C O N C E R T S
 
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ANCONE
24/01/2007
 
Mariella Devia & le Choeur
© Sandro D'Ascanio

Vincenzo BELLINI (1801-1835)

IL PIRATA
 
Melodramma en deux actes
Livret de Felice Romani

Nouvelle production

Mise en scène, décors et costumes, Pier’Alli
Lumières, Marco Filibeck

Imogène, Mariella Devia
Gualtiero, José Bros
Ernesto, Vladimir Stoyanov
Foffredo, Ugo Guagliardo
Itulbo, Luca Casalin
Adèle, Nicoletta Zanini

Orchestre Philharmonique des Marches
Choeur Lyrique des Marches “Vincendo Bellini”
Chef du choeur, David Crescenzi
Orchestre de vents de la Fanfare Ville d’Ancone

Chef d’orchestre, Bruno Bartoletti

Ancone, le 24 janvier 2007

Pas de miracle pour Devia


La rareté des représentations du Pirata fait de la nouvelle production présentée à Ancone un évènement, d’autant que l’on y assiste à une prise de rôle de la grande Mariella Devia.

La maîtrise des forces rassemblées sur la scène du Théatre des Muses revient à un vétéran, Bruno Bartoletti, survivant des musiciens qui ont accompagné la renaissance dans les années 50 du répertoire belcantiste du premier romantisme. Il dirige avec une attention inlassable aux chanteurs ; son autorité lui permet d’obtenir une exécution soignée, où les pupitres s’exposent sans faiblesses, les volumes sont sous contrôle, la balance entre tensions et détentes exactement dosée, c’est vraiment du beau, du grand travail. Certains auraient souhaité des accents plus marqués, une interprétation plus dramatique ; il nous semble que le vieux maître a tenu compte de toutes les données de la représentation et les a gérées de la manière la plus satisfaisante.

Cette satisfaction due à l’orchestre et à son chef se double de celle due à la qualité des choeurs. Dans cette oeuvre, ils ont un rôle particulièrement important : choeur des pêcheurs, hommes et femmes, choeur des pirates, des guerriers, des cavaliers, des demoiselles d’honneur, leurs interventions sont nombreuses et marquantes. Cohérents, précis, généreux, ils n’ont pas peu contribué à la réussite musicale.

Visuellement, la proposition de Pier’Alli est des plus classiques. Le gris et le noir dominent, pour la falaise suggérée où les pêcheurs à peine émergés de l’ombre observent impuissants le naufrage du navire et les pirates roulés par les flots (mouvements chorégraphiés par Salvator Spagnolo), pour les costumes des civils et les uniformes des soldats. Le ciel sombre et tourmenté de la tempête initiale se retrouve dans la mosaïque murale représentant un naufrage qui décore l’intérieur de la forteresse, où des colonnes en forme de piédestal supportent des bustes antiques probablement tirés de la terre sicilienne. Dans une autre scène, de hauts piliers réunis par des chapiteaux ornés de rinceaux dessinant des visages de silènes grimaçants surplombent l’espace rythmé par les éclairages, les zones lumineuses ou obscures traduisant les contrastes sur lesquels repose l’intrigue. La scène finale fait apparaitre Imogène sur un praticable qui la surélève, en conformité avec son statut d’être ayant quitté la sphère des simples mortels pour accéder au rang des héroines. Choristes et figurants sont assez nombreux pour composer des tableaux suggestifs au gré du climat privilégié par Pier’Alli. Certes, le statisme de certains passges peut lasser, mais rien ne détourne de la musique et du chant.


Mariella Devia (Imogene)
© Sandro D'Ascanio


Le chant précisément. Le cantabile bellinien, si reconnaissable et si charmeur, au sens premier du mot, est réservé aux effusions des héros, le couple Gualtiero-Imogène, la prima donna et le premier ténor. Les autres personnages sont davantage d’une pièce, plus courts et utilitaires, à moins qu’ils n’aient, comme Ernesto, le mauvais rôle, celui du méchant. Goffredo et Itulbo, les partisans de Gualtiero, le proscrit devenu pirate et malmené par le destin, sont respectivement et dignement incarnés par Ugo Guagliardo et Luca Casalin, comme la suivante d’Imogène par la sensible Nicoletta Zanini. Le violent qui a forcé Imogène à l’épouser au prix d’un chantage et qui rugit son impuissance à s’en faire aimer comme à extirper de son coeur le souvenir du rival détesté trouve en Vladimir Stoyanov un interprète solide et convaincu.

C’est aussi le cas pour Gualtiero, à qui José Bros prête un timbre qui n’est pas des plus prenants et frôle parfois le nasal dans les aigus, mais également une souplesse remarquable dans les traits d’agilité et une vaillance propre à restituer la fougue d’un personnage toujours prêt à s’emporter et, en cela, assez peu différent de son ennemi. Les passages périlleux sont abordés franchement et résolus presque toujours sans dommage. Bref une prestation honorable pour cette partie redoutable.

La grande attente concernait évidemment les débuts de Mariella Devia en Imogène. Disons-le sans ambages, le miracle n’a pas eu lieu. Oh, rien n’est indigne de la valeur et de la réputation de cette grande artiste. Quand les exigences de la partition et les possibilités vocales de la cantatrice coïncident, le résultat est admirable, comme prévisible. La maîtrise technique est inchangée et les passages cantabile sont enivrants de justesse. Mais lorsque le rôle requiert la force de l’accent et des graves étoffés, la voix révèle ses limites. Mariella Devia était la première à dire qu’Elena de La Donna del Lago était trop grave pour elle. C’est malheureusement le cas d’Imogène et malgré notre profonde admiration pour cette artiste, si scrupuleuse et musicienne, il nous semble qu’en cédant à la tentation d’incarner cette figure si attirante pour une cantatrice, elle se soit trompée, même si le résultat pourrait combler bien des consoeurs. La scène finale où Imogène a perdu l’esprit, première du genre dans l’histoire, est un feu d’artifice salué par de longues ovations.

En somme, un élégant spectacle qui propose une lecture digne d’intérêt d’une oeuvre phare de l’opéra romantique dans une interprétation digne de respect.




Maurice SALLES

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