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PARIS
Théâtre musical du Châtelet
10/11/2001
 
Les trois soeurs

Peter Eötvös

Livret de Claus H. Henneberg et Peter Eötvös
Traduit en russe par Krzysztof Wiernicki

Créé le 13 mars 1998 à l'Opéra National de Lyon

Orchestre philharmonique de Radio France
Direction musicale : Kent Nagano et Peter Eötvös
Mise en scène, scénographie et lumières : Ushio Amagatsu
Décor et peintures : Natsuyuki Nakanishi
Costumes et maquillages : Keiji Morita

Natacha : Gary Boyce
Olga : Alain Aubin
Macha : Bejun Metha
Irina : Oleg Riabets
Tcheboutykine : Peter Hall
Rodé : Alexei Grigoriev
Andreï : Albert Schagidullin
Koulyguine : Nikita Storojev
Verchinine : Wojtek Drabowicz
Touzenbach : Gregor Dalal
Fedotik : Valery Serkin
Soliony : Denis Sedov
Anfissa : Jan Alofs

 


Des esprits chagrins pensent que l'opéra est un art du passé, qui doit être figé dans la naphtaline où certains se complaisent (la récente production d'Attila à l'Opéra national de Paris le démontre). Les représentations récentes des Trois Soeurs de Peter Eötvös au Théâtre du Châtelet prouvent le contraire. Après les succès publics et critiques du Wintermärchen de Philippe Boesmans et de K de Philippe Maunoury la saison dernière, cette oeuvre de 1998 qui a déjà fait l'objet de plusieurs traitements scéniques démontre d'une façon éclatante que l'opéra contemporain existe, se porte bien et peut transporter d'aise un public de non spécialistes.

Sans vouloir prétendre à la moindre analyse musicale (on se reportera pour cela au dossier de Mathilde Bouhon), la musique d'Eötvös peut d'abord surprendre par son côté minimaliste, voire un peu sec, mais très vite on constate qu'elle constitue en fait un véritable écrin pour une écriture vocale de toute beauté et au service du texte

Le choix de faire interpréter les trois soeurs (ainsi que la belle-soeur) par des contre ténors accentue le caractère "vocal" de cette oeuvre. Au-delà d'une référence revendiquée par l'auteur vers le théâtre japonais (le nô était uniquement joué par des hommes) et renforcée bien sûr par la mise en scène (voir plus loin), ce choix renforce le côte "irréel" de trois personnages totalement perdus, victimes du temps qui passe et de la veulerie des hommes.

Plusieurs moments vocaux se dégagent avec une force et une émotion dignes des plus grands airs de l'opéra "classique". On peut citer le trio d'introduction, mais aussi la déclaration de Soliony et le monologue d'Andreï.

Du point de vue de la construction dramatique, si la première partie peut surprendre voire dérouter, le choix narratif en boucle (on revient à une situation déjà rencontrée dans la première partie) devient clair et simple et on se laisse transporter. Un tel choix ne trahit absolument pas l'esprit de la pièce de Tchekhov car elle ne fait que renforcer cette impression de situation sans issue dans laquelle les trois personnages sont condamnés.

Aborder l'opéra contemporain peut être facilité par une vision scénique intelligente. Par rapport à cet objectif, le travail du metteur en scène japonais Ushio Amagatsu est une véritable réussite. Gestuelle très recherchée, associée à un décor d'une légèreté et d'une simplicité à l'image de la musique (trois panneaux coulissants qui se déplacent au fur et à mesure des scènes) et des costumes magnifiques (réalisés par un des grands mannequins japonais) crée une atmosphère dans laquelle on souhaiterait rester longtemps après la fin du spectacle.

À l'unisson de ces choix artistiques, les interprètes sont tout à fait remarquables et semblent totalement investis, résultat d'un véritable travail d'équipe. De ce groupe se détachent Denis Sedov, qui aborde son personnage comme il le faisait pour Sénèque dans le Couronnement de Popée à Aix et à Paris, Albert Schagidullin, un Albert lâche et déchiré et Bejun Metha, qui a rejoint l'équipe de la création où il s'est parfaitement intégré.

L'orchestre philharmonique de Radio France s'est également fortement investi dans le projet. Même si, selon les spécialistes, le Châtelet n'est pas le lieu idéal pour goûter au dispositif acoustique avec l'orchestre principal en fond de scène dirigé par Eötvös (Kent Nagano étant dans la fosse avec une formation réduite), les applaudissements ont été plus que nourris lorsque le rideau qui le cachait s'est levé.

Nouveau succès, donc, pour les Trois soeurs de Peter Eötvös, nouvelle victoire pour la musique nouvelle et en fin de compte, un public comblé qui sans doute en redemandera.
 
 
 

Bertrand Bouffartigue
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