OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
04/04/2008


Il Complesso Barocco
© DR


Georg Friedrich Haendel

Tolomeo, Rè d’Egitto
(Ptolémée, roi d’Égypte)


Sonia Prina, Tolomeo
Anna Bonitatibus, Elisa
Karina Gauvin, Seleuce
Vito Priante, Araspe
Romina Basso, Alessandro

Il Complesso Barocco
Alan Curtis, direction

Paris, Théâtre des Champs Elysées
4 Avril 2008

Un baroque complexé ?


Avec quelques différences dans la distribution, revoici ce Ptolémée qu’Alan Curtis vient de sortir chez Archiv (*). Toutefois, les options interprétatives étaient parfois sensiblement différentes, et le concert, bien qu’inégal, a surtout marqué les esprits par un troisième acte qui frisait le sublime.
Mais revenons d’abord à nos moutons du King’s Theatre, où l’œuvre fut créée le 30 avril 1728. Haendel est alors dans une mauvaise passe, devant ses concurrents de l’Opéra de la Noblesse, et son castrat vedette Senesino s’apprête à la quitter après la saison. Tolomeo ne parviendra pas à sauver la mise. La faute d’abord au librettiste Nicola Francesco Haym qui, reprenant un livret de Capece écrit pour Scarlatti, démembre une intrigue déjà passablement incompréhensible où les déguisements et les retournements abondent. La faute ensuite au « Caro Sassonne », qui, s’il signe une partition de qualité, ne renouvelle pas les expérimentations orchestrales ou structurelles que l’on peut trouver dans un Orlando ou un Giulio Cesare, l’aria a due "Dite, che fà" du deuxième acte exceptée. Ce Tolomeo souffre donc dès le départ d'un double handicap : ni ravissant pour les oreilles, ni captivant par son intrigue, l'œuvre se situe dans la constellation du milieu de la quarantaine d'opéras seria du compositeur.
L'équipe des solistes, particulièrement convaincante, sauve le concert de l'ennui potentiel. Elle paraît même plus adéquate que la distribution au disque (Archiv) grâce à un meilleur casting dramatique : Sonia Prina campe un Tolomeo plus masculin qu’Ann Hallenberg et, après quelques temps d'échauffement, livre toute sa science du chant dans deux magnifiques airs "Tiranni miei pensieri" et l'air de suicide "Stille amare, già vi sento". Karina Gauvin a paru un peu fatiguée : les articulations sont soignées, la diction impeccable, mais les aigus tirés, la couleur assez plate et des récitatifs un peu terne (même dans le "Senza il suo bene la tortorella") ont étonné de la part de la canadienne habituellement plus investie. L'Elisa d'Anna Bonitatibus, vocalement chatoyante, a été chaque fois très justement plébiscitée par le public. Son art de la couleur et sa rafraîchissante espièglerie ont apporté de la vie à une histoire relativement insipide. Enfin, l'Araspe de Vito Priante était nettement plus crédible que le doux Spagnoli dans son rôle de méchant conspirateur, tandis que l'alto Romina Basso s'est révélée appliquée mais trop en retrait.

La direction de Curtis a été très inégale : les premier et deuxième actes ont été interprétés avec grâce et élégance par un Complesso Barocco précis, quoiqu'avare de théâtre. Le souffle est court, les vignettes défilent air-récitatif-air-récitatif. Le son plaide inutilement pour plus de cohésion et d'ampleur. La basse continue supplie le chef de la laisser guider le drame mais les violoncellistes, fragiles, se contentent d'enchaîner les notes. Heureusement, les cornistes de l'ouverture ont apporté leur panache à une vision très statique. Etrangement, tous ces regrets s'évanouissent au cours du 3ème acte, splendide de bout en bout, et qui transfigure littéralement la partition : dynamique et impliqué, très équilibré, regaillardi pour les airs de fureur, Il Complesso Barocco retrouve son mordant et sa foi en Haendel, son liant et sa force. Mystère de la spontanéité du concert ? Sursaut d'orgueil ? Nul ne peut le dire. Quoiqu'il en soit, au terme de ce concert dont on aurait voulu que le chef sur sa lancée bisse les deux premiers tiers, on s'éloignera du Théâtre des Champs-Elysées avec le souvenir d'un panel de solistes de première classe, en fredonnant le beau duo "Se il core ti perde" de l'acte II…


Viet-Linh NGUYEN



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ndlr : A suivre la critique du disque paru chez Archiv...
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