C O N C E R T S 
 
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AVIGNON
18/03/05
Le Choeur de l'Opéra-Théâtre d'Avignon
© DR
SOIREE ROSSINI

Première partie

Giovanna d'Arco
Cantata pour soprano et piano

Ave Maria
pour soprano,mezzo-soprano,ténor, basse et piano

Motetto
pour soprano, mezzo-soprano, ténor, basse, piano et harmonium

La nuit de Noël
pastorale pour basse et piano

Deuxième partie

Petite Messe Solennelle

Solistes : 
Karen Vourc'h : soprano
Svetlana Lifar : mezzo-soprano
Florian Laconi : ténor
Fernand Bernadi : basse

Florence Goyon-Pogemberg : piano
Muriel Bérard : piano
Jean-Marie Puli : harmonium

Choeurs de l'Opéra-Théâtre d'Avignon et des pays de Vaucluse
Direction musicale : Stephano VISCONTI

Opéra-Théâtre d'Avignon et des Pays de Vaucluse
18 Mars 2005

Au programme de ce concert, des oeuvres appartenant toutes à la période où Rossini, après le semi échec de Guillaume Tell et la révolution de juillet 1830, cessa de composer des opéras. De la cantate Giovanna d'Arco, écrite en 1832 à Paris, à la Petite Messe Solennelle de 1863, dédiée à la comtesse Pillet-Will, en passant par des compositions tirées de l'ensemble intitulé Péchés de Vieillesse, ce panorama de trente ans de créativité permet de découvrir un Rossini qui, délivré des contraintes de la scène et de la pression du goût du public, écrit la musique qu'il aime et se révèle dans son intimité.

Giovanna d'Arco, cantate de chambre accompagnée au piano, est expressément dédiée à Olympe Pélissier dont Rossini venait de faire la connaissance à Aix-les-Bains. Articulée en deux airs précédés chacun d'un récitatif, elle offre à l'interprète l'occasion de briller d'abord dans le registre méditatif, lorsque Giovanna évoque sa mère dans un andantino grazioso, puis dans le registre virtuose : le deuxième air, en effet, commence maestoso par une vocalisation sur un thème repris de Maometto II (air de Calbo : "Non temer d'un basso affetto..."), enchaîne sur de multiples groupes de demi croches et s'achève sur une cabalette avec reprise qui laisse le champ libre à la technique éblouissante de la cantatrice. La chronique a retenu que le 1er avril 1859, Rossini en personne accompagna la grande Marietta Alboni, réputée pour l'égalité et l'intensité de sa voix de contralto.

Svetlana Lifar, naguère Rosina à Fourvières, est un vrai mezzo-soprano et ses graves sont impressionnants. Mais Rossini requiert plus qu'un timbre, qu'une tessiture, il lui faut aussi une agilité qui manque nettement ici. Quelques sons engorgés et dans les joues achèvent de mettre à mal ce morceau de bravoure. Par la suite, dans les pièces à plusieurs, moins exposée, la jeune cantatrice semblera beaucoup plus à son aise. Muriel Bérard, au piano, réussit d'autant mieux à être une partenaire à part entière et non un simple faire-valoir.

D'inspiration religieuse et destinés à un quatuor vocal avec accompagnement d'harmonium pour l'Ave Maria et de piano pour le Motetto, les oeuvres qui suivent on retient qu'ils sont visiblement des pièces de circonstance, écrites pour complaire à tel solliciteur, et qu'elles offrent aux voix l'occasion de se singulariser dans l'expression du texte, mais la virtuosité est beaucoup moins démonstrative, ce qui s'accorde au caractère d'intimité et aux dimensions réduites de musiques qui n'ont pas été produites pour des exécutions de concert, a fortiori dans les conditions qui prévalent aujourd'hui.

La première partie s'achève sur une pastorale pour La nuit de Noël qui rassemble les choristes de l'Opéra, piano et harmonium, autour d'une basse. Dans ce répertoire nouveau pour eux, les choeurs sont remarquables de cohésion et de précision. La basse est une vraie basse, la projection et l'articulation n'appellent aucune réserve. Mais chanter est-il à ce point douloureux ? On a sans cesse l'impression que l'artiste est à la torture, ce qui n'a vraiment rien de rossinien !

La pièce maîtresse du concert, à savoir la célèbre Petite Messe Solennelle, était donnée en première audition en Avignon, dans sa version originale - ou presque, car l'effectif des choristes était supérieur à celui voulu par Rossini, mais ne chicanons pas. Petite car conçue pour douze chanteurs (huit choristes et quatre solistes), deux pianos et un harmonium, et Solennelle parce que réunissant tous les éléments de la célébration liturgique.

C'est une oeuvre fascinante, qui échappe à la grandiloquence des stéréotypes de la musique sacrée de son époque. Le dépouillement de l'accompagnement et son apparente simplicité nous semblent un superbe pied de nez de Rossini à ceux qui l'avaient enseveli de son vivant dans les limbes du passé, tant cette musique sonne moderne, en particulier dans ses rythmes, surtout au piano. En outre, dans ce testament, Rossini rend hommage aux musiciens qu'il révère, envers et contre la mode, Palestrina et Jean-Sébastien Bach, par exemple dans les finales en forme de fugue pour le Gloria et le Credo et dans le solo de piano au moment de l'Offertoire, apportant un démenti souriant à feu son maître, le Père Mattei, qui désespérait de le voir maltraiter le contrepoint, et peut-être avec l'espoir de lui offrir la satisfaction posthume d'une composition irréprochable de ce point de vue. Telle qu'il l'a composée, cette messe rassemble tout son savoir et tout ce qu'il aime, mais il cache la complexité avec élégance, de la même manière qu'il refuse le pathos. (De ce point de vue, la version orchestrale qu'il se résoudra à écrire trois ans plus tard viendra alourdir quelque peu la fluidité initial ).

Les exécutants font tous de leur mieux, avec des résultats inégaux. Les choristes, dont nous avons souligné la qualité du travail dans la pastorale, chantent le Christe Eleïson a cappella avec une justesse d'expression qui émeut. Dans le Qui tollis peccata mundi, qu'elle chante en duo avec Svetlana Lifar et, du reste, dans toutes ses autres interventions, comme le Crucifixus, la soprano Karen Vourc'h réussit à produire l'effet souhaité par Rossini : une voix blanche mais assez timbrée pour rester juste et juste assez vibrante pour émouvoir, bel exploit d'équilibriste et superbe démonstration de maîtrise. Dommage pour nous que Florian Laconi, le ténor, n'ait pas suivi cet exemple. Il paraît surtout soucieux de tenir toute la place possible dans l'ensemble vocal, forçant par moments d'une manière qui aurait probablement déplu à Rossini. Certes, le Domine Deus a un rythme de marche, mais c'est un acte de foi, non un retour triomphal. La conviction de Fernand Bernadi semble entière dans le Quoniam mais il donne toujours autant l'impression de souffrir. Les choristes, encore eux, triomphent des fugues avec discipline et musicalité.

Déception, donc, à l'égard des solistes, à la brillante exception de Karen Vourc'h, satisfecit pour les pianistes, particulièrement Florence Goyon-Pogemberg qui assume avec maestria la partie du premier piano dans La Petite Messe Solennelle et Jean-Marie Puli efficace à l'harmonium.

Mais, surtout, un grand bravo à Stefano Visconti, maître d'oeuvre de cette soirée et qui a oeuvré avec ténacité pour qu'elle ait lieu. Spécialiste de la direction des choeurs, il est à la tête de celui de l'Opéra d'Avignon et il a assumé la préparation ainsi que la direction musicale du concert. D'un bout à l'autre, nous avons été frappé par la clarté et la pertinence de ses choix, et par un effort constant pour rester au plus près des indications du compositeur. C'est donc surtout à lui que s'adresse notre gratitude de mélomane heureux d'avoir entendu en Avignon un chef-d'oeuvre encore ignoré de beaucoup. Merci également, cela va sans dire, au programmateur de ces concerts hors des sentiers battus. On souhaiterait retrouver cet anticonformisme dans les titres de la saison d'opéra...
 
 

Maurice SALLES
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