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LAUSANNE
06/03/05

© Opéra de Lausanne
La Grotta di Trofonio (1875)

Antonio SALIERI (1750-1825)

Dramma giocoso en deux actes
Livret de Gianbattista Casti.

Olivier Lallouette (Aristone),
Raffaella Milanesi (Ofelia),
Marie Arnet (Dori),
Nikolaï Schukoff (Artemidoro),
Mario Cassi (Plistene),
Carlo Lepore (Trofonio).

Marcial Di Fonzo Bo (mise en scène),
Marcial Di Fonzo Bo et Peter Wilkinson (décors),
Pierre-Jean Larroque (costumes),
Maryse Gautier (lumières),
Coralie Barthélemy (collaboration artistique).

Choeur de l'Opéra de Lausanne
Christophe Talmont (Chef de choeur),
Les Talens Lyriques,
Christophe Rousset (direction musicale)

Lausanne, Théâtre Municipal
Le 6 mars 2005

Salieri réhabilité 

Comment ne pas penser à Mozart ? Ne pas voir le visage sévère et anguleux de Salieri du film Amadeus de Milos Forman ? Ne pas avoir d'à priori sur la musique de celui qu'une tenace légende présente comme le présumé "assassin" du divin Mozart ? Et pourtant. Qui s'est inspiré de qui ? Difficile de trancher. Entre leurs musiques, que de similitudes. Cette re-création lausannoise le prouve à plus d'une occasion. Certains accents de l'opéra d'Antonio Salieri pourraient être directement importés de Così fan tutte ou de La Flûte Enchantée si ceux-ci n'étaient pas postérieurs à La Grotta di Trofonio ! Est-ce la patte de Christophe Rousset qui donne à son ensemble un corps harmonique plus dense et plus charnu qu'à l'accoutumée, plus près de la manière d'un René Jacobs que des premières heures, étriquées, du "renouveau" baroque ? Reste que cette manière convaincante d'aborder ce répertoire sert admirablement le compositeur, le menant ainsi à une réhabilitation amplement méritée.

Si les similitudes musicales sont évidentes, le même rapprochement pourrait être fait entre ce livret de Gianbattista Casti et ceux que Lorenzo da Ponte allait imaginer pour son pote Mozart. Dans l'habile argument imaginé par Casti, le chassé-croisé de personnages sur fond de fantastique préfigure un certain Così ? On sait qu'à cette époque, da Ponte, auparavant librettiste de Salieri, vivait des moments économiques difficiles. Guère en odeur de sainteté auprès de la Cour d'Autriche dans cette période précise de son existence, il n'avait pas été pressenti pour versifier cet opéra. Qui sait si, dans la similitude d'arguments, ne se cachait pas une adroite vengeance à l'encontre de Casti qui, bien malgré lui, le snobait quelques années auparavant ?


© Opéra de Lausanne

Dans cette farce, la théâtralisation joue d'évidence un rôle majeur. Dès lors, qui mieux qu'un acteur pouvait mettre en scène cette comédie. Pour sa première mise en scène d'opéra, l'hyper doué Marcial Di Fonzo Bo se glisse admirablement dans cette comédie en projetant une foule de gags du meilleur esprit. Mais, nous ne sommes pas qu'au théâtre. Nous sommes à l'opéra et le comédien français réalise un véritable tour de force en dirigeant cette bouffonnerie. Il conduit ses acteurs avec un comique déjanté de Branquignols, tout en restant constamment attentif aux rythmes de la musique de Salieri. Tout cela est si joliment conçu, qu'on ne voit plus qui du musicien ou du metteur en scène dirige vraiment l'oeuvre.

Certes, pour se faire, il s'accompagne de décors mouvants qui s'intègrent parfaitement à l'action comme ces arbres aux branches ployant jusqu'à terre pour exacerber le mystère qui circonvient la grotte du mage Trophonius. De toute la distribution, la basse Carlo Lepore (Trofonio) domine le plateau. Superbement centré, son instrument vocal est impressionnant de Si l'abattage d'Olivier Lallouette (Aristone) convient assez bien au personnage qu'il campe, c'est avec une plus grande diversité de couleurs et de nuances qu'il aurait pu incarner ce père que sa progéniture plonge dans le désespoir. Le ténor autrichien Nikolaï Schukoff (Artemidoro) s'est parfois trouvé aux limites de ses moyens, mais sa musicalité et son phrasé belcantistes confèrent une belle chaleur à son interprétation. De son côté, le baryton Mario Cassi (Plistene) n'a manifestement éprouvé aucune difficulté à s'envoler sur toute la tessiture de sa voix. Les deux rôles féminins sont à la hauteur de l'excellent plateau présenté à Lausanne. Si Raffaella Milanesi (Ofelia) semble théâtralement plus empruntée que lors de ses précédentes apparitions (on pense à son excellente prestation en Norina dans Don Pasquale), elle offre néanmoins quelques beaux morceaux de chant très agréablement distillés même si on eut préféré qu'elle atteigne un volume plus en rapport avec celui de ses collègues. Comédienne au comique subtil, Marie Arnet (Dori) comble son auditoire par une palette extrêmement variée. Vertueuse ou dévergondée, sa manière d'aborder un personnage très versatile est un régal de chant et de théâtre.

Si l'heureuse réhabilitation d'Antonio Salieri est un réel bonheur pour tous lesmélomanes, la réussite de cette démarche revient sans conteste à la vivacité de la mise en scène de Marcial di Fonzo Bo et à l'intelligence de Christophe Rousset qui ont laissé s'exprimer la musique sans la charger d'intellectualisme. L'Opéra de Lausanne a osé le pari d'une production qui renoue avec le meilleur du spectacle d'opéra, mêlant le rêve au divertissement. Ainsi, c'est un grand coup de chapeau qu'on doit tirer à François-Xavier Hauville qui confirme la réussite d'une saison magnifique au moment où il a été décidé de ne pas renouveler son mandat de directeur. Il lui restera le mérite de susciter des regrets.
 
 

Jacques SCHMITT
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