C O N C E R T S
 
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PARIS
17/02/2007
 
Monteverdi Choir et Sir John Eliot Gardiner
© DR

Jean-Philippe Rameau

Castor & Pollux
(version de 1754)


Tragédie lyrique en 5 actes
sur un livret de Gentil-Bernard

English Baroque Soloists
Monteverdi Choir
Direction : John Eliot Gardiner

Anders Dahlin : ténor (Castor)
Laurent Naouri : basse (Pollux)
Sophie Daneman : soprano (Télaire)
Jennifer Smith : soprano (Phébé)
Julia Doyle : une suivante d'Hébé
Miriam Allan : une ombre
Katharine Fuge : Cléone
Matthew Brook : Jupiter
Tom Raskin : un Athlète
Marc Molomot : Mercure
Nicholas Mulroy : un Spartiate
Sam Evans : le Grand Prêtre

Salle Pleyel, Paris, 17 Février 2007

Castor & Pollux, Rameau & Gardiner

« Que la Gloire en ce jour couronne Gardiner
Dont la baguette fine, énergique et rieuse,
Mérite les encens et les divins honneurs
Des Muses que l’on dit pourtant si capricieuses.
Serait-ce trop écrire que de louer bien fort
Des chanteurs accomplis, une direction vive
Qui d’un air naturel et sans le moindre effort
Dépeint la cruauté ou la douceur naïve
D’un zeste de timbales ou d’un trait de violon,
D’une flûte coulante ou d’une contrebasse,
Tandis que retentit le gros grain des bassons
Et que tout cet orchestre s’échappe de sa masse
Pour effleurer le rêve et l’horizon lointain
De palais renversés par un souffle tragique ?
Car le chef a compris que Rameau est humain
Dans cette tragédie que l’on nomme lyrique. »


La plume du poète se tarissant, le devoir rappelle le critique à la prose. Prose qui sera lyrique, comme cette tragédie, tant l’interprétation de John Eliot Gardiner et ses retrouvailles si attendues avec Rameau ont été exquises. Deux mots musicologiques en guise de hors-d’œuvre : le chef a choisi la version de 1754 de Castor et Pollux, celle qui clôt la Querelle des Bouffons. Version infiniment plus humaine que l’originale de 1737 et où le Prologue à la gloire du Roi disparaît au profit d’une intrigue resserrée, véritable hymne à l’amitié. A ce propos, on saluera les vers naturels et noble du librettiste Gentil-Bernard, qui rivalisent avec Quinault (la galanterie légère en moins).

Pour conduire cette grande entreprise, Sir John a fait appel à deux vétérans aguerris, blanchis sous le harnais françois : Sophie Daneman et Laurent Naouri. La première, impériale, nous gratifie d’un « tristes apprêts » à faire fondre les glaciers et illumine la soirée par sa sensibilité et son chant nuancé, aussi à l’aise dans le cri - disons le cri baroque offensé de bon goût - que dans le murmure désespéré « Castor et vous m’abandonnez ». Aux côtés de cette grande tragédienne, Laurent Naouri campe un majestueux Roi, un frère touchant, un amant généreux. Ses graves puissants et résonnants, son timbre chaleureux et jamais forcé, son intime compréhension de la scansion et de la prosodie classique trouvent ici le temps de s’épanouir, puisque ce personnage est le plus important du drame. Son frère Castor bénéficie des aigus stables et lumineux du ténor suédois Anders Dahlin, particulièrement à l’aise dans la tessiture spécifique de haute-contre à la française (voix mixte). La diction est impeccable, même si on décèle ça et là une émission un peu dure, et quelques ornements imprécis. Ce Castor est avant tout un héros victorieux, légèrement arrogant, à qui manque la chaleur de Mark Padmore ou la mélancolie de Jean-Paul Fouchécourt. Qu’importe, Anders Dahlin reste un excellent soliste, qui ne pâtit que de la composition superlative de ses deux confrères.

Clin d’œil ou destin terrible, c’est à Jennifer Smith, bouleversante Télaïre chez Farncombe (Erato, 1982), qu’échoit le rôle de la perfide et envieuse Phébé. Hélas, l’émission s’est engorgée, les aigus se sont tendus... Pourtant la soprano dénote un engagement sans faille, et l’on sent tout le plaisir qu’elle prend à incarner le rôle. Enfin, l’on passera rapidement sur les seconds rôles, souvent tenus par des choristes au français so terribly british et à la prestation relativement terne. Ainsi, le Jupiter instable et rocailleux de Matthew Brook peine à s’imposer face à son fils Pollux.

Le Monteverdi Choir – qui mériterait de prendre le nom de Rameau Choir - impressionne par sa puissance et sa cohésion, jouant sur sa masse et sa dynamique. Aussi bien capable de se lamenter dans la grande scène de déploration « Que tout gémisse, que tout s’unisse » ou de scander haineusement son démoniaque « Sortons d’esclavage », le chœur, bien que parfois mal intelligible, s’est montré digne des peuples antiques et des démons qu’il incarnait.


English Baroque Soloists

Et la fosse ? On connaissait l’attention de John Eliot Gardiner aux coloris orchestraux, à la douceur du traverso, au grain des hautbois, à la brillance de la trompette. On connaissait son affinité avec Rameau depuis ses historiques Boréades, sa façon de laisser la musique respirer et imprégner l’auditoire, ses tempi vifs, sans retenue et sans hâte, sa maniaque précision, notamment au niveau des cordes. Il faudra désormais ajouter à ses louanges une fougue, un entrain (souligné par des percussions décomplexées), une joie communicative, doublée d’une réelle complicité entre tous les artistes.

A l’issue de ce concert, l’on exprimera humblement une question et un vœu. Une question d’abord, et ce n’est certes pas Marc Minkowski qui battait joyeusement la mesure depuis son siège qui nous contredira : pourquoi n’a-t-on pas proposé à John Eliot Gardiner de rediriger Rameau en France plus tôt depuis les Boréades de 1982, Rameau « qui occupe une place spéciale dans [son] cœur » et qu’il comprend si bien ? Les lecteurs attentifs devineront donc aisément le vœu sans qu’il soit nécessaire de le formuler de manière plus explicite.

A très bientôt, Sir Gardiner.



Viet-Linh NGUYEN

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