C O N C E R T S 
 
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LYON
28/02/05

© Gérard Ansellem
LE ROI MALGRÉ LUI

Emmanuel CHABRIER

Henri de Valois, roi de Pologne : Nicolas Rivenq
Minka: Magali Léger
Le duc de Fritelli : Laurent Naouri
Alexina, duchesse de Fritelli: Maryline Fallot
Le comte de Nangis : Yann Beuron
Laski, grand palatin : Franck Leguérinel
Basile/Liancourt : Didier Roussel
Elbeuf : Brian Bruce
Maugiron : Paolo Stuppenengo
Le comte de Caylus : Charles Saillofest
Le marquis de Villequier : Bertrand Chuberre
Un Soldat : Jacques Gomez
Comédiens: Bruno Andrieux, Olivier Sferlazza, Jean-Benoît Terral

Mise en scène & costumes: Laurent Pelly
Dramaturgie: Agathe Mélinand
Décors: Bertrand Legoux
Eclairages: Joël Adam
Collaborateur artistique: Lionel Hoche

Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Lyon
Evelino Pido


© Gérard Ansellem

Lyon, le 28 février 2005

D'Indy n'a pas laissé beaucoup de chance à Chabrier de se construire une postérité "sérieuse" en le qualifiant d' "ange du cocasse"... Cosima Wagner non plus, trop ridicule cependant par son culte maniaque de l'époux génial pour être prise au sérieux, lorsqu'elle parle à son sujet de "trivialités de café-concert" ! Le compositeur d'España ne mérite cependant ni dédain ni oubli. Car véritable autodidacte, enfantant ses oeuvres d'une plume douloureuse, il dépasse bien des clivages, maître "futuriste" presque, annonçant Debussy (l'apparition de Minka au I, ici, a bien des couleurs de Pelléas), tendant la main aux Messager et Satie à venir.

Aurait-il eu un livret plus épais, moins prosaïque que le Roi malgré lui, délirant conte des tribulations de notre Henri III national exilé en Pologne, eût pu être un authentique chef-d'oeuvre. Il peut sembler pourtant bien difficile d'accès, sans ces morceaux "fermés" qui se fredonnent au saut du lit, et cependant nourri d'une incroyable sève mélodique, tirant à hue et à dia, jouant de la naturelle bigarrure d'une orchestration diaboliquement minutieuse, hors- cadre elle aussi.

On sait donc, par principe, un gré infini à l'opéra de Lyon d'offrir à nouveau au public cette oeuvre inclassable, dans une réalisation à la fois remarquable de finesse et d'une fraîcheur que l'on dirait improvisée. Car on aime le parti pris de Laurent Pelly de nous offrir là la vision d'un savoureux work in progress, d'une répétition plus vraie que nature, parcourue d'artistes en frac vite habillés aux couleurs du XVIème siècle, objectivant l'historicisme pompeux du livret original. On aime ce théâtre à mi-chemin du prologue d'Ariane et du décor bien connu de l'Orphée du même Pelly. On aime la précision du détail, la troupe des régisseurs et machinistes affairés, le faux-semblant décalé des toiles peintes que l'on amène à la hâte derrière les chanteurs, cette manière unique de chorégraphier les évolutions, les gestes, les regards de chacun, d'organiser aussi ce joyeux désordre. On aime cette furia, cette redondance des intertitres, ce monde très référencé entre le burlesque alla Buster Keaton et l'absurde des Monty Python. On aime enfin la manière ludique de surjouer les situations, de désamorcer les longueurs un peu poussives de l'action d'un simple clin d'oeil (incroyables le running gag des mousquetaires portant épées, capes et ferrets pour sauver la bonne madame Bonnassieu comme aussi la vision de Nangis se cherchant en coulisses une chaise pour mieux patienter pendant la déclaration d'amour de Minka).


© Gérard Ansellem

Que dire alors de la direction de Pido, si ce n'est qu'elle joue à fond la carte de l'équilibre, des alliances de timbres, de la polyphonie délicate, mais aussi de la virtuosité, de la brillance débridée, vigoureuse, à la délicatesse de touche de l'estompe. En cela le chef est plus que solidement secondé par un orchestre gouleyant qui s'amuse, autant sans doute que le choeur vocalement superlatif et scéniquement désopilant.

Que dire enfin de la distribution qui se donne à entendre ici ? Qu'on en redemande, tout simplement ! Qu'on voudrait plus souvent des Minka aussi fines actrices et musiciennes que Magali Léger. La chanteuse bluffe ici son monde, petite soeur de Lakmé dans l'alanguissement de ses poses mystérieuses, noyées d'ombres changeantes, musquée, souple comme une liane, mais aussi enivrée d'une virtuosité éméchée. Parfaite aussi de ton la duchesse virago de Maryline Fallot, exubérante hystérique laryngée et géniale dans sa scène d'équipées vénitiennes nauséeuses ! Yann Beuron, lui, s'avère un Nangis excellent, dans ce rôle qui lui demande ce qu'il a de meilleur dans la voix, la verve, le sourire, l'emportement amoureux de la ligne face à Minka, le rayonnement de l'aigu avec ce petit plus que lui demande Pelly, cette irrésistible silhouette empotée de Roméo de supérette. On aime aussi le Laski farouchement ridicule de Leguérinel, sa voix cuivrée et sa trogne alla Ustinov. On reste saisi par le Fritelli virtuosement cauteleux et pleutre à souhait de Naouri, à la voix concentrée comme rarement, brillante et semblant ne devoir connaître aucune limite. On sera peut-être, pour finir, plus dubitatif sur la prestation de Nicolas Rivenq qui a pu sembler fatigué et vaguement gêné aux entournures par la tessiture de son Henri de Valois, et ce malgré un panache véritablement royal (et plus encore même), malgré aussi ses couleurs aiguisées, affûtées à la manière d'un baryton Martin, malgré enfin des demi-teintes et un art de l'allégement qui font rêver.

Un enregistrement doit suivre a-t-on appris, et l'on se permettra d'espérer une captation vidéo car il y a là un monument d'humour, un ton unique, une délicate pointe de surréalisme qui font que cette oeuvre est plus que réhabilitée, elle nous devient simplement in-dis-pen-sable.
 
 

Benoît BERGER
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