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TOULOUSE
28/11/2006
  
Le Duc de Mantoue : Stefano Secco / Maddalena : Elena Cassian
Gilda : Aleksandra Kurzak / Rigoletto : Alexandru Agache
© Patrice Nin

Giuseppe VERDI (1813-1901)

RIGOLETTO


Opéra en trois actes
Livret de Francesco Maria Piave
D’après le drame de Victor Hugo Le Roi s’amuse

Mise en scène, Nicolas Joel
(Réalisée par Patrick Lassale)
Décors et costumes, Carlo Tommasi

Il Duca di Mantova, Stefano Secco / Dario Schmunck *
Rigoletto, Alexandru Agache / Stefano Antonucci *
Gilda, Aleksandra Kurzak / Annamaria Dell’Oste *
Sparafucile, Balint Szabo
Maddalena, Elena Cassian
Giovanna, Catherine Alcoverro
Il Conte di Monterone, Rubén Amoretti
Marullo, Paul Kong
Matteo Borsa, Sébastien Guèze
Il Conte Ceprano, Vladimir Stojanovic
Un paggio della duchessa, Laure Crumière

* 25 et 29 novembre, 2 décembre

Chœur du Capitole
Direction, Patrick Marie Aubert

Orchestre National de Capitole
Direction musicale, Roberto Rizzi Brignoli

Toulouse, ce 28 novembre

Il est des opéras comme des boissons. Certaines, plus fortes que d’autres, excitent et exaltent. Rigoletto en fait partie. L’œuvre est un cocktail où des personnages antithétiques par nature ou mis en opposition par leurs désirs sont réunis et agités dans le shaker du destin ; le breuvage final est un concentré d’amertume dont la force fait oublier que la détresse du père étreignant la dépouille de sa fille est la rétribution de sa laideur morale.

C’est bien ainsi que fonctionne la mise en scène visible en ce moment à Toulouse, conçue voici près de 15 ans, et dont chaque reprise confirme l’efficacité. Le huis clos derrière lequel Rigoletto s’imagine pouvoir préserver la pureté de sa fille concrétise son illusion, à la fois comique et pathétique : lui qui participe jour après jour à la malignité générale, veut croire qu’il pourra la soustraire aux prédateurs pour qui les femmes, purs objets sexuels par nature, donc inconstantes et indignes de foi, sont à prendre de gré ou de force.

Malgré les hautes murailles richement décorées et les costumes luxueux, Mantoue n’est qu’un cloaque où les valeurs morales traditionnelles sont bafouées à longueur de temps, où l’on tue pour pas grand-chose et où personne n’est épargné : la gardienne Giovanna trahit la confiance de son employeur, le spadassin « honnête » finit par fausser le contrat conclu. A cet égard la première scène donne le ton, avec cette mêlée de jeunes courtisans aux prises avec de jeunes femmes qui semblent à la fois accompagner et subir leurs assauts et la dérision qui accueille les protestations du père outragé, Monterone.

Incarner Rigoletto est une gageure ; non seulement l’interprète doit adopter des postures contrefaites pour montrer la difformité physique à l’origine de la fonction de bouffon, mais encore exprimer des sentiments multiples parfois contradictoires, et allier expressivité et beauté de la ligne vocale. Sans être à dédaigner, le Rigoletto d’Alexandu Agache nous a semblé un peu en retrait par rapport à ces exigences. S’affranchissant de la première contrainte par une boiterie discrète et intermittente, il ne lie pas de façon convaincante, c'est-à-dire imperceptible, les aspects complémentaires sur le plan vocal. Tantôt basculant vers le vérisme, avec des sons engorgés, tantôt chantant clair mais de peu de poids, il ne donne pas au personnage la force de conviction qui doit le rendre irrésistible.

Ses partenaires, en revanche, sont sans reproche. Aleksandra Kurzak remporte un succès mérité ; soprano léger mais voix ronde jusque dans le grave, aigus flûtés, belle tenue du souffle, piani bien contrôlés, agilité satisfaisante, elle a en outre une présence scénique excellente, révélée dès la première scène, où elle exprime très justement la pudeur inquiète et le trouble physique que la proximité du séducteur suscite chez Gilda.

Stefano Secco est tout à fait crédible dans le rôle du prince dévoyé dont le cynisme vacille au contact de la pureté de Gilda ; sa voix, homogéne sur toute l’étendue, nous semble avoir grandi depuis sa Manon de Genève et il chante les airs célèbres avec élégance, facilité et conviction. Peut-être un soupçon d’abandon donnerait-il un charme supplémentaire à un timbre qui manque un peu de lumière.

Remarqué dans Don Carlo la saison dernière, Balint Szabo est un Sparafucile éloigné de la caricature ; il dose subtilement la bonhomie de l’artisan « honnête » qui renâcle à tromper un client et l’autorité tranquille du spécialiste, à la fois souteneur et tueur à gages. Le refus de l’outrance aussi bien scénique que vocale confirme un artiste de qualité.

Sa complice, pour qui la parole donnée et l’homicide ne sont pas des obstacles à ses désirs, prend grâce à Elena Cassian une consistance équivalente. Chantant sans poitriner, elle donne à son personnage secondaire un relief scénique et vocal de premier plan. Aussi le trio entre Sparafucile, Maddalena et Gilda à la scène 6 de l’acte III est d’une qualité rare.

Si Ceprano est assez terne, Monterone et Marullo sont bien servis par Rubén Amoretti et Paul Kong, comme Giovanna l’est par Catherine Alcoverro.

Les chœurs à l’insolence et à la cohésion requises, ont la qualité habituelle au Capitole.
C’est vrai aussi de l’orchestre, que Roberto Rizzi Brignoli, dirige avec une énergie sans faiblesse et une maîtrise remarquable. Le rythme épouse le climat de chaque scène, mélodie et contrepoint se font entendre simultanément, toute la richesse dramatique et expressive de la musique est restituée, la tension croît mais le lyrisme n’est pas sacrifié, dans un équilibre sonore entre fosse et plateau que les scansions portent à incandescence sans mettre à mal les chanteurs. C’est vraiment très beau, et le public qui acclame le plateau ne s’y trompe pas.
Rigoletto, si c’est bien fait, c’est de l’excellente musique !



Maurice SALLES
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