C O N C E R T S
 
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PARIS
27/11/2004

Georges Prêtre
HOMMAGE à Georges Prêtre
à l'occasion de ses 80 ans
 

Johann Strauss : Die Fledermaus (ouverture)

Francis Poulenc : Concerto pour deux pianos (larghetto)
(Roger Boutry et Gabriel Tacchino)

Georges Prêtre : Les Pas de chance
(Patrick Bruel, Roberto Alagna, Choeur de Radio France)
Mon coeur s'est éveillé pour toi (Roberto Alagna)

Jean-Reynald Prêtre : Huit fois dix ans
(Patrick Bruel et le Choeur de Radio France)
Dirigés par Roger Boutry

George Gershwin : Un Américain à Paris

Richard Strauss : Der Rosenkavalier (Grande suite)

Giuseppe Verdi : La Traviata : "E strano" et "Parigi, o cara"
(Patricia Ciofi, Roberto Alagna et le Choeur de Radio France)

Giacomo Puccini : Turandot : "Nessun dorma"
(Roberto Alagna et le Choeur de Radio France)

Maurice Ravel : Boléro

Bis :
Offenbach : Barcarolle des Contes d'Hoffmann,
Galop d'Orphée aux Enfers

Giuseppe Verdi : Brindisi de La Traviata
(Roberto Alagna, Patricia Ciofi, Patrick Bruel et le Choeur de Radio France)

Orchestre National de France
sous la direction de Georges Prêtre

Commentaires de Gérard Courchelle

Paris, Théâtre des Chmaps-Elysées
27 Novembre 2004



PAPY FAIT DE LA RESISTANCE

Forum Opéra ne consacre habituellement pas ses colonnes aux concerts symphoniques. Mais la contribution de Georges Prêtre à l'art lyrique et la présence de chanteurs d'opéra à cette soirée justifient cette entorse à la règle.

Né en 1924 à Douai, Prêtre fait ses débuts en 1946 à l'Opéra de Marseille. 10 ans plus tard, il entre à l'Opéra-Comique où il dirige tout le répertoire. Chef permanent à l'Opéra de Paris jusqu'en 1963, directeur de la musique de ce même établissement en 66, il n'en quittera les murs qu'en 73, suite à une série de conflits sociaux qui mirent à bas l'établissement.

Il n'y dirigera plus qu'épisodiquement, notamment sous le mandat de Massimo Bogianckino dans les années 80 : un Moïse d'ouverture mémorable, un Werther exceptionnel avec Alfredo Kraus et Lucia Valentini Terrani, des incursions plus contestables dans Verdi (Macbeth, Don Carlos), enfin un Don Quichotte admirable avec Raimondi et Bacquier, ouvrage dont l'enregistrement live, hier promis, dort toujours dans les cartons de quelque multinationale...

Il sera de l'inauguration du nouveau bâtiment de Bastille, et n'y reviendra que pour une série de Turandot en 97.

Parallèlement, sa carrière internationale l'amène à diriger les plus grandes formations : l'Orchestre Symphonique de Vienne (les Symfoniker) mais aussi la Philharmonie, Londres, Berlin, l'Académie Sainte Cécile de Rome, le Mai Musical Florentin, la Scala de Milan...

En France, le chef dirigera, outre les formations lyriques déjà évoquées, l'Orchestre de Paris et l'Orchestre National de France avec lequel il donnera ses premiers concerts dès 1960.

Est-il nécessaire de rappeler que Georges Prêtre est aussi le chef fétiche des dernières années de Maria Callas, avec laquelle il resta très lié ?

Enfin, la discographie du chef français compte pas mal de réalisations opératiques dont certaines continuent à faire référence.

Une carrière aussi exemplaire valait bien un hommage et on saura gré à Radio France d'avoir organisé, en ce 27 novembre, une journée complète au vigoureux octogénaire ; événement d'autant plus considérable que de tels tributs, communs et naturels sous d'autres cieux, ne sont octroyés en France qu'avec une extrême parcimonie...

Le programme, généreux, est construit autour des différentes villes où le chef s'est illustré, survolant son répertoire de prédilection.

L'entrée de Prêtre est accompagnée par les tambours de la Garde Républicaine qui battent le rythme du Boléro de Ravel.

Puis, sans attendre la fin des applaudissements, le chef se lance dans une ouverture de La Chauve-souris, pleine d'énergie. Le style n'est pas vraiment viennois, mais la valse n'est-elle pas née à Paris ?

Une manière de nous rappeler les liens privilégiés qui unissent le chef français à la capitale autrichienne, où il dirigea souvent les Symphoniker et qui vient de le nommer membre d'honneur de la Société des Amis de la Musique (un hommage dont les derniers Français bénéficiaires furent... Hector Berlioz ou Camille Saint Saëns !).

Le larghetto du Concerto pour deux pianos de Poulenc nous ramène à Paris et à l'intense collaboration, disons même l'amitié, qui lia chef et compositeur. Roger Boutry et Gabriel Tacchino sont un véritable luxe pour ces quelques minutes proprement magiques d'une oeuvre qu'on souhaiterait entendre plus souvent. 

Pour ce gala au profit des Restaurants du Coeur, Georges Prêtre s'est souvenu qu'il avait été compositeur et nous propose une chansonnette de son cru : Les Pas de chance. La musique rappelle un peu Tea for Two (sifflotement compris), mais dans une tonalité plus sombre ; les paroles sont dignes des chansons réalistes d'avant-guerre, un effet accentué par l'arrivée de Roberto Alagna et Patrick Bruel, casquettes vissées sur la tête, reconstituant le couple Jean Gabin / Charles Vanel de La Belle Equipe. Une vision peut-être un peu datée de la misère au XXIème siècle... mais c'est le geste qui compte ! De manière remarquable, la voix de Bruel, bien timbrée, passe la rampe sans micro, Alagna limitant la sienne de manière à ne pas couvrir son partenaire dans le duo. La chanson sera finalement bissée, quelques spectateurs se joignant aux sifflotements des artistes.

Plus rétro encore, l'air Mon coeur s'est éveillé pour toi, sympathique extrait d'une opérette composée par Georges Prêtre sous le pseudonyme de Georges Dhérain (le nom de jeune fille de sa mère) et chanté à la perfection par un Roberto séducteur.

Après Huit fois 10 ans, morceau de circonstance préparé par ses enfants mais réduit en bouillie par le Choeur de Radio France, le chef conclut la première partie par une exécution tout à fait remarquable d'Un Américain à Paris.

Malgré des rubati insolites et des changements de tempo toujours imprévisibles, l'orchestre franchit l'épreuve sans trop de dommages.

De surprise, les micros d'ambiance plongent d'un bon mètre vers le parterre, dans un remake "soft" du fantôme de l'Opéra.

Il ne faut pas demander deux miracles dans la même soirée et la Grande Suite du Rosenkavalier, sans doute moins préparée, est un festival de décalages et d'approximations. Les cuivres, éléphantesques, s'en donnent à coeur joie, couvrant des cordes aux sonorités particulièrement grêles.

A la décharge des interprètes, l'acoustique du Théâtre des Champs-Élysées n'est sans doute pas adaptée à ce type de formation et de répertoire.

Il faut dire que Georges Prêtre est fidèle à sa tradition interprétative ; les tempi à géométrie variable mettent la formation de Radio France à rude épreuve ; on comprend que le chef soit plus à l'aise avec des formations davantage expérimentées, seules capables de s'accommoder d'une direction parfois elliptique (il n'est pas rare de voir le chef rester les bras ballant durant près d'une minute ; quant à la battue, seul un spirite peut l'interpréter). 

Roberto Alagna en fera d'ailleurs les frais, loupant deux départs (l'un dans les Les Pas de chance, l'autre dans Parigi o cara) puis navigant à vue au beau milieu de "Nessun dorma ", malgré les gestes désespérés, mais malheureusement incompréhensibles du chef d'orchestre.

L'hommage à l'Italie débute par deux extraits de Traviata
Patricia Ciofi trouve ses limites vocales dans le "Sempre libera" : graves forcés, aigus piano instables... ce rôle n'est pas pour elle, question aussi de largeur de voix. Crânement, la chanteuse conclut avec un rapide mi bémol final, entraînant les acclamations du public.

"Parigi o cara" lui convient davantage, surtout accompagnée par un Alagna en état de grâce, mais le haut médium reste un peu sourd : sans doute la fatigue des représentations vénitiennes.

S'agissant de Turandot, on connaissait les fins n°1 et 2 d'Alfano, celle de Berio ; voici une nouvelle version consistant à enchaîner la fin de "Nessun dorma" avec sa reprise par le choeur final : un raccourci qui permet au ténor de briller par l'aigu à deux reprises, du moins en théorie... Le choix ne s'avère pas payant : si l'air est admirablement conduit (excepté dans sa partie médiane où le chanteur est abandonné à lui-même sur une mer instable), le premier aigu tourne court et le second est noyé dans le déluge orchestral de l'impitoyable chef (jamais avare de décibels).

Auparavant, le public aura entendu, dans une salle presque éteinte, Maria Callas interprétant "O mio babbino caro ", un air où elle n'a rien à prouver, mais dirigé trop rapidement. Curieux choix.

Le programme officiel se termine par un Boléro un peu inhabituel : flottement des tempi encore et toujours, et des flûtistes surexposés qui semblent jouer faux.

En bis, la Barcarolle des Contes d'Hoffmann ne présente pas un grand intérêt. Le Galop infernal d'Orphée aux Enfers qui lui succède, est, en revanche, proprement extraordinaire de vivacité et de précision toscaninienne : on regrette même que les applaudissement en mesure des spectateurs enthousiastes viennent alourdir cette lecture.

La soirée est commentée avec finesse, humour et à propos par l'excellent Gérard Courchelle ; il rappellera notamment (à l'occasion du Poulenc), qu'à une époque lointaine, la télévision publique proposait des concerts ; à noter un lapsus qui fera crouler la salle : citant le nouveau slogan de France Musiques "Prima la musica ", Gérard Courchelle complètera "ce qui se traduit par : "D'abord les paroles ""...

Final avec l'inévitable brindisi de Traviata. Si Gérard Courchelle refuse obstinément de se joindre aux chanteurs, il acceptera une invitation à valser dans les bras de Patrick Bruel, imitant en cela le couple Ciofi Alagna déjà lancé dans la danse.

Une ambiance de fête que n'oublieront pas de sitôt des spectateurs conquis et enthousiastes. 
 
 
 

Placido CARREROTTI
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