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TOULOUSE
14/04/06
Ottavia : Catherine Malfitano
© Patrice NIN
Claudio MONTEVERDI (1567-1642)
L’INCORONAZIONE DI POPPEA
Opéra en trois actes avec un prologue
Livret de Giovanni Francesco Busenello
Mise en scène, Nicolas Joel
Assistant, Stéphane Roche
Décors, Ezio Frigerio
Assistant, Domenico Franchi
Costumes, Franca Squarciapino
Lumière, Vinicio Cheli
Fortuna / Valletto, Giorgia Milanesi
Virtù / Damigella / Pallade, Raffaella Milanesi
Amore, Khatouna Gadelia
Ottone, Max Emanuel Cencic
Soldato / Lucano / Familiare / Tribuno, Emiliano Gonzalez Toro
Poppea, Anne-Catherine Gillet
Nerone, Sophie Koch
Arnalta, Gilles Ragon
Ottavia, Catherine Malfitano
Nutrice / Familiare, Anders Dahlin
Seneca, Giorgio Giuseppini
Drusilla, Sabina Puertolas
Mercurio / Consul / Littore, Ivan Ludlow
Liberto / Soldato / Tribuno, Alfredo Poesina
Familiare / Consul, Laurent Labarbe
Orchestre Les Talens Lyriques
Direction et clavecin, Christophe Rousset
Toulouse, 14 avril
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L'envol de Poppée
Public en fête ce 14 avril à Toulouse au terme de cette représentation de L’Incoronazione di Poppea
saluée par de très longs applaudissements ponctués
d’ovations. Succès amplement mérité pour
cette nouvelle production du Capitole : la phalange réunie
par Christophe Rousset a fait merveille et la mise en
scène a dissipé les réticences a priori
liées aux repères historiques choisis. Les quatorze
musiciens techniquement impeccables allient rondeur, éclat et
soyeux à une méticuleuse précision ;
Christophe Rousset maîtrise parfaitement l’œuvre et
en donne aujourd’hui la version la plus aboutie parce que la plus
équilibrée, supérieure à celle
d’Amsterdam pourtant déjà très belle.
Dynamisme et lyrisme s’enchaînent comme naturellement, sans
jamais donner l’impression de contraindre la musique à une
conception dogmatique, c’est une grande réussite.
Cherchant à éviter le peplum, Nicolas Joel a pensé
que le fascisme mussolinien serait un équivalent pertinent
au régime impérial néronien. Son collaborateur
Ezio Frigerio a donc conçu un décor pivotant
inspiré du Palais des Civilisations édifié
à Rome vers 1938 , qui, lui-même relecture de
l’architecture antique, en conserve les péristyles
bordés d’arcades et les statues de géants
musculeux. Selon l’orientation et l’ampleur de son
ouverture cet espace varie au gré des éclairages ou
des accessoires et devient alors une antichambre, un salon, voire un
cachot.
Poppea : Anne-Catherine Gillet / Nerone : Sophie Koch
© Patrice NIN
Le
prologue est censé indiquer la morale de l’histoire :
l’amour est chez les hommes une passion si forte que rien ne peut
lui résister. La Fortune apparaît dans la loge
d’avant-scène à jardin sous les traits d’une
jeune et belle mondaine dont l’arrogance et la riche parure
contrastent avec la mise et le maintien modestes de la Vertu,
présente dans la loge symétrique à cour.
C’est un des charmes du spectacle que les rôles soient
distribués aux sœurs Milanesi, dont la
gémellité enrichit encore l’effet de miroir et
purge la scène de la fadeur des oppositions
rhétoriques ; d’autant que le soupçon
d’acidité dans l’aigu qui entachait leurs
précédentes collaborations avec Rousset semble avoir
heureusement disparu et seul reste le charme de timbres fruités
et de voix souples.Au deuxième acte, le Valletto de Giorgia est
une composition particulièrement réussie
d’adolescent faussement désinvolte qui préfigure
Chérubin. Emergeant du rideau de scène, L’Amour
piquant de Kathouna Gadelia a le visage encore poupin qui
s’impose pour cette incarnation.
Dans le jour naissant, l’arrivée d’Ottone
près de la demeure de Poppea est celle d’un personnage
dépourvu de la force et du prestige qui pourraient fasciner et
retenir Poppea . Max Emanuel Cencic interprète ce
rôle avec justesse, en donnant à voir sa faiblesse et
jusqu’à sa veulerie, et le chante sans faiblir d’une
voix remarquable d’homogénéité et de
clarté. Les soldats qui montent la garde au pied du
péristyle surélevé sont les premiers à
souligner la dangerosité d’un régime où le
pouvoir despotique menace quiconque s’aviserait de dire la
vérité. Emiliano Gonzalez Toro est l’un
d’eux, comme il sera plus tard un des familiers de
Sénèque et le poète Lucain. Il fait un
numéro à la Mayol dans son duo avec Néron ;
au fil des années il a acquis une désinvolture
scénique aujourd’hui totale, et au fil de la
représentation se libère de l’engorgement initial.
Sénèque a l’autorité, la componction et
l’aspect rassis qu’on attend d’un philosophe
officiel. Giorgio Giuseppini prête de beaux accents à ce
personnage que le livret ne ménage pas. La scène
où il prend congé de ses amis est magnifiquement
traitée, musicalement et vocalement, et prend un relief
saisissant.
Drusilla est une jeune fille à la mode, qui a les passe-temps de
ses contemporaines privilégiées – elle joue au
tennis – sans avoir pour autant renoncé à la
profondeur des sentiments ; elle le prouvera en gardant le silence
sous la torture pour ne pas incriminer Ottone. Comédienne
efficace, Sabina Puertolas lui prête une voix ductile et
séduisante.
L’impératrice bafouée a le sentiment de son
rang ; toujours flanquée de deux serviteurs vêtus de
noir, à l’ancienne, avec fraise et pourpoint, elle porte
elle-même du noir, semé de jais comme les parures de
deuil, solennité vaguement déplacée, protestation
vaine de celle qui se cramponne à son titre et à son
statut. Cet appareil la discrédite déjà :
c’est au passé des unions de convenance qu’elle
appartient. Faut-il voir de la perversité dans
l’attribution de ce rôle à la Malfitano ?
Poppea voici quelques lustres, elle est une Ottavia dont
l’inadéquation stylistique demande au continuo des
trésors de vigilance, mais ce choix paradoxal finit par servir
la mise en scène et prendre une pertinence indiscutable tant il
justifie l’éviction du personnage qui déjà
vocalement n’est plus à sa place.
Auprès d’elle une nourrice-dame de compagnie qui
d’un acte à l’autre passe des cannes anglaises au
fauteuil roulant ; sa décrépitude va de pair avec
l’affaiblissement de la position de sa maîtresse. Comme
Arnalta elle arbore ces tenues ternes et sombres qui sont
l’uniforme de la respectabilité chez les duègnes.
Mais son couplet sur la condition féminine révèle
plus d’amertume que de résignation. Anders Dahlin compose
une savoureuse silhouette de vertu desséchée et son chant
révèle une souplesse remarquable. Gilles Ragon,
naguère brillant Matteo sur cette même scène,
semble s’amuser comme un fou à composer cette fausse prude
qui lorsqu’elle est seule soupire devant les croupes des statues.
Son Arnalta a un relief scénique et vocal qui n’a rien
à envier à d’autres fameuses. Elle aussi
évolue parallèlement à sa maîtresse et la
montée en gloire de Poppea verra sa dévouée
entremetteuse en matrone épanouie et impudente.
Poppea : Anne-Catherine Gillet / Nerone : Sophie Koch
© Patrice NIN
Participant
chacune pour la troisième fois à la saison actuelle,
Sophie Koch et Anne-Catherine Gillet étaient respectivement
Dorabella et Despina dans le succulent Cosi de janvier dernier. En les
réunissant dans le couple Néron-Poppea Nicolas Joel
pariait sur une alchimie nécessaire pour que l’œuvre
fonctionne jusqu’au sublime duo final. Pari gagné !
Dès leur première scène, dans la banalité
des accessoires matériels, le seau à champagne, la table
basse, le canapé, les dessous de satin et la vulgarité de
cette lumière rouge (qui est peut-être un
ingrédient nécessaire à la libido de Néron)
on perçoit comme physiquement une atmosphère
d’érotisme moite qui est bien la caractéristique
essentielle –et peut-être la seule- de l’attirance de
Néron pour Poppée. Il nous est arrivé de regretter
dans les mises en scène de Nicolas Joel un déficit de
sensualité – dans sa Carmen par exemple- pour ne pas
applaudir sans réserve le climat créé ici, avec
évidemment le concours des deux interprètes.
Anne-Catherine Gillet, dans sa lingerie de magazine
spécialisé, dévoile une plastique des plus
séduisantes dans des corps à corps où la souplesse
physique des chanteuses leur permet d’onduler en des reptations
qui épousent les circonvolutions et les alanguissements de la
musique, créant ainsi un spectacle total où
l’œil et l’oreille sont simultanément
comblés. Elle semble chanter comme on respire et alterne
exaltation et langueur en un composé savant au goût de
traité amoureux.
Outre l’élégance avec laquelle elle porte le
travesti, Sophie Koch donne au personnage la juvénilité
qui fait de lui la proie idéale pour les flatteurs et le pousse
à vouloir affirmer son autorité contre ses mentors. Un
peu en retrait sur le plan de la virtuosité, elle chante avec
une fougue convaincante et son timbre diapré fait le reste.
La direction d’acteurs souligne efficacement la manipulation
à laquelle Poppea se livre sur Neron, et le décalage
entre leurs désirs, celui de Néron pour le corps de
Poppea et celui de Poppea pour le titre d’impératrice. La
dernière scène est à cet égard d’une
beauté et d’une richesse confondantes. Alors que
l’on devrait assister au triomphe de Poppea devant
l’assistance réunie pour célébrer son
couronnement, les dignitaires sont sortis après avoir fait acte
de présence, et sur le plateau nu , à cour et à
jardin, Poppea et Néron se regardent , séparés par
l’espace, et commence le duo « Pur ti
miro ». Cet espace entre eux révèle
brusquement l’évidence : que leur reste-t-il à
désirer ? Il a éliminé les obstacles qui
s’opposaient à son mariage avec Poppea, elle a atteint
l’objectif qu’elle poursuivait. Devant eux, le vide. Est-ce
pour le conjurer qu’ils s’approchent lentement l’un
de l’autre et semblent hésiter à
s’étreindre ? Est- cela, le triomphe de
l’amour ? Sur ce mystère plane
l’envoûtante cantilène où les voix
s’unissent tandis que les corps sont lointains, voix qui se
tairont quand les corps seront proches. Une simplicité grandiose.
Quand nous aurons dit d’un mot la beauté des costumes
féminins, on comprendra que, si la perfection n’est pas de
ce monde, on n’en était pas très loin à
Toulouse avec ce Monteverdi. Le succès de la location a
montré, ici comme ailleurs, l’existence d’un public
assez nombreux pour inscrire les opéras baroques au
répertoire du Capitole. Gageons que le spectacle sera repris et
qu’il aura des successeurs.
Maurice SALLES
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