C O N C E R T S 
 
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LYON
16/01/05
Hanno Müller-Brachmann
© DR
DIE SCHÖPFUNG
(La création)

Josef HAYDN

Gabriel, Eva : Sandrine Piau
Uriel : Werner Güra
Raphael, Adam : Hanno Müller-Brachmann

Maîtrise, Choeur et Orchestre
de l'Opéra National de Lyon
Louis Langrée

Lyon, le 16 Janvier 2005

La Création, c'est cet oratorio tardif dans la carrière de Haydn, l'une de ces ultimes vendanges des années 1796-1797 dans laquelle le compositeur a mis en musique les vers de la Genèse sur un canevas allemand du baron van Swieten. C'est aussi cette oeuvre inclassable qui jette un pont entre le classicisme viennois et les affres du Sturm und Drang. C'est enfin l'opus qui réussit le mieux le tour de force de couler dans un creuset sonore d'une originalité folle, les deux facettes de la personnalité du "bon papa" Haydn, celle du voltairien fils de l'Aufklärung et celle, populaire et plus rudement terrienne, du croyant naïf de soixante printemps.

A la fin du programme du concert, un texte attire l'attention. Il n'est pas l'oeuvre d'un lettré, mais d'un contemporain, écrivant en dialecte viennois dans la foulée de la première audition publique de cette Création: "Ce jour-là [...] il y avait à Vienne un autre spectacle pour lequel notre beau monde oublia l'invasion des Russes. C'est que le fameux Haydn représentait la création du monde en musique [...] Depuis que le théâtre existe pareille chose ne s'était vue [...] Et ce qui m'a plu particulièrement, c'est que c'est magnifiquement écrit et cependant facile à comprendre [...] De ma vie je n'aurais imaginé que des poumons humains, des intestins de moutons et des peaux de veaux produisent pareil miracle [...] Bref je ne suis jamais sorti aussi réjoui d'un théâtre et j'ai effectivement rêvé toute la nuit de la création du monde". Allons bon ! Voilà que cet homme m'a volé ma plume par anticipation !

Car le concert fut effectivement magnifique et le choc renouvelé à chaque note. Louis Langrée a su jouer le jeu infini de l'imagier coloré, insufflant à l'oeuvre et à l'orchestre un mouvement unique. Le chef, depuis le subjuguant chaos liminaire jusqu'à la joie rayonnante ultime de l'incarnation, a ouvert comme aucun autre des brèches béantes sous les sièges des spectateurs médusés, fait souffler les vents, chanter les oiseaux, couler les ruisseaux, jaillir la lumière. De sa phalange démiurgique, Langrée, baguette prométhéenne, a su extraire les plus infimes ressources de coloration, d'intonation, de dynamique pour brosser d'un geste royal cette fresque à porter au pinacle.

Fabuleux aussi, les solistes se sont engouffrés, dans le sillage du chef, dans la moindre anfractuosité du texte (du verbe comme du texte musical lui-même), pour en exalter tous les sucs lyriques. Sandrine Piau, dardée de timbre, virtuose de talent, sait ici plus encore qu'à l'habitude, cacher sous les apprêts d'un naturel discret les ressources d'un art mille fois travaillé. Tendue jusqu'à l'extrême, conquérante pour son "starkem Fittiche", plus encore qu'une chanteuse unique dont les qualités sont par essence bien éphémères, elle s'avère simplement une grande dame. C'est ce qui ressort de son Eve, à la fois tendre et palpitante, méditative aussi mais femme avant tout et sans tricherie. Werner Güra, Uriel mozartien, lumineux de timbre et transporté de ligne, sait ce qu'il chante et cela s'entend. Et ce n'est sans doute pas là le moindre compliment que l'on puisse lui faire. Quant à Hanno Müller-Brachmann, enfin, il tétanise le spectateur qui, les yeux fermés, croit retrouver le Hans Hotter de la version Jochum ! De son illustre prédécesseur, le baryton-basse a recueilli, plus encore que cette voix surhumaine (mais c'est bien le moins que l'on puisse espérer d'un ange) à la fois sombre et noyée de lumière, ambrée, percutante mais apte aussi à toutes les nuances jusqu'au ppp ouvrant l'oeuvre, la pure qualité de diseur. C'est un liedersänger qui parle autant qu'il chante, mais aussi (et surtout même) un vrai héraut de la foi qui tutoie les nuées dès qu'il ouvre la bouche.

Une soirée d'exception donc... Oui cet anonyme contemporain de Haydn avait bien raison: j'ai rêvé toute la nuit de la création du monde !
 
 

Benoît BERGER
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