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LYON
1*, 3, 5 Juin 2004

Warren Mok, Xiuying Li, Haijing Fu.
Photo © by Gérard Amsellem
Tan DUN (1966)

TEA, UN MIROIR DE L'AME

Opéra en trois actes
Livret de Tan Dun et Xu Ying

Création française

Haijing Fu (Seikyo, moine japonais),
Xiuying Li (Lan, princesse chinoise),
Warren Mok (Prince chinois),
Haojiang Tian (L'Empereur, père de Lan),
Guang Yang (Lu, fille de Lu Yu),

Ensemble vocal du Choeur de l'Opéra national de Lyon (les moines)

Haruka Fujii, Yuki Fukushima,Tamao Inano (musiciens de scène)

Stanislas Nordey (mise en espace),
Raoul Fernandez (costumes),
Emmanuel Clolus (décors),
Stéphanie Daniel (éclairages).

Orchestre de l'Opéra de Lyon
Tan Dun (direction musicale)

1*, 3, 5 Juin 2004


Un Puccini du 21e siècle

Vers la fin du 19e siècle, il était à la mode d'écrire des oeuvres prenant racine dans l'univers de la Chine ou du Japon. Giacomo Puccini avec Madame Butterfly ou Turandot, Pietro Mascagni avec Iris, Franco Leoni avec L'Oracolo ou Camille Saint-Saëns avec La Princesse jaune ont succombé à cet engouement pour l'exotisme des pays du soleil levant. Chacun avec son talent et sa manière lança des ponts entre ces cultures et les nôtres. Aujourd'hui, c'est à la musique de Tan Dun qu'on doit ce rapprochement. Compositeur de la musique du film Tigre et Dragon d'Ang Lee, le musicien chinois était au pupitre de l'Orchestre de l'Opéra de Lyon pour la création française de son dernier opéra qui a vu le jour à Tokyo en 2002.

Dès l'ouverture, Tan Dun emporte son auditoire dans un monde de calme sans lenteur, d'extase déliée et de colorations troubles. Trois percussionnistes féminines aux gestes graciles laissent retomber dans une vasque les gouttes d'eau qu'elles ont emportées sur le dos de leurs mains. Ce léger clapotis ajoute à l'étrangeté de l'atmosphère, comme pour une plongée dans une méditation que la richesse de la musique et la discrétion des éclairages favorisent à merveille. Peu à peu, la scène découvre le visage de Seikyo qui, tel un spectre sorti du néant, dit son aventure philosophique. "Voir le son, entendre la couleur, boire le thé...". Le ton est mis. Ce conte philosophique est fait de merveilleux, d'intériorité, de rêve enchanté et de réalité douloureuse.


Haijing Fu, Haojiang Tian, Warren Mok, Guang Yang, Xiuying Li.
Photo © by Gérard Amsellem

Sur le fond de scène, une immense feuille de papier jauni sur lequel on devine des écrits, un losange incliné s'avançant jusque dans l'orchestre est l'unique décor dans lequel chacun des protagonistes apparaîtra et disparaîtra au gré d'un ballet lent et méticuleux. De grandes banderoles bordent le plateau et serviront d'instruments de percussion, comme ces papiers qu'on agite ou qu'on déchire, parasites sonores intégrant subtilement les complexes et superbes orchestrations. Dans sa mise en espace, Stanislas Nordey crée les ambiances les plus extrêmes en passant de la romance amoureuse au combat meurtrier sans que jamais les gestes ne soient langoureux ni heurtés à l'excès. Tout est mesuré, chacun se déplaçant lentement de l'avant aux côtés ou vers l'arrière du praticable sans jamais interrompre l'action dramatique. Un travail si minutieux qu'on peine à croire qu'il ne s'agit que d'une seule mise en espace. Quelle sensibilité, quelle intelligence de lecture scénique !


Xiuying Li.
Photo © by Gérard Amsellem

Au-dessus de la richesse orchestrale, perçant les ombres, les voix jaillissent en couleurs éclairantes. Cinq voix. Superbes. Authentiques. Toutes originaires de Chine, la qualité vocale des protagonistes est renversante. Puissante, vaillante, éclatante, celle du ténor Warren Mok est la colère personnifiée alors qu'exprimant sagesse et étonnement juvénile, le lyrisme et la chaleur vocale du baryton Haijing Fu intègrent à la perfection le philosophe et le découvreur des arts. Dans la noblesse du timbre, dans sa profondeur, la basse solaire de Haojiang Tian offre un portrait émouvant de l'Empereur bouleversé par les dissensions qui s'installent entre le Prince et sa soeur pendant qu'en léger retrait, dans l'immobilité, dans la dignité, la voix charnue de la contralto Guang Yang renvoie l'image d'une sérénité apaisante. Quant à la soprano Xiuying Li, elle domine le plateau. Non tant par la qualité de sa voix qui ne peut être mise au-dessus de celles de ces collègues, mais plutôt par l'extraordinaire charisme que se dégage de sa personnalité. Les louvoiements gracieux de son corps, les lents déploiements de ses bras sont les estampes qui dévoilent le corps penché des femmes s'affairant aux préparatifs de la table ou des jeux alors que la voix lisse, chaude, parfaitement conduite de la soprano survole la musique de Tan Dun. Elle flotte au-dessus des mots qui s'enflent comme des sons, dépourvus de sens, mais qui transpercent l'âme.

Il est si rare que les éléments d'un opéra se fondent pour en faire une oeuvre d'art totale qu'il est bon de relever que ce spectacle est une réussite absolue. Lumières superbes, costumes magnifiques, voix somptueuses, personnages caractérisés, tout participe à la sublimation d'une musique aérienne, colorante les mots et les phrases. Génial Tan Dun, il est le miracle d'un Puccini au 21e siècle.
 
 
 

Jacques Schmitt
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