OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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LILLE
07/05/2008


Stacey Tappan (Gilda) & Stefano Antonucci (Rigoletto)
© Frédéric Iovino


Giuseppe Verdi (1813-1901)

RIGOLETTO

Mélodrame en 3 actes
Livret de Francesco Maria Piave d’après Le Roi s’amuse de Victor Hugo
Créé le 11 mars 1851 au Théâtre de la Fenice à Venise

Direction musicale : Roberto Rizzi Brignoli
Mise en scène : Yves Beaunesne

Décors : Damien Caille Perret
Costumes : Patrice Cauchetier
Lumières : Joël Hourbeigt
Collaboration artistique à la mise en scène : Jean Gaudin
Assistante à la mise en scène : Valérie Nègre
Chef de chant : Nathalie Steinberg
Coach de langue : Dario Maughelli
Création maquillage : Catherine Saint Sever

Le Duc de Mantoue : Dimitri Pittas
Rigoletto : Stefano Antonucci
Gilda : Stacey Tappan
Sparafucile : Ilya Bannik
Maddalena : Ursula Hesse von den Steinen
Giovanna : Isabelle Vernet
Monterone : Kristof Klorek
Marullo : Jeremy Carpenter
Matteo Borsa : Jason Bridges
Le Comte de Ceprano : Josep Ribot
La Comtesse de Ceprano : Donatienne Milpied
Huissier : Kim Ta
Page : Gilles Safaru

Orchestre National de Lille
Chœur de l’Opéra de Lille

Nouvelle production
coproduction Opéra de Lille/Opéra de Dijon


Lille, le 7 mai 2008

Du théâtre et du chant…


Un long temps a été donné par Caroline Sonrier, directrice de l’Opéra de Lille, à Roberto Brizzi Brignoli et Yves Beaunesne (déjà présent l’an passé à Lille pour une lecture inhabituelle de Werther) pour accoucher de ce Rigoletto atypique. Force est de constater la complicité des deux artistes, et la cohérence de leur vision. Ceux qui attendaient dans Rigoletto les fastes mille fois vus de la cour de Mantoue, ruisselante de luxe et de décors, ont été déçus.  Yves Beaunesne, homme de théâtre, découvre Verdi avec l’œuvre, et en donne une vision nourrie de ses propres références : pas celles de l’opéra et de ses conventions, particulièrement fortes ici, mais plutôt celles du cinéma, avec un profond travail d’analyse des caractères. Le plateau est très dénudé, seules quelques silhouettes de baraques en bois évoquent tantôt le palais, tantôt la roulotte de Gilda, dans une station balnéaire chic et impersonnelle. Une scène trop nue pour certains, mais un dispositif diablement efficace pour éluder les difficultés des multiples lieux scéniques requis par le livret, et pour laisser aux personnages et au chœur un espace comme page blanche où écrire le drame. Un décor comme simple allusion, pour accueillir une cour aux bains, élégante et désœuvrée, pour qui le seul jeu vraiment amusant est de faire du bouffon Rigoletto et de sa fille des quilles à chambouler. Mélange explosif de rire grinçant, de crédulité, de corruption, de mensonge et de pureté, sous la direction, non, la caméra, de Beaunesne. Pour une fois, on se félicite d’avoir emmené ses jumelles, tant le travail d’acteur est abouti, et on détecte même le septième art dans le maniement subtil des groupes de personnages : travelling du chœur, placement du soliste dans le champ principal, et dans celui des éclairages. Beaunesne cinéaste ? C’est en tout cas le geste du chanteur qui donne souvent le contrepoint des paroles dans la caractérisation du moment.

Roberto Rizzi Brignoli ne se réclame pas de sa filiation italienne pour diriger Verdi. Tout assistant de Muti qu’il fut, nourri au lait de la Scala, il déclare d’emblée que « la tradition c’est peut-être un ensemble de fautes ». Jolie formule, traduite par ici par une lecture comme décapée. Pour lui, Rigoletto est une œuvre bâtie sur le récit, le dialogue (les fameux duos de Rigoletto), le déclamé. Donc, ne jamais s’écouter faire de la musique, mais avancer, enchaîner, se calquer sur la progression et le rythme des changements psychologiques des personnages. Du rythme, de la mobilité contrôlée, des effets dynamiques et nuances appuyés, et parfois, si, un temps de silence, quand le monde s’écroule. Direction affutée, ciselée, et dans cette belle acoustique de Lille, un équilibre magique entre voix et fosse, où se tient le dernier protagoniste du drame, l’orchestre, qui déclame lui aussi notamment à travers les interventions solistes. Un orchestre de Lille (ou du moins une partie, l’autre en tournée au Maroc) à qui on peut pardonner les quelques dérapages (pauvres cuivres à qui Verdi demande beaucoup en ouverture…) car il semble sous une telle baguette prendre du plaisir à se retrouver en fosse.


Stacey Tappan (Gilda) & Dimitri Pittasi (Duc de Mantoue)
© Frédéric Iovino


Au-delà de cette fusion, la principale réussite du spectacle tient à la distribution vocale.  Honneur au chœur d’hommes de Lille : c’est splendide, ductile, homogène, et la diction de l’italien superlative car travaillée. Stefano Antonucci est un habitué du rôle de Rigoletto, mais c’est aussi un acteur, et cela se sent : il donne du bouffon une incarnation subtile et complexe, hors de toute caricature,  offrant de vrais instants de tendresse et de rage. Le chant se calque sur le drame, sans souci de plastique sonore, mais diablement prenant. Dimitri Pittas, issu de la MET Fondation, avait effectué la prise du rôle du Duc à Bordeaux en 2006. Depuis, la voix semble avoir évolué : la puissance n’évite pas toujours l’écueil de la dureté, mais timbre solaire, présence scénique, vaillance sans faille, évoquent quelque chose du jeune Pavarotti dans l’allure et la prise de risques. Très belle Gilda, dont Stacey Tappan cumule prise de rôle et première présence scénique en France : son air « Gualtier Maldé » est bouleversant, et c’est dans ce registre  de naïveté passionnée qu’elle convainc le mieux. C’est une très belle découverte de l’équipe de Lille, soprano colorature aux aigus d’une douceur splendide, issue de l’opéra-studio de Chicago. A suivre de très près. Aucune faiblesse dans le reste de la distribution, où l’on remarque aussi la basse puissante et claire de Ilya Bannik en Sparafucile., et l’autre basse profonde de Kristof Korek en Monterone.



Sophie ROUGHOL

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Prochaines représentations :

Les 10, 12, 15, 17, 20, 22, 25 Mai 2008
www.opera-lille.fr

 
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