C O N C E R T S 
 
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TOURCOING
27/02/05

© Danièle Pierre
IL BARBIERE DI SIVIGLIA (1782)

Giovanni PAISIELLO

Opéra en quatre actes
Livret de Giuseppe Petrosellini
D'après Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais
 

Rosina : Hjördis Thébault
Figaro : Pierre Yves Pruvot
Bartolo : Philippe Georges
Almaviva : Jean Delescluses
Basilio : Philippe Rabier
Le Notaire/l'Eveillé : Patrick Alliotte-Roux
Un alcade et la Jeunesse : Jean Noël Poggiali
 

Mise en scène : Christian Schiaretti et Arnaud Décarsin
Scénographie : Renaud de Fontainieu
Costumes : Annika Nilsson
Lumières : Julia Grand

La Grande Ecurie et la Chambre du Roy
Direction : Jean-Claude Malgoire

Tourcoing, Théâtre Municipal le 27 février 2005.

UN BARBIER PEU EN GACHER UN AUTRE
 

Né en 1740, Giovanni Paisiello a 42 ans lorsqu'il compose son Barbiere qui sera un succès ininterrompu sur toutes les scènes européennes. Il en aura 76 à la création du Barbiere de Rossini en 1816 (ouvrage prudemment rebaptisé "Almaviva, ossia l'inutile precauzione ") qui, après un démarrage un peu difficile, finira par triompher de l'oeuvre originale dans le coeur du public (1). Paisiello aura d'ailleurs le bon goût de mourir quelques mois plus tard. Entre temps, Mozart aura composé les Nozze di Figaro (en 1786) : c'est dire la fertilité musicale de ce tournant de siècle, les ouvrages passés inspirant les créations nouvelles (2).

Il est pratiquement impossible d'assister à une redécouverte de ce genre (du moins à la première écoute) sans avoir à l'esprit ces deux références prestigieuses.

On est d'ailleurs tellement loin du génie rossinien que toute tentative de comparaison est vouée à l'échec tant la seconde version est présente à nos oreilles ; il faudrait pouvoir faire le vide dans son esprit et c'est d'autant plus impossible que les livrets sont quasiment identiques.

Les comparaisons avec l'oeuvre de Mozart sont en revanche plus faciles. Il est aisé de constater que Paisiello a ouvert la voie à son célèbre successeur (on pense au final des Nozze). Il n'en atteint tout de même pas le génie, notamment dans le traitement orchestral : chez Paisiello, l'orchestre se contente d'illustrer la partie vocale (avec talent du reste) mais ne devient jamais un protagoniste à part entière de l'ouvrage.

Finalement, c'est dans le traitement de la partie vocale que l'ouvrage de Paisiello offre le plus de séduction : peu de mélodies remarquables (à l'exception du magnifique finale, mélange d'un Mozart affecté du brin de détachement d'un Auber), mais un continuum musicale, original et vif, soutenant continuellement l'attention. On ne peut que comprendre la réaction positive du public de l'époque.

Au global, ce Barbiere ne remplacera jamais "l'original" (si j'ose dire) dans nos coeurs, d'autant qu'il donne peu d'occasion aux interprètes de faire démonstration de leur virtuosité ; mais l'ouvrage n'en est pas moins digne de reprises périodiques, ne serait-ce que pour mieux comprendre l'évolution musicale au tournant du XVIIIème. Un peu de musicologie avec l'assurance de passer une bonne soirée : c'est joindre l'utile à l'agréable ! 

Côté chanteurs, c'est plutôt Bartolo qui vole la vedette à Figaro dans cette version : Philippe Georges campe un personnage plaisant (quoique assez éloigné des barbons habituels), mais expose quelques limites vocales, même pour un plateau aux ambitions modestes, le chanteur assure ses attaques en attaquant exagérément la note, produisant une impression d'aboiement continuel un peu lassant à la longue.

A l'inverse, Pierre-Yves Pruvot est un Figaro très à l'aise vocalement, d'une insolence presque italienne, et certainement digne de chanter la version de Rossini. Scéniquement, il ne trouve ses marques qu'au cours du spectacle, après un air d'entrée qui le montre particulièrement gauche.

Voix blanche, à peine timbrée dans le médium, Jean Delescluses est plutôt égaré en Almaviva : question de style plutôt que de moyens. Rien de bien vraiment scandaleux, simplement l'impression d'entendre un chanteur d'oratorio d'une part, et dans une tessiture trop grave pour lui d'autre part.

Hjördis Thébault est la seule femme de la distribution (la philosophe Berta étant remplacée par deux valets plus idiots l'un que l'autre). Rien à redire sur la prestation : timbre riche en harmoniques, aigus imposants (enfin, par rapport au volume vocal des partenaires...), vocalises impeccables et abattage scénique certain.

Philippe Rabier est un excellent Basilio, chantant avec humour et aplomb son "Air de la Calomnie" particulièrement bien mis en scène.

Enfin, Patrick Alliotte-Roux et Jean Noël Poggiali se tirent de leurs doubles petits rôles, mais plus par leurs qualités d'acteurs que de chanteurs.

La mise en scène vaut surtout pour une direction d'acteurs efficace et bien rodée. Les décors sont assez réduits : une petite tour d'où intervient Rosina au premier acte, une cage qui prend toute la scène pour la suite (une idée qui manque un peu d'originalité et dont la réalisation pratique ne met pas toujours les chanteurs à l'aise dès lors qu'il s'agit de grimper au barreaux). Enfin, les costumes sont simples et plutôt réussis compte tenu de l'évident manque de moyens de la production (4).

A la tête de sa formation, Jean Claude Malgoire met son entrain légendaire à défendre cet ouvrage, lui imprimant toute la verve et toute la théâtralité nécessaires. Seuls bémols : une sonorité un peu sèche et des cordes qui manquent de couleurs.

Au rideau final, le spectacle remporte un grand succès ; certainement une grande satisfaction pour un théâtre qui prend le risque de sortir des sentiers battus du répertoire.
 
 

Placido CARREROTTI
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Notes

1. Pour ceux qui ne connaîtraient pas l'anecdote, l'ouvrage de Rossini fut victime d'une terrible cabale au soir de la première, une partie du public (les Paisiellisti) voyant d'un mauvais oeil un jeune godelureau venir piétiner les plates-bandes du maître révéré. Selon la "légende dorée", le compositeur (et chef d'orchestre) est chahuté dès son entrée en raison d'un accoutrement un peu bizarre ; chantant un air de son choix ("Ecco ridente il cielo", ultérieurement adapté d'Aureliano in Palmira, fut ajouté plus tard), le ténor Garcia éprouve les plus grandes difficultés à accorder sa guitare ; Basilio manque de se casser le nez dès son entrée en trébuchant sur une trappe, mais continue à chanter tout en épongeant son nez avec son mouchoir ; un chat survient, qui se met à miauler : Figaro le chasse côté cour mais l'animal, têtu, revient côté jardin et saute dans les bras de Bartolo, avant de poursuivre Rosina terrifiée à l'idée de se faire griffer ; finalement chassé par l'officier de police (et grâce à son épée), le chat disparaît accompagné de miaulements divers du public. Philosophe peut-être, courageux certainement pas, Rossini pose la baguette à l'issue du premier acte, salue les chanteurs et rentre s'aliter chez lui, prétextant une soudaine maladie.
Il en sera tiré le lendemain, le public ayant finalement reconnu s'être comporté injustement. 
Depuis, le Barbier n'a pas cessé de susciter l'engouement du public, devenant l'une des oeuvres les plus jouées et les plus durablement inscrites au répertoire. 

2. La critique musicale a parfois tendance à apprécier le génie d'un compositeur comme s'il n'écrivait que dans le détachement le plus absolu !

3. Des mains de figurants, dont on ne voit pas le corps, caressent et palpent Bartolo et Basilio ; on les retrouvera au moment où les deux complices tentent de semer le doute dans le coeur de Rosina.

4. A noter que la production "resservira" ultérieurement pour la version Rossini.

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