C O N C E R T S 
 
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PARIS
23/10/05
 M. Fujimara (Fricka) & J. Rasilainen (Wotan) © M. N. Robert

Richard WAGNER (1813 - 1883)

DAS RHEINGOLD
Prologue en quatre scènes
Livret de Richard Wagner

Mise en scène, scénographie et lumières : Robert Wilson
Costumes : Frida Parmeggiani
Lumières : Kenneth L. Schutz

Wotan : Jukka Rasilainen
Donner : Laurent Alvaro
Froh : Endrik Wottrich
Loge : David Kuebler
Alberich : Sergei Leiferkus
Mime : Volker Vogel
Fasolt : Franz-Josef Selig
Fafner : Günther Groissböch
Fricka : Mihoko Fujimura
Freia : Camilla Nylund
Erda : Qiu Lin Zhang
Woglinde : Kirsten Blaise
Wellgunde : Daniela Denschlag
Flosshilde : Annette Jahns

Orchestre de Paris
Christophe Eschenbach

Paris, Théâtre du Châtelet, le 23 octobre 2005

En ce début d’automne, Paris oublie sa Seine et se met à l’heure du Rhin. La Tétralogie, présentée au Théâtre du Châtelet, monopolise l’espace lyrique français. La presse, même profane, s’empare du sujet. Quel journal, quel magazine n’a pas encore délivré son Wagner mode d’emploi ? Comme à chaque fois, Das Rheingold donne le la d’une production trop attendue. Trop, car les trépignements engendrent souvent les déceptions et accroissent les rancoeurs. La générale s’achève à peine que déjà les commentaires vont bon train clouant au pilori la moitié de l’affiche. Bardé de recommandations et d’a priori, le spectateur, cet après-midi, pose avec suspicion un pied dans le panthéon wagnérien et, cramponné à la rambarde, se penche prudemment pour contempler « l’astre des profondeurs ».

La déconvenue ne naît pas alors, comme prédit, de la répétition d’un principe de mise en scène éprouvé depuis plusieurs années, qui, de Madame Butterfly à Pelléas et Mélisande engendre toujours les mêmes images, du glissement abstrait, au lever du rideau, des filles du Rhin sur un plateau nu, mais du manque de consonance de nos trois folles ondines. Les sonorités liquides des « Weia ! Waga ! » ne se fondent pas et, prises individuellement, les voix ne s’écoulent pas mieux ; seule la Flosshilde ambrée de Annette Jahns surnage.

Ainsi, tout au long de l’oeuvre, Christophe Eschenbach ne parvient pas à fusionner le métal. Les cuivres insolents, plus souvent qu’à leur tour bravent la justesse, écrasent les bois, répriment les cordes, irréprochables au demeurant. A défaut de splendeurs orchestrales, le chef s’attache à la mesure, maintient heureusement l’équilibre entre le plateau et la fosse. "Weh, weh", faute d’harmonie fluide, les accords perdent de leur pouvoir maléfique.

Frustrée, l’attention se porte alors sur les chanteurs. Dans cet univers panthéiste, les appelés sont nombreux, les élus un peu moins.

Seule parmi eux, Mihoko Fujimura fait l’unanimité avec le sens inné d’un théâtre qui puise à la même source nippone. Fricka jette son tablier de ménagère et démontre en un chant percutant et sensible son essence divine. Marâtre non mais impérieuse, séduisante enfin, elle restitue à Wotan sa part d’humanité, l’oblige de manière crédible à se réfugier inlassablement dans le mensonge et la lâcheté.

Le hiératisme de Robert Wilson sert la cause de Jukka Rasilainen, hier fruste Kurwenal sur la scène de l’Opéra de Bastille. Figé, la lance sempiternellement collée à la paume écartée, l’oeil bandé ainsi que l'exige le livret, il conforme son interprétation à l’attitude imposée et offre un dieu monolithique, voire inexpressif, mais présent. La composition brute, plus que brutale, ne dépare pas L’or du Rhin où le personnage erre encore dans les limbes de l'histoire ; Il n’est pas certain que les affres lyriques de La Walkyrie se satisfassent d’un portrait aussi uniforme.

Autre rescapé du Tristan de la saison dernière, Franz Joseph Selig démontre qu’un excellent roi Marke ne fait pas forcément un bon Fasolt. Qu’est devenue la bouleversante humanité applaudie à Paris comme à Rouen ? Le géant n’exprime plus l’émoi amoureux, cette détresse qu’il partage, à un degré moindre, avec l’époux d’Isolde. L’ampleur même est défaillante. Basse plus que baryton, il se confond presque avec le Fafner sans envergure de Günther Groissböch. Les colosses ont des pieds d’argile.

Loge aussi déçoit. David Kuebler possède le rayonnement physique du rôle. Sa présence allume la flamme, lumière rouge sur le visage à l’appui. Mais le timbre irrémédiablement usé éteint tout scintillement musical. Le feu oublie de crépiter. L’autre ténor, Volker Vogel, tire autrement son épingle du jeu de Mime, réduit cependant à la portion congrue dans ce premier épisode.

Reste véritablement l’obscur Alberich de Sergei Leiferkus. Dépourvu de sensualité, de sauvagerie - mais comment, bridé par le procédé scénique, démontrer de telles qualités ? - il atteint sa véritable dimension, haineuse et possédée, dans les métamorphoses et surtout dans une malédiction impressionnante, au désespoir fielleux, morceau de bravoure halluciné d’un des plus beaux rôles de la partition.

La Freia un peu légère de Camilla Nylund, le Donner franc mais épais de Laurent Alvaro, l’Erda massive de Qiu Lin Zhang complètent une distribution honnête, en conclusion, mais sans plus.

Sur scène, pendant ce temps, insensible au déferlement humide des passions, la beauté souvent jaillit du geste, de la lumière surtout, travaillée comme une matière. Dans cet univers superbement abstrait, le système de Robert Wilson n’atteint pas sa limite ; ses contraintes n’entravent jamais la lisibilité de l’intrigue. Au contraire. Deux, trois éléments ridicules (le crapaud vert, surprenant dans un univers à la subtile monochromie, l’agitation stupide des petits Nibelungen), quelques erreurs de réglage (le visage de certains chanteurs maintenu dans l’ombre quand ils prennent la parole) n’en amoindrissent pas l’impact.

Au final, l’enthousiasme naît avant tout de l’adéquation entre la musique et sa représentation tandis que surgit, inévitable, la question : comment interpréter une telle vision ? La suite au prochain numéro…

Christophe Rizoud
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