C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
LYON
21/01/2007
 
(CD Ligia Digital)
Alessandro SCARLATTI (1660-1725)

IL MARTIRIO DI SANT’ORSOLA

Orsola (Sainte Ursule), Stéphanie Révidat
Florida (Floride), Marina Venant
Giesu (Jésus), Jean-Paul Bonnevalle
Ereo (Eréo), François Roche
Giulio Tiranno (Jules le Tyran), Benoit Arnould

Le Concert de l’Hostel-Dieu (Chœur & Orchestre)
Franck-Emmanuel Comte

Lyon, Basilique Saint-Martin d’Ainay, le 21 janvier 2007
1 cd Ligia Digital, Lidi 0202176-07

Heureux qui, comme Ursule…

Heureux qui, comme Ursule, trouva de si beaux interprètes ! Une Ursule qui commence comme un point d’interrogation. La partition, héritage du « Concert » lyonnais du XVIIIème siècle, est le seul exemplaire connu de l’œuvre, actuellement. On n’en connaît ni vraiment la date de composition (1695-1700, peut-être) ni non plus le librettiste (« Voilà, je te lance dans le sein trois flèches fatales » ; les joies de l’anonymat).

L’action se passe à Cologne ; elle reste assez fidèle à la « Légende dorée » (qui est aux saints, bienheureux et autres « christianiquement panthéonisés » ce que le « Who’s who » est aux grands de ce monde) : « Lorsque toute cette troupe arriva à Cologne, elle trouva la ville investie par les Huns. Et ces barbares […] se jetèrent sur les pieuses vierges, qu’ils massacrèrent toutes […] Seule Ursule restait encore vivante. Et le prince des Huns, émerveillé de sa beauté, lui offrit de l’épouser, pour la consoler de la mort de ses compagnes [sic]. Furieux de se voir dédaigné, il la transperça d’une flèche et acheva son martyre ».(1) Charmante époque !

Le livret est un peu pauvre… Et pourtant ! « Archer divin, qui espère foudroyer mon cœur, je suis vaincue, je me rends » (Rec. IX) ; « Déjà l’âme désire jouir. Que les gouttes de sang soient des rubis, ornement de ce court martyre » (Aria XXVI). C’est beau comme du Bernin.

C’est beau comme du Bernin et c’est du beau, très beau Scarlatti. Du Scarlatti d’une belle économie de moyens. Un peu plus d’une heure de musique. Une action concentrée ; une seule partie ; un seul « acte » pour cette épopée d’amour, de foi et de sang. Un flot continu qui laisse la part belle à l’orchestre (ça c’est assez nouveau). Un orchestre qui ponctue, suit, précède, habille des airs concis, de souples récitatifs, de vifs ariosi qui s’enchaînent comme les volutes artistement jetées, infiniment ciselées d’un drapé… de Bernin, encore !

Du Bernin donc, mais un Bernin entiché de pastorale, d’effets tendres. Du Bernin toujours, cependant, qui tombe le masque pour retrouver l’éclat baroque des batailles, des envolées rageuses (« Al suon delle trombe », aria XII, Giulio). Du Bernin qui tiendrait la main de Scarlatti pour lui dicter la luminosité renouvelée de la « transverbération » de l’héroïne (aria XVIII et récitatif suivant). Comme un passage de flambeau de Sainte-Thérèse à notre « Orsola ».

Franck-Emmanuel Comte est fin poète et sait bien, lui aussi, ce qu’est une atmosphère. Il sait bien tendre les voiles de cette belle fresque ; en ajuster les couleurs ; en brosser et les fonds et les lumières. Et son équipe lui répond… lui répond si bien.

Ursule triomphe ici doublement : comme sainte et comme artiste. Comme sainte, elle ne le doit qu’à elle-même ; comme artiste, elle le doit tout entier à Stéphanie Révidat. Plus qu’un timbre, une voix. Une vraie voix et une ligne d’une plasticité magnifique ; ronde et maîtresse de tous les dégradés ; convaincue et convaincante ; maîtresse jusqu’aux extrémités d’une mort brillante d’ascèse. Son « époux immortel », lui, paraîtra du coup un peu en retrait à côté de cette torche vivante de foi sereine. C’est que Jean-Paul Bonnevalle est un peu écartelé entre un medium royalement incarné et un aigu éthéré ; entre une ligne toute d’esprit et un chant forcément humain. Le dosage est dur à réussir entre les composantes fragiles, ténues, de ce registre-là. Homme et Dieu ne font pas forcément bon ménage… S’il faut alors, encore, rajouter le musicien par-dessus ! Mention, enfin, toute particulière au Giulio renversant de Benoit Arnould.

Maintenant, il faut être franc ; le concert n’était pas exempt de tout reproche. Peu le sont d’ailleurs. C’est inhérent à l’exercice et c’est, même, ce qui en fait l’intérêt. Le chœur n’est pas irréprochable ; Jésus détonne parfois ; la trompette naturelle a laissé passer quelques « pains ». Voilà pour le direct.

Mais le concert est l’occasion de rappeler que cette « Orsola » sort, en même temps, au disque. Pas d’accrochage ici ; rien ; un produit fini diaboliquement sculpté, mis en place ; un coup de projecteur mérité sur une œuvre de belle, de très belle tenue. Une captation de grande qualité, d’une si tendre émotion, qui rend tous les honneurs voulus à la partition et à des interprètes de haute tenue.

Heureux qui, comme Ursule… Je vous l’avais bien dit !



Benoit BERGER


Note
(1) Jacques de Voragine, La légende dorée, Points, p. 590 et sq. (« Les onze mille vierges »).
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]