C O N C E R T S
 
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PARIS
23/10/2006
 
Blandine Staskiewicz
© DR

Marin Marais (1656-1728)

SEMELE

Tragédie lyrique (1709)
Livret d'Antoine Houdar de La Motte (1672-1731)

Sémélé : Blandine Staskiewicz, (dessus)
Junon : Hjördis Thébault, (bas-dessus)
Dorine : Bénédicte Tauran, (bas-dessus)
Adraste : Emiliano Gonzalez-Toro, (haute-contre)
Jupiter : Thomas Dolié, (basse-taille)
Cadmus : Marc Labonnette, (basse-taille)
Mercure : Stephan MacLeod, (basse)


Le Concert Spirituel
Direction : Hervé Niquet

Paris, Théâtre des Champs-Élysées
Lundi 23 octobre 2006

Le Grand siècle ponctué


Après une Proserpine lullyste un peu plate, Hervé Niquet s’attaque à la dernière tragédie lyrique de Marais, échec cuisant à l’époque. Près de 300 ans plus tard, c’est un succès.

Dès l’ouverture, on sent que le Grand Siècle a tiré à sa fin, et que Rameau n’est pas loin… L’œuvre, élégante et audacieuse, comprend notamment un Prologue (une fois encore infortunée victime tombée sous la coupe du chef), un premier acte martial avec trompette et timbales, de nombreux divertissements où l’écriture instrumentale de Marais fait merveille, et un final apocalyptique proprement époustouflant qui rivalise avec sa fameuse tempête d’Alcyone.

En ce qui concerne la distribution, c’est mêlé : la belle Blandine Staskiewicz incarne l’ambitieuse princesse avec panache et conviction, malgré des aigus un peu plats et un chant qu’on aurait parfois voulu plus nuancé (« Amours, aimez en paix » était notamment l’occasion de pianissimi éthérés). Sa confidente Dorine trouve en Bénédicte Tauran une interprète sensible, techniquement impeccable, si l’on excepte quelques trilles un peu hasardeux. Mieux encore, les timbres des deux artistes se fondent particulièrement bien et le duo « Que vous causez un trouble extrême, Amour, charmant Amour » parvient à surmonter la mièvrerie du livret pour devenir un vrai moment d’émotion. En revanche, les voix masculines laissent plus à désirer : Marc Labonnette aurait dû obtenir le rôle de Jupiter pour son émission stable, noble et sa diction théâtrale mais sans grande projection. En effet, le Maître de l’Univers de Thomas Dolié a paru fatigué et brouillon pendant les 3 premiers actes, souvent submergé par l’orchestre. Emiliano Gonzalez-Toro, quant à lui, souffrait doublement de son amour éconduit et des notes trop aigues de la partition qui l’ont obligé à forcer sans cesse sa voix au prix d’un vibratello constant et d’une justesse douteuse. Enfin, citons une Junon dont le chant confirme le caractère de mégère criarde.

Puisque nous parlons d’amour, venons-en aux affaires du chœur. Fidèle à lui-même, les choristes du Concert Spirituel ont été dynamiques et aérés, avec un remarquable équilibre entre les parties. Tout à fait dans son élément lors des grandes célébrations royales du premier acte, le chœur reste cependant assez uniforme théâtralement et un peu plus d’engagement dramatique dans l’acte infernal aurait été bienvenu.

Heureusement, le Concert Spirituel est là, ample et précis, tour à tour suggestif et vigoureux. L’orchestre caméléon déroule l’ouverture avec ductilité, jouant les notes inégales de façon plus liée qu’à l’ordinaire, attaque les fanfares avec une joie tonitruante, n’hésite pas à se faire danseur dans les ritournelles… La grande Chaconne de l’acte II a été splendide grâce aux choix judicieux d’Hervé Niquet. En faisant dialoguer les cordes entre elles, en changeant de tempi et d’orchestration, en permettant aux instrumentistes d’ornementer librement, le chef a métamorphosé une page solennelle en surprise permanente, frisant presque l’improvisation. Saluons donc la beauté des timbres (ah, ces bassons grainés) et la cohésion des musiciens, sans oublier la panoplie variée des percussions (castagnettes, timbales, tambourins, tôle à tonnerre…) que nous retrouverons avec impatience dans l’enregistrement Glossa, en espérant que le Prologue sera rétabli.




Viet-Linh NGUYEN

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