OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BRUXELLES
21/04/2008


Christian Gerhaher
© Alexander Basta/Sony BMG


Robert Schumann (1810-1856)

Scenen aus Goethes Faust WoO 3
(Scènes de Faust)


Texte : Johann Wolfgang von Goethe

Koninklijk Concertgebouworkest
Groot Omroepkoor, Nationaal Kinderkoor

Christian Gerhaher : Faust (baryton)
Christiane Iven : Gretchen (soprano)
Alastair Miles : Mephisto (basse)
Mojca Erdmann (soprano)
Birgit Remmert (alto)
Elisabeth von Magnus (alto)
Werner Güra (tenor)
Franz Josef Selig (basse)

Nikolaus Harnoncourt direction

Bruxelles
Palais des Beaux-Arts , Salle Henry Le Bœuf
Lundi 21 avril 2008

Faust transfiguré



Ouverture
Première partie [Episode de Marguerite / Gretchen] :
Scène du Jardin
Gretchen devant l’image de la Mater dolorosa
Scène de l’Eglise
Deuxième partie [ La fin de la vie terrestre de Faust] :
Ariel. Lever de soleil. Faust. Chœur.
Minuit
Mort de Faust
Troisième partie – Transfiguration de Faust [en sept fragments]


Le vocable « exceptionnel » accolé au concert n’est pour une fois pas usurpé : dans le cadre des European Galas issus de la collaboration de Bozar Music, du festival des Flandres et de La Monnaie, l’affiche nécessitée par ces Scènes de Faust est impressionnante et explique sa rareté au concert. L’œuvre associe 8 solistes, un orchestre symphonique, un chœur fourni, et un chœur d’enfants : à peu près aussi mange-budget qu’un Voyage à Reims ! Outre la rareté, ont aussi attiré Harnoncourt, et l’Orchestre du Concertgebouw, ainsi qu’une phalange de solistes de haut vol : la salle est pleine.

La complexité de la genèse de l’œuvre rend étonnante sa cohérence globale. Au départ projet d’opéra entamé en 1844 après une lecture du Second Faust, l’écriture suit les aléas d’inspiration et de maladie de Schumann jusqu’à sa conclusion en 1850. Commençant par ce qui sera la troisième partie, la transfiguration de Faust, et une première version du Chorus Mysticus de conclusion, Schumann abandonne, puis revient à l’ouvrage en 1847, donne une première version de la troisième partie à Dresde le 15 juin 1848, et y rajoute à partir du printemps 1849 une première partie consacrée à Gretchen, une seconde partie qui l’occupe jusqu’en 1850 ; en enfin l’Ouverture, composée en 1853 et offerte à Clara comme dernier cadeau d’anniversaire. La version intégrale ne sera créée qu’après sa mort, en 1862, à Cologne.

Du premier Faust de Goethe, qui inspire la première partie des Scènes, Schumann ne veut retenir et illustrer que l’amour salvateur de Gretchen. Cette traduction métaphysique, comme déconnectée de la réalité factuelle et du vulgaire humain, irradie l’œuvre entière, qui se consacre vite à l’idéal de pureté et de rédemption du second Faust, mêlé de fortes identifications personnelles, et pas seulement de l’évident espoir de rédemption personnelle : Schumann intègre dans le livret deux de ses obsessions oniriques, la rose (image de la rédemption par l’amour féminin) et l’enterrement par des lémuriens (Mort de Faust). Pour qui découvre ce soir la partition, la révélation est immense. Si l’ouverture, composée dans le dernier élan créateur de 1853,  révèle trop de faiblesses thématiques et formelles, et une orchestration touffue, si certaines pages, comme Ariel, agacent l’oreille par l’incapacité à faire aboutir les idées, il y a en regard de véritables chefs-d’œuvre, comme la Mort de Faust, proche d’esprit de Mahler ou de Wagner (le chœur des Lémures est ici – très bien- chanté par le chœur alors que Schumann souhaitait des enfants), irrigué d’une forte efficacité dramatique à travers timbres et harmonies ; ou encore toute la troisième partie, une grandiose page mystique mêlant solistes, chœur d’adultes et chœur d’enfants, conclue par le grand Chorus Mysticus, long contrepoint extatique truffé de chromatismes.

Dans le rôle de Faust, on attendait le baryton Christian Gerhaher : ex-Wolfram acclamé à Francfort, ex-Papageno marquant à Salzbourg, il est déjà connu dans l’univers schumannien pour avoir enregistré avec le pianiste Gerold Huber un disque consacré à ses lieder (Melancholia, RCA). Les qualités de liedersänger sont évidentes ici aussi : le timbre, solaire et chaleureux, totalement exempt de nasalité, est allié à une diction superlative, mais surtout à une subtilité magnifique dans la caractérisation du personnage de Faust, de son émerveillement lyrique initial à sa mort rayonnante, puis dans l’incarnation de Docteur Marianus, transfiguration de l’âme de Faust. L’arioso à la Vierge de la Troisième partie, accompagné de harpe et de hautbois, est bouleversant. A ses côtés, la Gretchen de Christiane Iven (au lieu de Dorothea Röschmann d’abord annoncée), beau timbre faisant songer à Janowitz mais aigus parfois serrés. Le plateau vocal ne souffre que de rares faiblesses, quelques notes forcées,  qu’expliquent la longueur de l’œuvre, et la nécessité pour les solistes de composer avec une densité complexe du matériau sonore. Les chœurs font preuve d’une ductilité et d’une homogénéité remarquables. Belle direction habitée de Harnoncourt, qui joue subtilement sur les emplacements scéniques des solistes pour une mise en espace contribuant à la belle lisibilité de la partition. Standing ovation justifiée.


Sophie Roughol
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