblent avoir été écrites pour elle.

Incontestablement, ce récital fort intelligemment structuré est une réussite, tant par la qualité des oeuvres choisies et la façon dont ces deux artistes semblent les "réinventer", que par la complicité qu'ils instaurent avec le public, surpris, ravi, et finalement conquis. Une autre bonne idée fut d'alterner les groupes de mélodies avec des pièces pour piano interprétées avec beaucoup de ferveur, de sensibilité et de maestria par Bengt Forsberg qui nous dévoile des pages de deux autres compositrices, la Polonaise Grazyna Bacewicz, tout d'abord néo-classique, puis basculant dans l'expérimentation, voire le dodécaphonisme, et aussi l'Américaine Ruth Crawford Seeger, qui opte, d'emblée, pour une modernité dissonante.

Les deux bis furent encore un hommage à la musique composée par des femmes : une autre mélodie de "Cécile", l'Amour Captif et une chanson de Joni Mitchell, Michael from Mountains, clin d'oeil de von Otter au répertoire pop et folk qu'elle affectionne tout particulièrement, et chante avec un art consommé.

Que ceux qui ont manqué ce concert se rassurent : il a été enregistrée et filmé, diffusion sur Frances Musiques le 3 juin à 10h30, et sur FR3 à une date ultérieure.
 
 
 

Juliette BUCH
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]