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LYON
01/12/05
 M. Minkowski © DR

Jacques OFFENBACH (1819-1880)

DIE RHEINNIXEN

Opéra romantique en quatre actes (1864)
Livret de Charles Nuitter & Jacques Offenbach
Version allemande de Alfred von Wolzogen

Armgard, Brigitte Hahn
Hedwig, Maria Riccarda Wesseling
Franz, Endrik Wottrich
Conrad, Brett Polegato
Gottfried, Nicolas Cavallier
La Fée, Cassandre Berthon
Un Militaire, un Paysan, Eberhard Francesco Lorenz

Orchestre & Chœurs de l'Opéra de Lyon
Marc Minkowski

Opéra de Lyon, le 01 décembre 2005

En 2002, le festival de Montpellier avait révélé au public médusé que la barcarolle "hoffmannienne" fredonnée, l'œil humide et la lèvre tremblante, depuis des lustres par de gentilles grands-mères aux cheveux bleutés, était une auto-citation d'Offenbach lui-même arrivant au bout de son parcours créateur. Mieux, elle était même le thème principal d'un opéra romantique du "Mozart des Champs-Élysées" composé pour Vienne en 1864 ! Loin de la Venise des Contes le thème baignait cette fois les pieds d'elfes, sylphes et autres ondines rhénanes.

Créée donc en 1864, l'œuvre avait plus ou moins séduit, plus ou moins convaincu le public, même si le compositeur semble avoir été, lui-même, globalement assez satisfait de la fortune de sa partition. Hanslick, le grand Hanslick (le cacochyme Hanslick, surtout) trouvait, lui, de "nombreux détails beaux et spirituels" au fil de ces pages ! Autant dire que l'ensemble a dû paraître à l'époque d'une belle qualité ! Et pourtant… Et pourtant il ne s'est pas fixé au répertoire… Du moins dans le passé, puisque outre Montpellier il y a trois ans, Ljubljana et Trèves ont déjà programmé des versions scéniques de ces Fées.

Ce n'est finalement que justice puisque l'œuvre vaut beaucoup mieux que la réputation moyenne de musique facile généralement accolée à la production de "l'amuseur" Offenbach. Le livret est même d'un sérieux très convenu (ce dont l'Opéra de Lyon ne permet pas vraiment de se rendre compte… puisque synopsis mis à part, les Fées n'ont pas droit au surtitrage), narrant les amours contrariées d'Armgard et de l'amnésique Franz, son fiancé… le tout sous l'œil matriarcal d'Hedwig… et sur fond de guerre menée par le méchant Conrad. Autant dire qu'il a fallu à Offenbach beaucoup de talent, voire un certain génie, pour soutenir l'intérêt. Et il y parvient (et même très bien) avec son art très fin de l'orchestration, de l'atmosphère (voir la manière dont il installe le climat lunaire, absent, de l'entrée de Franz), d'une certaine emphase aussi. Le compositeur joue aussi des conventions du genre (ballet, chœurs, ensembles gigantesques et diaboliquement agencés) avec une intelligence du drame qui hisse finalement l'œuvre à un niveau plus que respectable.

Y a-t-il aujourd'hui meilleur chantre d'Offenbach que Marc Minkowski ? Ces Fées démontrent amplement le talent du chef, ses affinités électives avec le compositeur, mieux sa compréhension subtile et intime des enjeux de sa musique en général et de celle-ci en particulier. Proposant une version un rien réduite (ce qui fait que Cassandre Berthon, annoncée dans le programme… ne chante pas!) mais du coup parfaitement adaptée à la scène (et surtout à une scène de concert), Minko joue ici plus qu'ailleurs peut-être de son geste large, de sa formidable capacité à innerver le tissus orchestral. Dès l'ouverture, il soulève le spectateur, le porte, l'emporte au gré d'un drame balayé par une puissante lame de fonds, par une furia permanente. Le chef consent pourtant, passées de métronomiques pages militaires, à lâcher la bride à son orchestre, moelleux, ciselé, vaporeux dans l'entrée de Franz au I, dans la complainte d'Hedwig au II ou dans toute la scène des elfes au même acte. De cette scène, justement, il fait la parente du Freischütz et de sa cauchemardesque "Gorge aux loups" avec une précision maniaque de touche, de dynamique, de couleur, inventant des enluminures chatoyantes animées de follets virevoltants, détaillées comme un Disney des meilleures années. Même la grande valse du II menée tel un crescendo infini, sculptée, bouillonnante mais toujours exquisément dansante passera ici pour une grande page… ce qu'elle n'est à l'évidence pas vraiment. Bravo Minko !

Las… Que le chef n'a-t-il hérité d'un couple de héros mieux apparié… mieux chantant en fait. Hérissé de vocalises, d'aigus dardés, assis aussi sur un registre grave souvent sollicité, le rôle d'Armgard ressortit, du point de vue du caractère (du chant aussi, mais plus ponctuellement) au même monde que les victimes weberiennes ou que les "blondes" wagnériennes. Brigitte Hahn tient bien la tessiture. Elle a même toutes les notes du rôle, et bien sonnantes qui plus est. Elle a toutes les notes donc… mais molles, fades, toujours uniment cossues. Où est la flamme, la jeunesse, et l'amour, et l'ardeur chez cette Antonia apathique, popote et spectatrice de son destin ? Que cela tienne au rôle lui-même ou à l'artiste, peu importe puisque l'ennui est là et bien présent, lui! D'autant que son fiancé n'a pas plus fière allure. On peine même à reconnaître derrière cette voix engorgée et ce masque grimaçant le Endrik Wottrich si fin poète et tendre barde irradiant les Oiseaux de Braunfels, par exemple. Jour de méforme sans doute, le ténor en mal d'imagination pousse la note, claironne (et encore ledit clairon n'est-il pas toujours d'une projection très franche), peine, glisse, chuinte, en délicatesse avec ses registres sans même leur conserver le beau nimbe doré qu'on lui connaît… que l'on adore.

Bref, il faudra aller chercher du côté des voix "graves" de vraies satisfactions. Du côté de Nicolas Cavallier par exemple, qui file superbement sa prière du I, timbre long, chaud, miel épais à la vibration naturelle et d'une tendresse émue. Maria Riccarda Wesseling qui est plus un soprano dramatique qu'un vrai mezzo (elle a même beaucoup de la jeune Behrens… à quelques incertitudes près) a du chien, elle, à défaut d'avoir vraiment toutes ses notes. Mère éprouvée, véritable mater dolorosa en fait, elle affirme une présence rude, femelle, primale qui, même cruellement mise à mal dans les ensembles, emporte l'adhésion (duo anthologique avec Conrad au III).

C'est enfin du côté du Conrad de Brett Polegato que l'on glanera les moments incontournables de la représentation. Chef de guerre jouisseur, hâbleur, sanguin, il joue d'une voix naturellement fauve de baryton clair mais acéré (et d'une justesse chirurgicale) pour tracer d'un trait de plume vif un portrait vipérin mais toujours fluide jusqu'à l'affaissement, l'humanisation finale (acte III). Une vraie merveille !

L'œuvre valait peut-être mieux que cette demi-réussite. Elle méritait au moins un couple d'amoureux à la hauteur du reste de la distribution et de la vision d'un chef décidément indispensable dans ce répertoire, incomparable magicien des sons. Mais ces Fées longtemps oubliées existent ici, vivantes enfin et vivifiantes. Alors bis

Benoît Berger
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