C O N C E R T S
 
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PARIS
28/05/2004

(© Marie Noëlle Robert)
LES PALADINS

Comédie-ballet en trois actes de Jean-Philippe Rameau
Livret de Duplat de Monticourt

Mise en scène,
Scénographie,
Et conception vidéo : José Montalvo
Chorégraphie : José Montalvo & Dominique Hervieu
Costumes : Dominique Hervieu
Lumières : Philippe Berthomé
Maquillages : Suzanne Pisteur

Atis : Topi Lehtipuu
Argie : Stéphanie d'Oustrac
Nérine : Sandrine Piau
La Fée Manto : François Piolino
Orcan : Laurent Naouri
Anselme : René Schirrer
Un Paladin : Emiliano Gonzalez Toro

Centre Chorégraphique National de Créteil et du Val-de-Marne
Compagnie Montalvo-Hervieu

Orchestre et Choeurs Les Arts Florissants
Direction : William Christie

Paris, Théâtre du Châtelet, le 28 mai 2004.


 


RAMEAU FAIT UN BREAK (DANCE)

Avant dernier chef-d'oeuvre de Rameau, Les Paladins est une étonnante comédie-ballet d'un jeune homme de 76 ans : c'est l'ultime création à laquelle assistera le compositeur, qui mourra sans voir jouer ses Boréades.
Si le livret n'est pas vraiment inoubliable, il a le mérite d'atteindre son objectif en fournissant quelques scènes cocasses et le prétexte à de nombreux divertissements dansés.
L'intrigue nous conduit dans le château où Anselme garde prisonnière Argie, sa pupille, qu'il souhaite bien épouser prochainement, tandis que celle-ci est éprise d'Atis. Argie et sa suivante Nérine sont laissées à la garde de leur geôlier Orcan, lorsqu'une troupe de Paladins déguisés en pèlerins (et conduite par Atis) vient faire une heureuse diversion. Orcan veut chasser ces intrus, mais se trouve bien vite enrôlé de force dans la joyeuse troupe qui s'enfuit à l'annonce du retour d'Anselme.

Argie avoue à son tuteur qu'elle s'apprêtait à s'enfuir pour rejoindre celui qu'elle aime. Anselme feint de lui rendre la liberté, mais arme Orcan d'un poignard pour qu'il tue la jeune fille. Heureusement, le complot est déjoué par Nérine qui prévient aussitôt les Paladins : Orcan est désarmé par Atis et, menacé de mort par ce dernier, finalement gracié par Argie.

Au dernier acte, les Paladins sont maintenant retranchés dans le château auquel Anselme s'apprête à donner l'assaut quand l'édifice se transforme en un magnifique palais chinois. La Fée Manto apparaît qui lui propose un marché : toutes ces richesses seront à lui s'il lui promet fidélité. Guidé par sa rapacité, Anselme n'hésite pas longtemps et lorsque la Fée fait entrer Argie, celle-ci découvre son tuteur soupirant auprès d'une autre (ou plutôt d'un autre, le rôle étant interprété par un ténor). Mort de honte, Anselme doit renoncer à l'amour d'Argie et la Fée Manto unit les deux jeunes amants.

Oeuvre étonnante par son originalité, Les Paladins ne connut pas un grand succès à sa création et quitta l'affiche après une quinzaine de représentations, le public ne suivant pas le compositeur dans son renouvellement. Car c'est bien d'un surprenant renouvellement qu'il s'agit, certains ensembles comiques annonçant clairement ceux des compositeurs "bouffe" italiens. C'est toutefois dans les ballets qu'éclate le plus le génie de Rameau : un véritable bonheur d'invention musicale, de joie de vivre aussi et d'effets musicaux inédits.

Pour cette re-création, le Châtelet a fait appel à l'équipe Montalvo-Hervieu qui anime le Centre Chorégraphique National de Créteil et du Val-de-Marne. L'univers du chorégraphe José Hervieu revendique sa modernité : break dance, hip-hop sont la base de son vocabulaire, même si la cuisine est quelquefois relevée par des emprunts à des styles plus classiques.

Le danger de ce genre d'approche est bien sûr de voir plaquée sur une oeuvre baroque, une esthétique qui lui est totalement étrangère, les deux mondes coexistant sur scène sans jamais vraiment s'enrichir mutuellement (c'est le cas de certaines mises en scène de Bob Wilson, par exemple). La présente production n'évite pas totalement l'écueil et les spécialistes du travail de Montalvo et Hervieu n'ont pas manqué de le souligner.

Une frange du public est également restée... perplexe : j'ai rarement entendu autant de hués à la fin d'une première partie, surtout à la dernière ! Une autre partie du public, de fait la plus nombreuse, a, au contraire, réservé au rideau final un triomphe tant aux interprètes qu'à l'équipe de production, car ce spectacle est avant tout un des plus plaisants, revigorants, dynamisants qu'on ait pu voir récemment sur les scènes lyriques parisiennes. Plein d'imagination, drôle, léger sans vulgarité, il remplit son contrat : redonner vie (au sens propre du terme) à une oeuvre endormie sous quelques siècles d'oubli.

Tous les interprètes vocaux (solistes ou choristes) sont affublés de doubles dansants qui renforcent chorégraphiquement les scènes chantées, tout en évitant une banale paraphrase.
Les danseurs sont remarquables de maîtrise, de naturel et d'humour.

Seul bémol, le vocabulaire hip-hop et break dance reste malheureusement limité : l'expression de la joie, de la colère, de l'agressivité et du jeu appartiennent à son univers ; mais il est impuissant à exprimer des sentiments plus délicats tels que l'amour ou la tristesse : lorsqu'ils surgissent, la scène est d'ailleurs débarrassée de toute intervention chorégraphique. De toute façon, l'oeuvre est avant tout une comédie.

Pas ou peu de décors, mais une large gamme d'effets vidéo tous plus surprenants les uns que les autres. D'une part, des défilés d'animaux plus ou moins exotiques, prétextes à des gags ou à des surprises visuels (1). D'autre part, un jeu très astucieux entre les "vrais" danseurs et leur double "à plat" : soulignons, en particulier, un magnifique duo entre une danseuse et son image qui se métamorphose en papillon, rare moment de poésie de la soirée.
C'est sans doute souvent sans rapport réel avec l'action, mais magnifiquement réalisé, imaginatif et éclatant de vie, au diapason de la musique de Rameau.
En matière de chant, le bilan est plus mitigé.

Topi Lehtipuu et François Piolino sont tout simplement superbes vocalement (et physiquement !), se jouant d'une tessiture meurtrière sans recours excessif à la voix mixte, toujours compréhensibles : de vrais grands talents, chanteurs, acteurs et danseurs tout à la fois.
Face à cette jeunesse, Laurent Naouri est un peu en retrait : timbre vieillot, fausse décontraction et manque de naturel sont les principales réserves. Obligé de danser et de jouer la comédie, il en oublie même de prononcer distinctement son texte ; un comble quand on songe qu'on lui reproche habituellement de sur-articuler !

René Schirrer est le maillon faible du spectacle ; le rôle n'est pas très long, mais ses maigres interventions restent un supplice : pas d'articulation, un volume confidentiel, un timbre sec et surtout le tic d'aboyer systématiquement les attaques pour essayer de passer la rampe, ce qui nous conduit à n'entendre qu'une syllabe sur quatre et un mot sur mille.

Côté féminin, on reconnaîtra à Stéphanie d'Oustrac d'authentiques moyens, malheureusement gâtés par une diction calamiteuse qui transforme ses interventions en de longues traversées du désert. Malgré un volume vocal plus réduit, Sandrine Piau est heureusement un peu plus compréhensible.

C'est d'ailleurs là que réside ma principale frustration vis-à-vis de ce spectacle, donné sans surtitres, vraisemblablement pour ne pas détourner l'attention des spectateurs des danses et autres effets vidéo (il y a tellement de choses à découvrir qu'il faudrait vraiment voir ce spectacle plusieurs fois pour en apprécier les inventions) : si la symbiose Montalvo/Rameau s'établit bien dans les scènes de danse, ce n'est plus vraiment le cas pour les passages chantés auxquels nous ne comprenons pas grand-chose ; la meilleure preuve en est que le public rie souvent aux nombreux effets visuels, mais pratiquement jamais à la fantaisie des dialogues.

Dans la fosse, William Christie perd cette attitude un peu compassée qui le caractérise : on l'aura rarement vu diriger avec un tel entrain un orchestre plein de tonus (mais pas exempt de problèmes techniques) et des choeurs en très grande forme.
 
 
 

Placido CARREROTTI

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(1) Pas toujours originaux, à l'image de la multiplication des lapins d'un magicien, tout droit sortie des dessins animés de Tex Avery des années 40.

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