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PARIS
28/04/06

© Y. Alvarez
Gioacchino ROSSINI (1792 - 1868)

SEMIRAMIDE

Melodramma tragico en deux actes (1823)
Livret de Gaetano Rossi d’après la tragédie éponyme de Voltaire

Mise en scène : Gilbert Deflo
Décors et costumes : William Orlandi
Lumières : Irène Kudela

Semiramide : Alexandrina Pendatchanska
Arsace : Barbara di Castri
Assur : Michele Pertusi
Oroe : Federico Sacchi
Idreno : Gregory Kunde
Azema : Mariana Ortiz
Mitrane : Enrico Facini
L’ombra di Nino : Fernand Bernadi

Orchestre National de France
Chœur du Théâtre des Champs-Élysées

Direction musicale : Evelino Pido

Paris, Théâtre des Champs-Élysées,
le 26 avril 2006, 19h30

Asur assure

Une fois n’est pas coutume, Paris se met à l’heure italienne, celle du tournedos recouvert tendrement d’une tranche de foie gras épaisse et luisante, des péplums écarlates, du bel canto romantique mais échevelé. Les amateurs sevrés depuis trop longtemps se précipitent. L’eau à la bouche, la serviette autour du cou, ils prononcent en salivant les noms de Dupuy, Cuberli, Horne, Podles, Blake, Ramey et, dans leur ivresse, vont jusqu’à articuler celui de Sutherland ou d’Anderson. Mais une fois le spectacle achevé, ils s’en retournent, désemparés, griffer de leurs mains aux ongles rongés les parois humides des forums en ligne.

Leur détresse s’abreuve à la source grise d’un décor monolithique de marbre funéraire posé sur les planches comme un catafalque, d’une mise en scène qui après avoir aligné les comédiens, les fige, cruelle, dans une posture de Playmobil.

Leur déception boit surtout à la gourde de l’achondroplasie vocale. Elle s’emplit d’abord de l’usure d’un Gregory Kunde auquel pourtant la pente raide de « Ah dov'è il cimento » est épargnée – l’air est purement et simplement coupé – mais qui, loin de Pesaro en 1992 sous la direction d’Alberto Zedda, après un cancer et plusieurs rôles dont le format l’écarte définitivement du ténor rossinien, l’Enée de Berlioz pour n’en citer qu’un, ne peut satisfaire totalement le personnage d’Idreno. En guise d’entrée, « La dal Gange » tronqué de quelques mesures, s’essouffle, bouscule la justesse et perd son élégance. « La speranza più soave » trahit l’effort et se mouchette de paillettes grises jusqu’à ce que, vainqueur, l’aigu jaillisse comme un cri de revanche. Dans les ensembles, le chanteur reprend pourtant la place qui échoit à l’amoureux d’Azema, celle d’un prince dont le panache comble l’harmonie sonore.

La désillusion s’écoule, amère, à travers les pâles égarements de Barbara de Castri, noble héros bien moins qu’adolescent inhibé aux épaules rentrées et à l’allure gauche. La respiration, anarchique, désarticule « Eccomi alfine in Babilonia ». La projection, limitée, place en retrait le commandant des armées lors des amples concertati. Arsace ne trouve un semblant de réconfort que dans les bras de sa mère, au moment des passages qui les unissent tendrement, mais avec une intensité telle que toutes ses faiblesses sont alors oubliées.

Malgré leur engagement et leurs qualités par ailleurs, les exclamations véristes de Michele Pertusi, la corrosion du timbre, l’abus du parlando et les inégalités de registre d’Alexandrina Pendatchanska, les sons tubés du « bel raggio lusinghier » participent aussi à la déconvenue.

Les chœurs, en place, et la direction, simple mais efficace, d’Evelino Pido, n’appellent en revanche aucun reproche.

A trop focaliser cependant sur les capacités techniques et la hauteur des notes, on prend le risque de laisser de côté l’essence même du drame, celle, démesurée, à laquelle puiseront les descendants de la reine de Babylone, Nabucco, Macbeth et autre Turandot.

Et finalement, sauf à être masochiste, il vaut mieux retenir, outre les duos extatiques entre Sémiramide et Arsace déjà mentionnés, l’affrontement sanglant entre Assur et la souveraine au début de l’acte II, la force tragique du trio final, ou, plus marquant encore, la grande scène d’Assur que Michele Pertusi empoigne avec une énergie excitante.

La force théâtrale de ces instants fracasse le carcan de l’analyse, emporte dans sa tourmente critiques et objections, et finalement, offre au lyricomane plus que le plaisir des sens ou l’émotion du moment : sa raison d’être.
 

 

Christophe Rizoud
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