C O N C E R T S 
 
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TOULON
27/02/05 & 02/03/05

© Photo Khaldoun Belhatem
TANCREDI

Gioacchino Rossini (1792-1878)

Melodramma eroico
Livret de Gaetano Rossi d'après la tragédie de Voltaire 
Création 6 février 1813 à La Fenice

Direction musicale : Antonello Allemandi
Orchestre et Choeur de l'Opéra Toulon Provence Méditerranée
Compagnia Canto Lombarda
Chef des choeurs : Catherine Alligon

Mise en scène, décors et costumes : Massimo Gasparon
Production du Teatro Lirico "Giuseppe Verdi" de Trieste

Tancredi : Ewa Podles
Amenaide : Nicoleta Ardelean
Isaura : Gemma Coma-Alabert
Argirio : Mario Zeffiri
Orbazzano : Nikolay Bikov
Roggiero : Giorgio Trucco

Toulon, 27 février et 2 Mars 2005

Au-delà de la mort, l'amour triomphe

L'époque : aux alentours de l'an 1000. Le lieu : Syracuse en Sicile. Au lever du rideau, les deux familles patriciennes d'Argirio et d'Orbazzano fêtent leur victoire. Ils ont réussi à repousser les envahisseurs sarrasins et à conserver leur indépendance. En pleine euphorie, ils décident de s'unir plutôt que continuer à s'entretuer pour le pouvoir. C'est maintenant Argirio qui gouverne. Quoi de plus efficace pour détendre l'atmosphère que d'offrir à Orbazzano la main de sa fille Amenaïde ? Hélas ce serait trop simple. En effet, ils ignorent qu'Amenaide, précédemment envoyée avec sa mère à la cour de Byzance, y a rencontré un autre ennemi potentiel : Tancredi, fils d'un riche normand, autrefois chassé de Syracuse. Tombée éperdument amoureuse, Amenaide lui a évidemment juré sa foi et ceci, de surcroît, en présence de sa mère mourante ! L'action se déroule en deux actes avec force quiproquos, soupçons de trahison, complots de vengeance assassine, condamnation à mort de la jeune fille... Quel que soit le dénouement choisi, "happy end" comme à la création de l'oeuvre ou bien - conformément au drame historique de Voltaire - comme à Ferrare, fin tragique avec mort de Tancredi, la vérité éclate in extremis pour réconcilier les amants.

Et maintenant, sur ce fond d'intrigue rocambolesque, place à la musique ! Place au bel canto, en droite ligne de Pergolèse et de Hændel, place à la virtuosité du chant rossinien, dans toute sa fraîcheur. Le compositeur n'a que 21 ans. Pourtant, ce Tancredi qui le rendit célèbre du jour au lendemain et le fit porter en triomphe à travers Venise tomba ensuite dans un oubli quasiment total pendant plus de 150 ans.


© Photo Khaldoun Belhatem

C'est grâce aux recherches de Philip Gossett, grand spécialiste de Rossini, que la partition originale de Tancredi fut patiemment reconstituée, à partir de manuscrits autographes et de diverses sources, incluant le témoignage de Stendhal - dont c'était l'opéra préféré - et que la fin tragique fut reconstituée en 1976. Selon Gosset, il faut d'ailleurs se garder de voir en Tancredi une oeuvre de jeunesse mais, au contraire, le considérer comme : "un moment très particulier dans l'histoire de la musique qui réussit la fusion entre une esthétique néoclassique et une sensibilité romantique naissante".

De l'ouverture à l'ultime scène de la mort de Tancredi, le chef italien Antonello Allemandi, souriant et un brin désinvolte, conduit avec sûreté, brio et délicatesse, un orchestre qui porte haut les couleurs rossiniennes dans leur vivacité et leur variété. Les choeurs, un peu conventionnels, sont bien réglés et surtout très présents visuellement. Le metteur en scène Massimo Gasparon, vénitien et architecte de formation, assistant de Pier Luigi Pizzi pour de nombreuses productions, signe également des décors et des costumes un peu clinquants mais harmonieux. Le tout, pensé dans un esprit "péplum" comme il convient à la Syracuse de l'époque, est donc très cohérent. Au moyen d'éléments mobiles évocateurs, les changements de lieu sont marqués avec élégance. À noter, parmi les réussites, l'arrivée du bateau de Tancredi et la prison d'Amenaide, située efficacement côté spectateurs. Bien qu'ils ne réussissent pas toujours à éviter les reflets gênants, en provenance des plastrons et des casques dorés, les éclairages sont agréables et souvent subtils. Ils contribuent beaucoup à installer le climat d'émotion intense de la fin de l'opéra.

Après une ouverture qui nous fait sentir l'urgence de la situation et la montée de la tension dramatique, les chanteurs servent chacun leur rôle avec justesse et engagement. Avec son crescendo inexorable et son tutti, le finale de l'acte I est impressionnant.

Bien qu'il manque encore un peu de maturité, Mario Zeffiri, avec sa voix bien timbrée et bien projetée - qui rappelle un peu celle de Rockwell Blake jeune - arrive à donner à Argirio la prestance et l'autorité d'un père aussi bien que la bravoure d'un chef. Son duo avec Tancredi au deuxième acte, "Ecco le trombe : al campo, al campo", est vraiment un excellent moment.

Quoique peu musicale, la jeune basse bulgare Nikolay Bikov, assez fade dans son jeu d'acteur, tient correctement le rôle d'Orbazzano. La mezzo espagnole Gemma Coma-Alabert, lumineuse et élégante, nous donne une Isaura très présente. Le timbre assez rond et la voix bien assise font espérer une belle carrière. Dans le rôle de Roggiero, le ténor Giorgio Trucco tire très bien, lui aussi, son épingle du jeu.

Nicoleta Ardelean est touchante à souhait en Amenaide. Toute de douceur et de sincérité, sans aucune mièvrerie, la soprano roumaine séduit dès son entrée, "Come dolce all'alma mia". Ses qualités de soprano lyrique font merveille dans les récitatifs et les moments élégiaques, mais la voix manque malheureusement d'agilité pour ce répertoire. 


© Photo Khaldoun Belhatem

Enfin dans le rôle-titre, Ewa Podles éblouit par l'étendue de son registre de vrai contralto, son timbre pulpeux, ses aigus brillants et ses graves surprenants. Malgré une féminité qu'elle ne saurait dissimuler, aux antipodes des travestis à la silhouette androgyne, a priori plus conformes aux standards actuels, la fascinante cantatrice polonaise demeure un Tancredi de grande classe. Son aisance naturelle sur scène, sa "vocalità" à toute épreuve dans les fioritures des cavatines, son engagement dramatique de chaque instant, la rendent irrésistible.

Le silence prolongé qui suit le rideau final avant qu'éclate un tonnerre d'applaudissements est la meilleure preuve de la réussite globale de cette production italienne, donnée à l'Opéra Toulon Provence Méditerranée pour la première fois. De conception très respectueuse, elle donne une lecture claire et équilibrée et, surtout, elle a le mérite de ne pas détourner l'attention sur des trouvailles saugrenues ou décalées, destinées à divertir un public que l'on craint d'ennuyer. Quelques rares commentaires négatifs, saisis au vol à la sortie, pourraient toutefois faire penser que ce parti pris de classicisme renforce le manque d'enthousiasme des spectateurs résolument hermétiques. 

Mais le public varois, accueilli avec des roses, avait bu du champagne à l'entracte en compagnie des choristes en costume. Après dix mois de travaux, il retrouvait son opéra modernisé, ayant recouvré extérieurement ses ors et son faste Napoléon III. Il se sentait heureux et choyé.
 
 

Brigitte CORMIER
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