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PESARO
18/08/06

Alberto Zedda
© Amati Bacciardi
Gioachino Rossini (1792 – 1868)

STABAT MATER

Soprano : Darina Takova
Mezzo-soprano : Anna Bonitatibus
Tenor : Dmitry Korchak
Basse : Michele Pertusi

Orchestre du Théâtre communal de Bologne
Chœur de chambre de Prague

Direction musicale : Alberto Zedda

Pesaro, BPA Palas, le 18 août 2006, 17h30

Le miracle Zedda

Le Stabat Mater de Rossini, musique profane ou sacrée ? Alberto Zedda laisse planer le doute, attendant la fin du concert pour apporter une réponse. Auparavant, la dimension spirituelle de l’ouvrage fluctue en fonction des numéros et de leur(s) interprète(s).

Dans ce combat entre le rouge et le noir, le chœur de chambre de Prague choisit la teinte la plus fuligineuse, celle de la dévotion divine. L’écriture musicale participe évidemment à l’impression. Car la partition réserve aux choristes les passages les plus méditatifs : le quando corpus morietur (n°9) a capella, l’étonnant dialogue avec la basse de l’Eja, mater, fons amoris (n°5)... L’interprétation de l’ensemble tchèque contribue aussi à apporter sa pierre à l’édifice religieux. Les couleurs des différents pupitres se fondent sans que jamais la vivacité de l’une d’entre elle ne tranche l’harmonie. La précision et la concentration ajoutent à l’intériorité ; le résultat est remarquable.

Parmi les solistes, les hommes plus que les femmes, jouent la carte de la piété. Dans la mesure du possible. En effet, le cujus animam (n°2), quel que soit le ténor, reste un morceau de bravoure, une cabalette lente que pourrait chanter Idreno (1) ou Giacomo (2). Mais Dmitry Korchak transcende avec ferveur le rythme martial et la simplicité de la mélodie. La projection accuse une faiblesse dans le grave et le bas medium. L’aigu en revanche, clair et franc, atteint avec aisance le fameux contre ré bémol de l’aria. Il trouve aussi sa place dans les ensembles qu’il rehausse avec chaleur.

L’air de basse, Pro peccatis suae gentis (n°4), flirte également avec le pourpre. Michele Pertusi, apparemment fatigué - le rôle du duc d’Ordow dans Torvaldo e Dorliska qu’il interprète cette même saison s’avère éprouvant - peine à lui insuffler son lyrisme habituel. La largeur du registre affecte surtout les notes basses. Plus généralement, la voix ne semble pas assez sombre pour donner à chaque intervention la profondeur qu’il convient. Moins autoritaire, moins spectaculaire mais par conséquent plus introvertie, plus recueillie.

Il appartient alors aux cantatrices de soulever le rideau et de dévoiler les planches. Anna Bonitatibus se régale des éclats qui troublent la sérénité gracieuse de sa cavatine, Fac, ut portem (n°7). Ils mettent en valeur l’ampleur du son tandis que la douceur de la flûte souligne le velours du timbre. L’expression est résolument dramatique.

Sa théâtralité reste cependant relative si on la compare à Darina Takova. Car le parti pris de la soprano bulgare est sans équivoque. Dans l’attitude d’abord ; dès sa première intervention, le corps refuse l’immobilité contemplative. Au contraire, imprécatoire, il se dresse, il se tord. Vocalement, la constatation est la même. La violence de l’Inflammatus (n°8) n’est pas la promesse de l’enfer mais la détresse d’une reine. La beauté soyeuse de l’instrument, sa sensualité achèvent de dresser le portrait païen d’une passion amoureuse, terriblement humaine.

Selon l’adage, le meilleur reste pour la fin, dans la brillance de la double fugue qui conclut l’œuvre, Amen (n°10). Alberto Zedda, non sans malice, choisit de l’attaquer avec modération pour mieux ensuite gonfler le volume et de manière saisissante, élever peu à peu l’immense cathédrale sonore. Arrivé à ce point d’intensité extrême, le maestro réussit à pousser le clocher encore plus haut en libérant les cuivres et les timbales. Leur roulement, détaché avec beaucoup de netteté, prend alors l’allure d’une course à l’abîme tandis que se dessine terrifiante dans l’espace phonique la fresque du jugement dernier. Le monument s’écroule subitement et disparaît, puis après le rappel des premières mesures de l’introduction, resurgit tout aussi soudainement et finit, triomphal, par écraser l’auditeur en deux accords.

Galvanisé, le public se libère de l’extraordinaire tension en applaudissant à tout rompre. Après plusieurs rappels, Alberto Zedda se voit contraint de reprendre la baguette et bisser le numéro final (3).
Le miracle se reproduit alors avec la même force et de nouveau, sous nos yeux ébahis, le chef d’orchestre cesse d’être un homme pour devenir un dieu.

 
Christophe Rizoud



Note


(1) Semiramide

(2) La donna del lago

(3) La tradition semble s’instituer : l’année dernière, Alberto Zedda bissa ce même numéro (lire le compte-rendu de Brigitte Cormier)
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