C O N C E R T S 
 
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MARSEILLE
18/10/05
© Christian Dresse
 Henri TOMASI

SAMPIERO CORSO

( Sampieru Corsu )

Drame lyrique en 3 actes et 5 tableaux

Livret en langue corse de Jacques Fusina
d'après le livret de Raphaël Cuttoli
Avec la participation pour la prosodie de Tibère Raffalli

Créé au Grand Théâtre de Bordeaux le 6 mai 1956
Dernière représentation à l'opéra de Marseille en janvier 1959

Distribution
Direction musicale : Patrick Davin
Mise en scène : Renée Auphan
Collaborateur à la mise en scène : Jean-Michel Criqui
Décors : Dominique Pichou
Costumes : Katia Duflot
Lumières : Roberto Venturi
Chorégraphie : Anna Yepes

Sampiero : Carlo Guido
Ombrone : Sergey Murzaev
Vannina : Irina Mataeva
La Voceratrice : Laurence Schohn
Francesca : Nadia Ninio

Danseurs Danièle Cohen, Alexandra Beignard   
Suzanne-Elisabeth Mc Naughton,
Marie-Laure Philippon, Amélie Silva,
Ivana Testa, Anne Tournié

Jean-Marie Belmont, Philippe Chevrier,
Stéphane Corcel, Andrew Elridge, Daniel Izzo,
Sébastien Oliveros, Franck Poulussen
 

Orchestre et Choeurs de l'Opéra de Marseille
Chef des choeurs : Pierre Iodice

Marseille, 18 octobre 2005

En ouverture de la saison, l'Opéra de Marseille affiche une oeuvre due au compositeur Henri Tomasi, d'origine corse, fils de Xavier Tomasi, un des pionniers dans l'île de la collecte des formes musicales orales traditionnelles. Poursuivant la politique consistant à redonner à des oeuvres relativement récentes de la musique française une nouvelle chance, Renée Auphan, elle-même d'origine corse, a choisi un drame lyrique consacré à la figure de Sampiero Corso, un personnage historique vénéré en Corse comme combattant de la liberté et de l'indépendance contre l'occupation gênoise au XVIe siècle.

L'intérêt de l'oeuvre, peut-être nourrie par les résonances de l'actualité insulaire, tient à la fois à la musique et au héros. Limpide comme il convient à un élève de Vincent d'Indy titulaire d'un Prix de Rome, la musique témoigne de la grande maîtrise d'un compositeur capable d'allier de manière captivante la technique savante, les souvenirs et les influences d'autres musiciens, et les sources mélodiques et harmoniques du terroir . (Le programme de salle, édité comme d'habitude par Actes Sud, présente à ce propos plusieurs textes éclairants, d'Emmanuelle Mariini, Claude Tomasi et Emile Vuillermoz). Le héros incarne depuis des siècles la figure du patriote aux yeux des siens. Une adaptation du livret ayant semblé nécessaire pour le mettre en adéquation avec la "corsitude" de la partition, il a donc été réécrit en "langue corse" par des spécialistes concernés au premier chef.


© Christian Dresse

Dans le drame représenté, l'action se concentre sur le couple formé par Sampieru, condottiere enrichi au service des Medicis ou des rois de France, et son épouse Vannina d'Ornano, dont la famille est à demi-gênoise.

Au premier acte, la jeune femme, mère d'un nourrisson, est malheureuse des longues absences de son mari, et des risques qu'il court en luttant contre les Gênois qui occupent la Corse, d'autant qu'elle est convaincue que ce combat est inutile car il est perdu d'avance. Ce ferment d'un désaccord profond va faire d'elle le témoin contraint du rassemblement "patriotique" qui constitue à lui seul le deuxième acte.

Au troisième acte, les espions gênois, la sachant seule, lui envoient un messager qui exploite sa faiblesse et l'incite à plaider la cause de son fils, héritier des biens familiaux, devant le Sénat de Gênes. A cet instant surviennent Sampieru et sa suite ; assimilant aussitôt cette entrevue à un trahison, il condamne Vannina à mort mais il consent à lui éviter le déshonneur d'être tuée par les sbires : il l'étrangle lui-même. Le tableau final montre Sampieru dans les montagnes ; il se lamente sur son sort, et sur son erreur passée, quand on vient l'avertir que des hommes armés le recherchent. Seul contre eux il succombe sous les coups ; il expire en rêvant du royaume dont son fils sera le maître. Ses assassins viennent alors lui couper la tête, qui avait été mise à prix. Commence alors la veillée funèbre, défilé des partisans de Sampieru, où la Voceratice, à la fois pleureuse, griotte et Erinye, chante la personnalité du défunt et exhorte la foule qui reprend lamentations et imprécations en choeurs exaltés.

Ce résumé permet de se rendre compte que l'écueil à surmonter est la consistance dramatique ; le premier et le deuxième acte n'en ont guère, alors que le troisième, surtout dans le quatrième tableau, a une intensité quasiment shakespearienne. L'affrontement entre l'émissaire gênois et Vannina, la plausibilité de la situation, la stratégie du Gênois, la gradation des arguments qu'il emploie pour briser la résistance puis les réticences de la jeune femme, le sentiment de l'inéluctable et de l'inexorable soutenus par la musique haletante, aux accents parfois proches de Puccini, tout concourt à faire de ce passage une grande réussite. Mais les beautés musicales ne manquent pas, en dehors du long duo du premier acte, particulièrement la berceuse chantée par Vannina qu'elle reprend au troisième, les interventions des choeurs évoquant la puissance des Carmina Burana à l'acte deux ou les tableaux de l'opéra russe dans le finale, ce chant déclamé s'infléchissant en mélodie ou s'élançant en proclamation-manifeste, et les passages purement instrumentaux, de l'ouverture et des danses, où les ressources des cordes et des cuivres dissonants, voire discordants, à la manière d'un Honegger, font ressentir l'instabilité des états et des sentiments vécus par les personnages.


© Christian Dresse

Autre atout de ce spectacle, la réalisation scénique. Certes, on peut regretter que les choix effectués nous privent d'une Moresca reconstituée puisque il s'agit à l'origine d'une danse exclusivement masculine, mais la chorégraphie justifie en quelque sorte la présence de femmes : le caractère agressif de la danse prolonge la relation masculin-féminin existant entre Sampieru et Vannina.( La femme n'est partenaire que soumise et muette, adhérant sans réserve aux objectifs de son mâle de maître, faute de quoi elle est coupable et condamnée sans rémission.)

Les passages d'un tableau à l'autre se font par changements de décor ; des toiles peintes évoquant la montagne corse, un toit dévasté pour le village en ruines, un coffre-banc et une colonne pour le palais marseillais, ce minimalisme est suffisamment évocateur pour créer l'atmosphère. Dans le crépuscule, ces vieillards immobiles qui regardent on ne sait quoi, cette vieille attentive qui semble là pour surveiller un enfant, surplombés par des sommets si hauts qu'il semblent à la fois protéger et écraser, ces sbires brutaux et hâtifs, ce signe entre l'émissaire gênois et l'une des servantes, la jarretière de l'intimité conjugale comme lien de l'étranglement, il y a tout un travail de notations discrètes et suggestives dont la pertinence et le pouvoir émotif bouleversaient ma voisine, corse A.O.C. qui faillit se lever en entendant le Dio vi salvi regina. Renée Auphan , avec l'aide de Jean-Michel Criqui, les costumes sobres de Katia Duflot et les beaux éclairages de Roberto Venturi, a donné densité et vibration aux échos de la vie corse contenus dans l'oeuvre.

Mais l'oeuvre, conçue par des Corses pour célébrer un Corse, le rend -elle admirable aux yeux de tous ? L'accent est mis sur son attachement à la liberté de l'île, à son indépendance. Ce que nous voyons, c'est un homme en proie à une obsession ; on dira qu'elle est noble et qu'il a le soutien du peuple. Ne jouons pas sur les mots : comment a-t-il atteint sa position de "leader" ? Par des vertus particulières d'ordre moral ? Ou parce qu'il fait partie des plus forts ? Et que se propose-t-il de faire, une fois les Gênois vaincus ? De rendre le pouvoir aux Corses ? Ou de le garder pour lui et les siens, remplaçant en somme une domination étrangère par une domination autochtone, pas forcément plus douce pour la population ? Pourquoi tue-t-il sa femme, surprise par lui et sa bande en négociation avec un ennemi ? Parce qu'il possède ces vertus antiques qui sacrifient sans hésiter leurs attachements à un devoir supérieur ? Mais comment ne pas se demander ce qui se serait passé s'il était survenu seul ? N'est-ce pas la crainte d'être compromis lui-même vis-à -vis des siens qui l'amène à décider de tuer sa femme plutôt que d'affronter leurs soupçons à son égard ?

Passionnante initiative, donc, que celle de Renée Auphan, puisque ainsi elle rend à une oeuvre en passe d'être oubliée une palpitante actualité. ( Et encore a-t-on ignoré les didascalies qui font de la Moresca une danse où les chrétiens triomphent des Sarrasins). Dommage que tous les protagonistes n'aient pas le charisme souhaitable. Si l'orchestre et les choeurs brillent comme rarement sous la conduite d'un Patrick Davin qui semble gagné par l'exaltation au fil des scènes, Laurence Schohn déçoit ; elle peine à soutenir un rôle qui réclame des graves qu'elle n'a pas, ses aigus extrêmes sont stridents et souvent c'est dans les joues que sonne sa voix . Irina Mataeva est à son aise vocalement et scéniquement, dessinant une Vannina émouvante et convaincante . Sergey Murzaev campe avec autorité un ambassadeur déterminé et insinuant d'une voix bien sonore. Carlo Guido, quant à lui, a le physique de l'emploi, même s'il est trop jeune historiquement parlant ; son chant est peu nuancé, à l'image du personnage. Nadia Ninio , en suivante, est efficace.

Plutôt réservé pendant la représentation, le public , sans être très nombreux, a salué par de longs applaudissements tous les participants à un spectacle en définitive très prenant
 
 

Maurice SALLES
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