C O N C E R T S 
 
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PESARO
15/08/04

Patricia Ciofi & Marina Pizzolato
Gioachino ROSSINI (1792-1868)

TANCREDI (1813)

Melodramma eroico
en deux actes de Gaetano Rossi d'après Voltaire
Edition critique de la Fondation Rossini
en collaboration avec la Casa Ricordi par Philip Gossett

Direction musicale : Victor Pablo PEREZ
Régie, mise en scène, costumes : Pier Luigi PIZZI 
Chef de choeur : Lubomir MATI

Argirio  : Gregory KUNDE
Tancredi : Marianna PIZZOLATO
Orbazzano : Marco SPOTTI
Amenaïde : Patrizia CIOFI
Isaura : Agata BIENKOWSKA
Roggiero : Anna CHIERICHETTI

Orchestre Sinfonica di Galicia
Chúurs Da Camera di Praga

En collaboration avec Il Teatro del Maggio Musicale Fiorentino

Pesaro, 15 Août 2004



La Mort de Tancredi
 

Tancredi est le dixième opéra sur trente-neuf composés par Rossini qui n'avait alors que 21 ans.
A l'occasion de L'Occasione fa il ladro, il avait obtenu de La Fenice la commande d'un opera seria sur un livret choisi pour lui : une adaptation du Tancredi de Voltaire (produite  en privé en 1759 à Ferney).

La première représentation musicale du 6 février 1813 à La Fenice joua de malheur : deux prime donne étant souffrantes, la vraie première eut lieu seulement le 11 février avec la contralto Adelaïde Malanotte (Tancredi), Elisabetta Manfredini (Amenaïde) le ténor Pietro Todran (Argirio) et la basse Luciano Bianchi (Orbazzano) .
Cette oeuvre, la préférée de Stendhal qui y percevait à la fois la continuité des styles précédents et une amorce de la sensibilité romantique, marqua pour Rossini le début d'une renommée qui ne se démentira pas. 

L'action se déroule à Syracuse en 1005 pendant la lutte féroce entre les Sarrasins et l'empire byzantin en Sicile. Pour sceller l'alliance entre leurs factions rivales face à Solamir, roi des Sarrasins, Argirio offre à Orbazzano la main de sa fille Aménaïde. Mais celle-ci aime le jeune Tancredi, autrefois injustement accusé de fidélité à la cour byzantine et banni de Syracuse. Après de nombreuses péripéties ( fausse trahison, message mal délivré) l'action se termine par un duel à mort "pour les beaux yeux d'Aménaïde" entre Orbazzano et Tancredi.
Deux finales ont été composées par Rossini. Celui de Venise où la victoire des Sarrasins est totale, Tancredi tue Solamir qui, avant de mourir, a confirmé l'innocence d'Aménaïde. Les réjouissances sont générales et conjugales. Celle de Ferrare, d'une plus grande fidélité à Voltaire, rétablit la mort du héros. Cette dernière a été choisie par le Festival Rossini dans sa production d'août 2004 à Pesaro.


Gregory Kunde

Dans la mise en scène déjà proposée en 1999, Pier Luigi Pizzi se montre selon son habitude d'un goût sobre et très traditionnel : d'immenses colonnes, des escaliers qui s'escamotent selon l'action intérieure ou extérieure. L'emprisonnement d'Aménaïde, accusée à tort de haute trahison, est suggéré par quatre grilles entourant son lit. La mort de Tancredi est particulièrement émouvante par sa simplicité, de même que son chant d'adieu à Aménaïde dans un souffle pendant qu'Argirio leur joint les mains en signe de mariage. Il meurt, conscient d'être aimé et satisfait d'avoir défendu triomphalement sa patrie.

Le rôle-titre devait être pour Vesselina Kasarova, qui se serait blessée et aurait dû abandonner au début des répétitions. Elle fut remplacée trois semaines avant la première par Marianna Pizzolato, auparavant prévue en Isaura dans cette production. Cette jeune cantatrice de 27 ans qui fit ses études musicales à Parme, est peu connue du public mais elle a pourtant reçu un accueil triomphal, et à juste titre. Sa voix de mezzo est belle, bien placée, son aigu sûr et son médium consistant et elle dispose d'un grave bien sonore. Elle se déplace sur scène avec aisance et souplesse. Son grand air "di tanti palpiti", que tant de "grandes" ont interprété en morceau de bravoure, a été donné avec délicatesse et sûreté.

Argirio était campé par Gregory Kunde, ténor américain entendu récemment à Paris dans Benvenuto Cellini à la Maison de la Radio et dans Les Troyens (Enée) au Châtelet (retransmis à la télévision). Chanter Berlioz et Rossini tient de la performance, bien que Kunde déclare que pour lui les partitions appartiennent au même univers vocal ! Il est excellent et n'escamote aucun aigu, au contraire ! Une telle diversité démontre qu'un ténor en pleine possession de sa voix peut passer d'un rôle de lyrico "alla francese" à celui d'un rossinien bien italien... 

Patricia Ciofi, également à l'affiche de Benvenuto Cellini livre une Aménaïde tout en douceur, mais déterminée à rester fidèle à son amour. Elle avait déjà particulièrement marqué le rôle de Lucie (Lucie de Lammermoor, la version français du chef-d'oeuvre de Donizetti), mais révèle ici encore plus d'ampleur vocale, emplissant le Palafestival - espace pourtant peu propice aux représentations théâtrales et vocales - même dans les notes suraiguës. Au 1er acte, dans son duo avec Tancredi, au moment où elle l'exhorte à quitter Syracuse ("L'aura que interno spiri "), le metteur en scène a choisi de les placer chacune de part et d'autre du plateau, produisant ainsi un effet de stéréo très réussi grâce à la puissance, l'harmonie vocale et à la synchronisation bien réglée des artistes.

Né à Parme, basse de grande envergure, Marco Spotti sait traduire l'ambition et la traîtrise qui habitent le personnage d'Orbazzano. La voix sonne sans effet inutile, le grave n'est pas poitriné, mais clair et bien timbré.

Les rôles secondaires sont honorablement tenus, particulièrement Isaura, servie par un mezzo polonais, Agata Bienkowska, remarquée dans son solo.

Victor Pablo Perez assurait la direction musicale. Issu du conservatoire de Madrid, il s'est déjà produit avec le London Philharmonic, le Royal Philharmonic, le Munich Philharmonic, l'Accademia di S.Cecilia, le Maggio Fiorentino, et apparaissait pour la première fois au Festival Rossini. Peut-être aurait-il pu insuffler un peu plus de vigueur à certains passages, mais il a sans doute voulu privilégier l'émotion plutôt que le spectaculaire.
 

E.G. SOUQUET
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