C O N C E R T S 
 
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ROME
02/11/04

Daniela Barcellona
Gioacchino ROSSINI

TANCREDI

Mise en scène, décor et costume - Pier Luigi PIZZI
Direction - Gianluigi GELMETTI

Chef du choeur - Andrea GIORGI

Argirio - Raul GIMENEZ
Tancredi - Daniela BARCELLONA
Amenaide - Mariella DEVIA
Orbazzano - Marco SPOTTI
Roggiero - Sofia SOLOVIY
Isaura - Barbara DI CASTRI

Orchestre et choeurs du Théâtre de l'Opéra

2 novembre 2004
Théâtre de l'Opéra de Rome



Le rare Tancredi rossinien est revenu à l'affiche du théâtre Costanzi de Rome, 27 ans après la production précédente qui avait inauguré la saison 1977-78. A l'époque, les sept représentations avaient été marquées par la présence de Marilyn Horne dans le rôle-titre, qui avait fait parler d'elle à la fois pour le niveau exceptionnel de sa prestation, évidemment, mais aussi pour le montant de son cachet, contesté par certains journalistes (50 millions de lires soit, très approximativement, environ 25 000 euros d'aujourd'hui pour la série). 

En 2004, cette reprise de la production du festival de Pesaro de 1999 excite moins les foules et les fauteuils du théâtre de la capitale italienne sont, pour la première, dramatiquement dégarnis. Force est de constater que c'est devenu une habitude, l'opéra - à part pour Tosca qui avait fait le plein, au printemps dernier - attirant manifestement peu le public romain.

Ce Tancredi ne manquait pourtant pas d'attraits : une distribution réunissant des spécialistes, confirmés ou prometteurs, bien connus du public romain ; une production efficace, avec un décor unique mais modulable ; et aussi le choix, par le maître des lieux, Gianluigi Gelmetti, du finale dramatique de la version de Ferrare ("Quel pianto mi scende al cor") auquel Rossini avait dû, après la création de l'oeuvre, le 6 février 1813, substituer un plus classique lieto fine (version de Venise), davantage aimé du public. Il faut dire que la cavatine finale du rôle-titre, chanté piano et "sul fiato", intrigue et fait irrésistiblement penser, près de 60 ans avant l'heure, à la dernière scène, toute en demi-teintes, de l'Aïda de Verdi. Mais sur l'oeuvre elle-même, le chroniqueur n'a plus qu'à renvoyer au dossier que Catherine Scholler a réalisé pour Forum Opéra.

Succédant à la grande Marilyn sur la scène romaine, Daniela Barcellona, originaire de Trieste, reprend le rôle-titre qu'elle assumait déjà à Pesaro il y a cinq ans. Sa présence physique fait merveille, notamment dans les duos avec la Devia - Tancredi mesure trente bons centimètres de plus que sa bien-aimée et a aussi pour lui quelques dizaines de kilos supplémentaires... - même si certains gestes inutiles (Ah ! Ces mouvements du bras destinés à montrer sa colère !) rendent son jeu par trop stéréotypé, en tout cas plus que dans le Malcolm liégeois, en 2003. Vocalement, Daniela Barcellona maîtrise ce rôle très lourd. Les vocalises sont assurées mais n'atteignent jamais le brillant ni la virtuosité des véritables mezzos coloratures rossiniennes que furent pour ne citer que nos préférées, la Horne, la regrettée Valentini-Terrani ou Martine Dupuy. Les aigus de Barcellona sont toujours aussi puissants et faciles. Mais elle peine à séduire et sa juvénilité virile manque singulièrement de charme.

Son Amenaide est en revanche tout en douceur et en séduction. Mariella Devia, chanteuse aguerrie et victime d'une foulure de la cheville lors de la répétition générale, a été la grande triomphatrice de la soirée. Sachant parfaitement doser ses effets, vocalisant à la perfection ; on guette les signes de fatigue... qui n'arrivent pas. Son père, le magnanime Argirio, incarné par le vétéran Raul Gimenez, ne peut en dire autant. Grand spécialiste du chant rossinien, qu'il a magnifiquement servi, avec un grand sens musical, sur les plus grandes scènes du monde pendant de longues années, le ténor argentin accuse le coup, dans un rôle lourd. En Tamino de La Flûte enchantée, en juin dernier, sur la même scène, il avait été plus convaincant, alors que dans les différents airs de la partition de Rossini, les aigus sont systématiquement coupés.

A côté du trio principal, le rôle assez ingrat du méchant, Orbazzano, est assuré par Marco Spotti. La jeune basse, à la voix sonore et bien projetée, est désormais un habitué de la scène romaine où, au cours des douze derniers mois, il incarné Sarastro et le moine dans Don Carlo (il chantait Philippe II dans la seconde distribution). Signalons aussi la prestation réussie de la soprano Sofia Soloviy, très appréciée après son air du deuxième acte "Torni alfin ridente".

Le maestro Gelmetti signe une direction efficace à défaut d'être inspirée. Sous sa baguette, le deuxième acte paraît singulièrement long. Quant aux choeurs de l'Opéra de Rome, ils ont à plusieurs reprises démontré leur insuffisance, notamment le pupitre des ténors, indigne d'un théâtre qui se veut de premier plan.

Au total, cette production de l'oeuvre préférée de Stendhal, redevenue rare (nous l'avons toutefois entendue il y a quelques années à Marseille, mais quand donc l'Opéra de Paris se décidera-t-il à explorer les opéras seria de Rossini ?), était plus qu'honorable, sans pour autant susciter l'enthousiasmante. La routine à laquelle le théâtre romain donne souvent l'impression de céder s'explique certainement, quand la salle reste vide, quelles que soient les oeuvres ou les distributions... Est-ce dû, comme on le murmure ici, au nombre élevé des abonnements, conservés par tradition par certaines familles pourtant peu fidèles à l'art lyrique ? A une ouverture insuffisante vers des publics plus jeunes ? Le sujet mériterait d'être sérieusement étudié par la direction du théâtre car, à la fin, cette désaffection risque de peser sur la qualité des productions, au détriment des véritables tiffosi !
 
 

Jean-Philippe THIELLAY
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