C O N C E R T S
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
KARLSRUHE
18/02/2007
 
© Jacqueline Krause-Burberg
Richard Wagner (1813-1883)

SIEGFRIED


Opéra en trois actes, créé à Bayreuth le 16 août 1876
Deuxième journée du « Festival scénique »,
sur un livret du compositeur.

Siegfried : Lance Ryan
Mime : Matthias Wohlbrecht
Der Wanderer : Thomas Johannes Mayer
Alberich : Stefan Stoll
Fafner : Peter Lobert
Erda : Ewa Wolak
Brünnhilde : Barbara Schneider-Hofstetter
Waldvogel : Ina Schlingenseiepen

Orchestre de la Badische Staatskapelle
Direction musicale : Anthony Bramal
Mise en scène, décors et costumes : Denis Krief

Karlsruhe, dimanche 18 février 2007

On sait les difficultés inhérentes au fonctionnement des théâtres allemands, avec ce système dit « de répertoire » qui leur permet (avantage de la méthode) de jouer quasi tous les soirs les œuvres les plus diverses, mais qui oblige souvent aussi à quelques compromissions (simplification des dispositifs scéniques pour permettre des changements de plateaux du jour au lendemain, répétitions parfois réduites à leur plus simple expression).

La nouvelle production du Ring badois (créé en septembre 2006) répond ainsi parfaitement au cahier des charges : décor unique et minimaliste, constitué d’une sorte de carcasse en bois de douze demi-arceaux, dont on se demande s’il s’agit d’une coque de navire en construction ou d’un squelette de baleine où nos héros évolueraient comme autant de Jonas… Un praticable traverse en biais cette carcasse, servant à quelques exercices gymniques – nous passerons sous silence l’échelle double que l’Oiseau apporte et installe elle-même pour y monter et en redescendre… Moment de pure poésie, on s’en doute ! Derrière, rien : le plateau vide, nu, noir. Dans cet espace sans fond, les voix se diluent comme dans une cathédrale – ou plutôt, comme dans une piscine vide. Cela pourrait être meurtrier pour les chanteurs.

Par chance, ceux-ci sont de véritables rocs, d’une solidité à toute épreuve. Lance Ryan, tout d’abord, Siegfried jeune, puissant, sonore, avec sa voix hyper focalisée, semble même être encore en mesure de chanter un acte supplémentaire sans problème. C’est une qualité essentielle pour ce genre de rôles, surtout dans un tel dispositif scénique. Mais passé un premier temps où l’on se met à rêver tant la voix impressionne par son airain, l’émission se révèle vite monotone, et déçoit même dans les moments plus élégiaques – et il y en a dans Siegfried ! La tenue remarquable de la voix dans les moments les plus héroïques de la partition se perd complètement quand il s’agit de chanter piano et de faire entendre une ligne. L’acteur (même si l’on a toujours scrupule à critiquer le jeu des chanteurs lorsqu’ils ont à chanter des rôles aussi écrasants) est très mal dirigé – euphémisme ? Les gestes sont ceux d’une autre époque, les postures parfois ridicules… C’est dommage. Mais n’accablons pas ce jeune chanteur dont on se dit qu’il nous promet de bien belles soirées quand même, si de bons chefs croisent sa route et savent lui insuffler les quelques nuances qui feraient de lui le Heldentenor qui nous manque aujourd’hui.

A ses côtés, on retiendra surtout le Mime parfait de Matthias Wohlbrecht, au chant idoine et au jeu, quant à lui, aussi naturel et souple que celui de son élève semble gauche et emprunté. Ewa Wolak, n’était un maquillage affreux, est une Erda vocalement superbe, même si l’étagement des registres peut surprendre, avec un grave poitriné sans retenue. L’Alberich de Stefan Stoll tire habilement son épingle du jeu, voix efficace, incarnation dure et sauvage. Le Wanderer et Fafner, en revanche, déçoivent. Le premier (Thomas Johannes Mayer) a indéniablement la voix du rôle, puissant, sonore, se colletant avec bravoure aux déchaînement orchestraux qui tuent plus d’un Wanderer (il faut dire que Wagner, pour une fois, n’a pas aidé son chanteur, déployant un tissu orchestral phénoménal sous lui). Mais de fréquents problèmes de justesse entachent la prestation de l’artiste. Peut-être est-il souffrant, d’ailleurs (on remarque qu’il s’éclaircit souvent la voix, raclant sa gorge à plusieurs reprises). Le souci avec le Fafner de Peter Lobert est plus inquiétant. Certes, la voix est belle, les graves abyssaux. Mais le style est éprouvant : ports de voix, notes prises par en dessous, sons raides… Reste le cas de Barbara Schneider-Hofstetter, Brünnhilde aux aigus presque nilssoniens, acérés, lumineux, d’une sûreté parfaite. Le problème, chez elle, vient du registre grave de sa tessiture, totalement inaudible aujourd’hui. Il est étrange de voir une chanteuse ouvrir aussi grand la bouche et ne rien en entendre sortir… Mais soyons juste : le duo final demeure d’une grande force émotionnelle, Lance Ryan et Barbara Schneider-Hofstetter électrisant la salle par leur énergie et leur héroïsme intacts (ce qui, pour lui, relève vraiment de l’exploit).

Anthony Bramal à la baguette plombe malheureusement la soirée : l’orchestre, d’une grande qualité intrinsèque, s’en sort avec les honneurs, malgré toutes les pesanteurs que lui impose le chef. On a rarement entendu phrasés aussi lourds, et tempi aussi étirés. La scène de la forge est, à cet égard, exemplaire : prise adagio sostenuto (nous exagérons à peine), elle aurait étouffé un chanteur moins extraordinairement constitué. Chapeau bas au ténor, qui aurait sans aucun doute réussi une tout autre performance avec un tempo deux fois plus allant…

David FOURNIER


[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]