C O N C E R T S 
 
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AIX en PROVENCE
06/
07/06

Sir Willard White
© Elisabeth Carecchio
Richard Wagner (1813-1883)

Das Rheingold

Prologue en 4 scènes
Livret du compositeur

Direction musicale : Sir Simon Rattle

Mise en scène, scénographie et vidéo : Stéphane Braunschweig
Costumes, collaboration à la vidéo : Thibault Vancraenenbroeck
Lumière : Marion Hewlett et Patrice Lechevallier
Collaboration à la mise en scène : Georges Gagneré
Collaboration à la scénographie : Alexandre de Dardel
Collaboration artistique : Anne-Françoise Benhamou

Les Dieux et les Déesses :
Sir Willard White (Wotan)
Robert Gambill (Loge)
Lilli Paasikivi (Fricka)
Anna Larsson (Erda)
Mireille Delunsch (Freia)
Detlef Roth (Donner)
Joseph Kaiser (Froh)

Les Géants :
Evgeny Nikitin (Fasolt)
Alfred Reiter (Fafner)

Les Nibelungen :
Dale Duesing (Alberich)
Burkhard Ulrich (Mime)

Les filles du Rhin :
Sarah Fox (Woglinde)
Victoria Simmonds (Wellgunde)
Ekaterina Gubanova (Flosshilde)

Orchestre Philharmonique de Berlin

Théâtre de l’Archevêché, Aix-en-Provence, le 6 juillet

De l'or en barres

Autant le dire tout de suite : le Ring d’Aix-en-Provence démarre sous les meilleurs auspices avec cet Or du Rhin. Dans la fosse, Simon Rattle accomplit dès le prélude un petit miracle. Ces déliés de cordes d’une légèreté toute… minérale, ces rythmes bondissants se succédant, se croisant, se superposant avec une virtuosité inouïe, ce Wagner éminemment mélodieux, dansant, subtil et nuancé était donc compatible avec la masse imposante et les (exceptionnelles) couleurs sombres du Philharmonique de Berlin. Si on pouvait auparavant s’interroger sur la légitimité de ce Wagner « dégraissé », ce que nous propose le grand chef britannique, sorte de réconciliation entre « anciens » et « modernes », balaie tous nos doutes.

Cette lecture aide également la distribution. Dénuée de « grandes voix », celle-ci nous aurait en effet moins convaincu en compagnie d’un chef attaché, davantage que Rattle, à la grande tradition wagnérienne. Alors qu’ici… le trio de rêve formé par Sarah Fox (Woglinde), Victoria Simmonds (Wellgunde) et Ekaterina Gubanova (Flosshilde), les admirables prestation de Burkhard Ulrich (Mime), Detlef Roth (Donner) et Joseph Kaiser (Froh) et surtout la fratrie de géants, campée par deux des plus talentueuses basses de la jeune génération, Evgeny Nikitin (il était Boris en décembre dernier au Châtelet) et Alfred Reiter (Genève a déjà entendu son Marke et son Gurnemanz), valaient presque à eux seuls le détour. En dépit d’une voix défaite et d’une intonation hasardeuse, Dale Duesing réussit un Alberich pathétique dans son humiliation « viscérale ». Les cinq petites minutes que durent l’incantation d’Erda suffisent à Anna Larsson : la voix, presque inhumaine, glace le sang, tandis que la haute et noble silhouette de la dame donne le frisson. Quant à Mireille Delunsch, on devine bien qu’elle fait, avec conviction et intelligence, le tour des angoisses de Freia. Robert Gambill enfin est bluffant de truculence et d’ambiguïté : ce Loge est peut-être l’incarnation la plus aboutie de cette soirée, tant vocalement que scéniquement. Restent donc Wotan et Fricka : sa voix à lui accuse une nette fatigue vers la fin de la dernière scène, mais on admire la prestance de l’acteur. Le regard flegmatique d’un aristocrate insouciant, car trop gâté par la vie, que confère le baryton-basse jamaïcain au Dieu des dieux tranche magnifiquement avec les emportements enragés de la véhémente Lilli Paasikivi, et on comprend rapidement pourquoi tout ne va plus pour le mieux, chez le couple céleste.


(de gauche à droite : Alfred Reiter, Robert Gambill et Evgeny Nikitin)

Même jouant la carte de la sobriété, le spectacle de Stéphane Braunschweig frappe par la justesse de son propos. Aidé par un sol qui peut se transformer à vue en escalier, en mur ou en vagues, le metteur en scène nous propose tout d’abord un œil neutre sur la trame de ce Prologue : ainsi Alberich ne semble pas, a priori, plus petit que les autres, et les géants ne se déplacent pas non plus sur des échasses pour paraître plus grands. En plaçant les personnages sur un semblant de pied d’égalité, Braunschweig fait prendre conscience, magistralement, que le mépris avec lequel les Dieux traitent les Nibelungen ou les géants dépasse les simples critères visibles à l’œil nu. Il est ici question d’Histoire, de gênes (rendant ainsi bouleversante la douleur d’Alberich). Et l’anneau n’arrangera rien, qui rendra Wotan méprisant à l’égard même des siens, les Dieux.

En bref une merveilleuse soirée, et en sortant de l’Archevêché, à 1 heure du matin, on ne peut que se souvenir des mots de Mariss Jansons* : « Rien n’est plus beau qu’un opéra réunissant de bons chanteurs, un excellent orchestre et une mise en scène intelligente »
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Clément TAILLIA


(* Lors d’un entretien avec Rémy Louis, paru en avril 2005 dans Diapason (n° 524, page 13).

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