C O N C E R T S 
 
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PARIS
26/09/03

© Eric Mahoudeau
Richard STRAUSS (1864-1949)

SALOMÉ

Livret tiré du poème d'Oscar Wilde
traduit en allemand par Hedwig Lachmann

Mise en scène : Lev Dodin
Décors et costumes : David Borovsky
Lumières : Jean Kalman
Chorégraphie : Jourii Vassilkov
Dramaturgie : Mikhail Stronine

Salomé : Kartia Mattila
Herodes : Chris Merritt
Herodias : Anja Silja
Jochanaan : Falk Struckmann
Narraboth : William Burden

Page des Herodias : Michelle Breedt
Erster Jude : Wolfgang Ablinger-Sperrhacke
Zweiter Jude : Martin Finke
Dritter Jude : Scott Wyatt
Vierter Jude : Robert Wörle
Fünfter Jude : Ulrich Hielscher
Erster Nazarener : Stanislaw Shvets
Zweiter Nazarener : Mihajlo Arsenski
Erster Soldat : Kristof Klorek
Zweiter Soldat : Scott Wilde

Choeurs et Orchestre de l'Opéra de Paris
Direction : James Conlon

Paris, Représentation du 26 septembre 2003

Lire également la critique de Placido Carrerotti


Festin vocal
 

Première des trois nouvelles productions d'ouvrages de Richard Strauss annoncées cette saison à l'Opéra de Paris, cette Salomé, servie par un des meilleurs plateaux qu'on puisse imaginer aujourd'hui, est sans conteste l'événement de la rentrée lyrique.

Le nom du metteur en scène laissait présager un lecture originale, voire décapante, du texte sulfureux d'Oscar Wilde, à l'instar de la très controversée Dame de pique qu'il avait concoctée in loco avec la complicité de son décorateur David Borovsky en 1999. Il n'en fut rien.

Lev Dodin, se serait-il assagi ou serait-il à court d'inspiration ? Toujours est-il que cette fois le décor est des plus conventionnels : une sorte de terrasse dans des tons brunâtres surplombée de deux cyprès suggère vaguement un pays méditerranéen. Les seules idées sont le ciel aux couleurs changeantes à mesure que le drame avance et l'éclipse qui voile la face lunaire au moment de la décapitation. C'est bien peu ! Borovsky signe également les costumes, d'un goût discutable lorsqu'ils ne frisent pas le ridicule comme ces collants dont le page est affublé ou les jupettes rayées brun et jaune des soldats. Même celui de Salomé - corsage noir transparent et large jupe noire à motifs dorés - fait davantage songer à un gitane de supermarché qu'à une princesse biblique. La direction d'acteurs, enfin, manque singulièrement d'imagination à l'exception du rôle-titre qui, seul, semble avoir mobilisé l'attention du metteur en scène, à moins que sa conception extrêmement fouillée ne soit le fruit du travail personnel de l'interprète.

Karita Mattila, on l'aura compris, propose une Salomé d'anthologie à ce point maîtrisée et aboutie qu'on à peine à croire que nous assistons à une prise de rôle ! Mi-adolescente capricieuse, mi-femme lubrique dévorée par un désir irrépressible, plus névrotique que sensuelle, il faut la voir s'agripper aux barreaux de la cage qui enferme le prophète et tendre frénétiquement les mains vers l'objet de son fantasme inassouvi.La danse des sept voiles, exécutée avec une maestria prodigieuse, ne laisse rien ignorer de la plastique impeccable de la chanteuse qui, de surcroît, nous gratifie dans la scène finale d'un grand écart stupéfiant.
Vocalement en grande forme, la cantatrice finnoise domine aisément la partition jusqu'au grave profond de "des Todes", exhalé comme un râle de plaisir désespéré. L'aigu puissant et charnu n'exclut pas les demi-teintes extatiques. Elle joue avec aisance des mille coloris de son timbre qui se fait mielleux pour évoquer la petite fille gâtée et se pare soudain de raucités lascives lorsqu'elle réclame son dû. Magistral !

Le reste de la distribution est à la hauteur de cette exceptionnelle performance : des seconds rôles tous remarquablement tenus se détachent le page exemplaire de Michelle Breedt et surtout le Narraboth pathétique et troublant de William Burden, doté d'une voix et d'un physique séduisants qui en font un rival plausible de Jochanaan et accentuent la cruauté perverse avec laquelle Salomé se rit de lui. 

En dépit de moyens passablement délabrés, Anja Silja demeure une Herodias impressionnante, machiavélique et dédaigneuse, aux aigus tranchants comme le sabre du bourreau.

Veule et libidineux à souhait, Chris Merritt campe un Hérode époustouflant de justesse dramatique, servi par une voix ample dont il parvient à tirer des couleurs parfois volontairement laides au service de son personnage. On reste pantois devant la reconversion exemplaire de ce ténor jadis spécialisé dans le répertoire belcantiste.

Falk Struckmann, enfin, est un Jochanaan illuminé, d'une autorité et d'une intériorité indéfectibles face aux sortilèges envoûtants de sa partenaire. La voix est d'airain et semble appartenir à un autre monde. Mais pourquoi diable l'a-t-on affublé d'une robe de bure bien peu seyante qui, en outre, cache ce corps "blanc comme la neige sur les montagnes" qui embrase les sens de la princesse ?

Au pupitre, James Conlon nous offre une direction d'une redoutable efficacité, à défaut de génie. Bien plus à son affaire dans ce répertoire que dans l'opéra italien du dix-neuvième siècle, il déchaîne un déferlement orchestral inouï sans parvenir toutefois à éviter certaines vulgarités, notamment dans la coda de la danse des sept voiles, et couvre par moment les solistes dont les moyens ne sont pourtant pas négligeables !

On l'aura compris, c'est sur les épaules des chanteurs, et plus particulièrement de l'interprète du rôle-titre, que repose le triomphe qui a accueilli cette représentation. Pour une fois, on ne parlera pas de "la Salomé de Lev Dodin", mais bien de celle de Mattila.
 
 
 

Christian Peter
Lire également la critique de Placido Carrerotti
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