C O N C E R T S 
 
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GENEVE
23/09/05
Stephen Gould
© GTG / Ariane Arlotti
Richard Wagner (1813-1883)

TANNHÄUSER

Opéra romantique en trois actes
(Version de Paris 1861)
Livret du compositeur 

Nouvelle production

Ulf Schirmer, direction musicale 

Olivier Py, mise en scène et lumières 
Pierre-André Weitz, décors et costumes

Kristinn Sigmundsson (Hermann),
Stephen Gould (Tannhäuser),
Dietrich Henschel (Wolfram von Eschenbach),
John MacMaster (Walther von der Vogelweide),
Alexandre Vassiliev (Biterolf),
Ulfried Haselsteiner (Heinrich der Schreiber), 
Scott Wilde (Reinmar von Zweter),
Nina Stemme (Elisabeth),
Jeanne-Michèle Charbonnet (Vénus),
Katia Velletaz (Un Pâtre)

Orchestre de la Suisse Romande
Choeur du Grand Théâtre
Direction Ching-Lien Wu

Grand-Théâtre de Genève
Vendredi 23 septembre 2005

Le zizi de Py
 

Plus d'une semaine avant la première de cette nouvelle production de "Tannhäuser" de Richard Wagner, des indiscrétions savamment orchestrées laissaient entendre qu'un hardeur montrant son "arme bandée" (voir nos Brèves) avait été engagé pour figurer dans ce spectacle. Immédiatement, la presse s'est ruée sur la nouvelle pour en faire des gorges chaudes (si l'on peut se permettre la métaphore !). Quelle surprise le turbulent metteur en scène plus "parisien" que français Olivier Py allait-il encore réserver au public genevois ? La fièvre journalistique ainsi déclenchée allait lui permettre de se répandre dans les médias pour justifier son choix et insidieusement, pour préciser son idée de mise en scène. Après ses "Contes d'Hoffmann" controversés, sa "Damnation de Faust" contestée et son "Tristan und Isolde" assagi, on pouvait s'attendre à tout. Plus l'enfant gâté du Grand-Théâtre se défendait d'un scandale annoncé, plus les médias en rajoutaient.

La raison de toutes ces manoeuvres artistico-journalistiques ? L'ouverture du rideau a suffi à la réponse : la mise en scène, plus particulièrement la direction d'acteurs est vide, ratée. Se bornant à des effets de décor, Olivier Py délivre un spectacle dénué de sens. D'aucuns affirmeront que la dimension psychanalytique de son travail scénique est magistrale. Qu'a-t-on à faire de ses fantasmes ? L'important n'est-il pas l'oeuvre et sa présentation au plus près de son esprit ? Dans un décor de néons blancs sur un fond de scène irrémédiablement noir, les protagonistes d'Olivier Py errent d'un côté à l'autre de l'immense scène sans autres intentions que de meubler un espace infini. Trop occupé au déplacement inexplicable et inexpliqué de ses constructions de Meccano chargées de tubes luminescents (il y en aurait 900 !), aux problèmes techniques liés aux entrelacs de câbles électriques, le metteur en scène oublie de raconter l'histoire de Tannhäuser. Et quand il le fait, c'est manqué ! A vouloir se démarquer de ses précédentes facéties scéniques, il dépouille sa mise en scène à l'extrême. Hormis une scène illustrant le trouble d'Elisabeth où son idéal, représenté par une église, chavire sur son assise, les autres scènes sont d'une platitude déconcertante.


Jeanne-Michèle Charbonnet
© GTG / Ariane Arlotti

En choisissant de présenter la version parisienne de Tannhäuser, le metteur en scène disait son désir de coller au plus près de l'oeuvre. Ainsi dans cette version, Wagner voulait la première scène dans la grotte du Vénusberg. Là, une orgie qui, selon les mots qu'il envoya à Mathilde Wesendonck, devait faire horreur ! Olivier Py en fait la parodie d'un show du Crazy Horse. Ses femmes sont bien trop belles, bien trop sages, trop bien vêtues de leurs longues et identiques robes rouges pour qu'elles offrent l'impression d'un monde hétérogène à la sexualité débridée telle que voulue par Wagner. 

Et le zizi de Py ? Il est là, il arrive. Impressionnant. Si grand qu'il semble irréel. Il traverse la scène, se précipite sur la croupe d'Europe pour disparaître en coulisses une quinzaine de secondes plus tard. Une image en chair et en os (!) qui aurait tout aussi pu être factice tant la signification de sa présence reste visuellement incompréhensible autant que fugitive. Mais, les désirs du chouchou de la scène genevoise n'ont décidément pas de limites. Ce zizi ? Un pétard mouillé ! 

De cette esbroufe aveuglante et désolante resterait la musique de Wagner si l'Orchestre de la Suisse Romande l'avait mieux ressentie mais, imprécisions et pâleur qualifient la direction sans inventivité d'Ulf Schirmer. Heureusement, la discrétion de l'orchestre poussée jusqu'au murmure fait la place belle aux voix. A commencer par le ténor américain Stephen Gould (Tannhäuser) jouissant d'une belle santé vocale qui malheureusement étouffe quelque peu la sensibilité musicale attendue du rôle. Même si quelques aigus apparaissent quelque peu tendus, il se défait néanmoins de l'harassant rôle-titre avec une belle vaillance. Aux côtés de ce rare et valeureux ténor wagnérien, la musicalité discrète du baryton Dietrich Henschel (Wolfram von Eschenbach) coule comme un miel bienfaisant. Quel phrasé, quelle douceur et quelle intelligence musicale ! Hormis la belle et profonde voix de Kristinn Sigmundsson (Hermann), les autres rôles masculins restent plus en retrait.


Dietrich Henschel
© GTG / Ariane Arlotti

Le véritable bonheur vocal vient sans contredit des voix féminines. Si la fraîcheur de Katia Velletaz (Un Pâtre) est un régal de trop courte durée pour la qualité vocale de cette jeune et prometteuse chanteuse, la soprano Jeanne-Michèle Charbonnet (Vénus), que le public genevois avait pu apprécier dans "Tristan und Isolde" de l'an dernier, reste une montagne d'énergie vocale et scénique. Si les premières mesures de sa prestation laissaient un sentiment de retenue, c'est dans la colère et le désespoir de la perte de Tannhäuser que la cantatrice canadienne laisse éclater son tempérament. Quelle fougue, quelle puissance et, tout à la fois, quelle belle ligne de chant. Son imposante et haute stature lui donne des allures royales dont elle use avec intelligence dans sa composition de la déesse de la luxure. Elle est dans l'orgie, elle est l'orgie. Alors que le premier acte se termine, et que l'entracte permet à chacun de commenter ses impressions premières, l'unanimité est faite sur la belle qualité des voix. Mais lorsque reprend le spectacle et que jaillissent les premières notes de Nina Stemme (Elisabeth), c'est l'évidence qu'avec elle s'avance un autre courant, une autre classe de chanteur. La manière de phraser, de dire, de jouer des couleurs vocales est d'une rare beauté. Investie dans la contemplation, dans l'immobilité, la soprano suédoise n'a besoin que de sa voix. Et cette voix est unique. Unique de présence, de conscience, de beauté, d'intelligence, de théâtre enfin.


Nina Stemme
© GTG / Ariane Arlotti

La fin du spectacle fut saluée comme à l'accoutumée, d'une ovation pour les chanteurs, pour le Choeur du Grand Théâtre et sa directrice Ching-Lien Wu dont on ne signalera jamais assez les extraordinaires qualités. Quelques irréductibles adversaires d'Olivier Py l'ont conspué alors qu'une claque importante (importée?) l'acclamait. Rien que de très banal en somme, tout comme le spectacle qui, sauf pour l'admirable présence de Nina Stemme, ne laissera pas de souvenir inoubliable dans la mémoire des spectateurs de Genève. Dommage, parce qu'avant une bonne décennie, il y a peu de chance de revoir "Tannhäuser" au Grand-Théâtre !
 
 

Jacques SCHMITT

 
 
 

Prochaines représentations le 29 septembre 2005, les 2, 5, 8, et 11 octobre 2005.

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