OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
03/06/2008


Andreas Scholl
© DR


Concert Andreas SCHOLL

Johann Sebastian BACH (1685-1750)

Suite n° 3 en ré majeur BWV 1068
ouverture

George Frideric HAENDEL (1685-1759)
Giulio Cesare
Presti omai l’egizia terra

Rodelinda
Dove sei

Johann Sebastian BACH (1685-1750)
Suite n° 3 en ré majeur BWV 1068
air instrumental

George Frideric HAENDEL (1685 – 1759)
Saul
Oh Lord, whose mercies numberless

Antonio VIVALDI (1678-1741)
Nisi Dominus
Cum dederit

Johann Sebastian BACH (1685-1750)
Matthaus Passion BWV 244
Erbarme dich

ENTRACTE

Johann Sebastian BACH (1685-1750)
Suite n° 3 en ré majeur BWV 1068
Gavottes
Bourrée
Gigue

Cantate Hercules auf dem Scheidewege  BWV 213
Ich will dich nicht hören

George Frideric HAENDEL (1685 – 1759)
Rodelinda
Ouverture
Vivi tiranno

Andreas Scholl, contre-ténor
James Bowman, présentation

Orchestra of the Age of Enlightenment
Alison Bury : direction

Théâtre des Champs-Elysées, 3 juin 2008

Vous vous souvenez de moi ?


Oui, James, nous nous souvenons de vous ! C’est évidemment une boutade adressée au public, tout à fait dans le style de cet homme spirituel, qui cultive volontiers l’autodérision. Ceux qui ne connaissaient que le chanteur ont certainement été ravis de découvrir un autre visage de cet invité exceptionnel qui d’ailleurs volera quelque peu la vedette à Andreas Scholl. L’allure mi-débonnaire mi-empruntée, James Bowman donne pourtant l’impression de ne pas trop savoir comment se tenir, surpris d’être là comme le spectateur encore dérouté par cette présence inhabituelle. Il est à ce point troublé qu’à deux reprises, alors qu’il loue son érudition puis le salue au balcon, il rebaptise Dominique Fernandez, ayant sans doute à l’esprit François Fernandez, violoniste du Ricercar Consort avec lequel il a souvent travaillé. Dominique, lui, a signé le programme et pris apparemment de vitesse Bowman, qui avait tant de choses à dire sur les contre-ténors. Il rappelle néanmoins le chemin parcouru par ses pairs et exprime son admiration pour Philippe Jaroussky, déclenchant les applaudissements de la salle, avant d’introduire le héros du jour – non sans avoir signalé, pour l’anecdote, combien il avait été effrayé en apprenant qu’Andreas Scholl est né en 1967, l’année même où il débutait à Paris. La star est diserte et doit être d’excellente compagnie autour d’un verre de sherry !

Mais au fait, qui a eu l’idée de l’inviter à ce récital ? Bowman nous raconte qu’Andreas Scholl avait voulu qu’il fasse partie du jury de son concours de fin d’études à Bâle (où il fut l’élève de Richard Leavitt et René Jacobs). Ebloui par le jeune Allemand, qu’il considère un peu comme son héritier, il ne pouvait que répondre à son invitation au Théâtre des Champs-Élysées. Comme si les organisateurs voulaient rappeler, sous forme de clin d’œil, les circonstances de leur première rencontre, ils installent cet hôte de marque dans un fauteuil de salle placé à la droite de l’orchestre, sur scène. Spectacle dans le spectacle, Bowman prend manifestement plaisir à suivre le concert et dodeline de la tête au rythme de la musique.


Hélas, c’est un mauvais jour pour l’élève Scholl, dont la méforme est de plus en plus audible au fil du programme. Evidemment, celui-ci n’aligne guère que des tubes et donc le surexpose. Il faut être dans une excellente condition physique et mentale pour donner le meilleur de soi-même comme l’exigent ces pages sublimes. Le mélomane ne manque pas de références dans ces chefs-d’œuvre qui d’ailleurs constituent un excellent « best of » du répertoire des falsettistes. A commencer par Andreas Scholl et James Bowman (« Vivi tiranno » excepté) dont la présence ne fait que raviver les souvenirs et incite à la comparaison. Mise en bouche frugale, « Presti omai » est exécuté sans brio et nous rappelle que s’il a plusieurs fois incarné Giulio Cesare à la scène, Scholl n’a pas exactement la vocalité requise pour de tels emplois. Autre rôle où il a triomphé, Bertarido montre les premiers signes de fatigue et laisse même entrevoir la fêlure du timbre, mais il gère admirablement ses moyens et livre un « Dove sei » tout en délicatesse, sobre et touchant qui met en valeur le velours intact du médium.

David (Saul) est le seul rôle que Haendel ait jamais écrit pour un contre-ténor et au vingtième siècle, Bowman fut le premier à l’endosser. Il était alors au sommet de ses moyens, le disque en porte le témoignage (1). Cette plénitude, à la fois juvénile et solaire, n’a jamais été égalée depuis. Si Andreas Scholl a lui aussi campé un fort beau roi d’Israël, il paraît ce soir bien fluet et fragile. Rares sont les chanteurs qui osent donner le Nisi Dominus de Vivaldi en concert – Bowman, lui, non seulement l’a fait, mais des années après son album mythique avec l’Academy of Ancient Music, il l’a réenregistré en live avec Jean-Claude Malgoire. Cette œuvre brillantissime alterne les cascades de vocalises et les pages lentes et envoûtantes, aux phrasés amples comme cet obsédant Cum dederit avec sa montée chromatique qui culmine sur un suspendu et impalpable, et qui demande une maîtrise du souffle exceptionnelle. Scholl est à la peine et, pour éviter l’incident, préfère transposer le second aigu, brisant le climax de la pièce. Sans doute cherche-t-il aussi à s’économiser pour Erbarme dich avec lequel il enchaîne immédiatement – il faut être sacrément hardi, sinon inconscient pour agencer un tel programme ! Les aigus sont crispés, l’émission constamment tendue au point d’entraver l’expression. Les gavottes, bourrée et gigue de Bach offrent un bref répit au chanteur, mais son Hercule, très opératique comme ne manque pas de le souligner Bowman, nous confronte aux limites expressives du soliste. Une fois encore, ce solide gaillard semble trépigner et s’agiter beaucoup comme pour obtenir de ce corps massif une énergie, des couleurs et un mordant qui lui font désespérément défaut et l’empêchent de traduire les nombreuses intentions du texte.

James Bowman confie n’avoir jamais osé se lancer dans le « Vivi tiranno » de Bertarido, dont les traits virtuoses lui paraissent trop ardus. Andreas Scholl en affronte toujours les vocalises avec succès, mais sa lecture est avare d’aigus comme d’éclat, et quelques forte soudain ne dissimulent pas une dynamique réduite. A côté de ces maigres agapes, les entremets tirés de la suite n°3 de Bach ont une saveur revigorante. Après une ouverture robuste, et même un peu carrée, le célébrissime air pour cordes et continuo trouve sans doute les musiciens un peu moins habités comme si son charme mélodique les avait ensorcelés, mais ils recouvrent leur élan pour des danses finement articulées et une magnifique ouverture de Rodelinda.

Andreas Scholl s’en tient à un bis, malgré la chaleur d’un auditoire sans doute acquis d’avance et donc indulgent : I am a poor wayfaring stranger, cette ballade mélancolique sur laquelle s’ouvrait son album de folksongs (DECCA). Est-ce l’imminence de la délivrance, le soulagement ? L’Ange renaît et déploie ses ailes, dispensant généreusement sa lumière irréelle et ses accents infiniment tendres et désarmants. Reste LA question que tout le monde ou presque se pose depuis le début. James Bowman s’en sort fort bien comme animateur, mais ne serait-il venu que pour causer et nous régaler de son humour ? Je continue à espérer ne serait-ce qu’un duo et je songe au Sound the Trumpet de Purcell, mais Andreas Scholl rentre en coulisse. Puis il revient, se remet à chanter quand une autre voix, reconnaissable entre mille, lui répond, la tête de Bowman jaillit alors au milieu de l’orchestre, où il s’était glissé en seconde partie, et il rejoint son cadet sur le devant de la scène pour interpréter… Sound the Trumpet ! Cette page d’ordinaire si légère, gaie et tonique, se voile soudain et exhale un parfum de nostalgie. Etrange soirée, hantée par les souvenirs…


                                Bernard SCHREUDERS

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(1) Intégrale de 1972 sous la direction de Charles Mackerras. 3 CD ARCHIV PRODUKTION 447 696-2. J’en profite pour signaler la parution récente chez ANALEKTA (AN 2 9948) d’un album Purcell de James Bowman, «  Here let my life », interprété en duo avec Daniel Taylor et capté en 2004 (avant l’album testament « Songs for Ariel » publié chez SATIRINO et qui est à ce jour son dernier enregistrement).

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