C O N C E R T S
 
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PARIS
06/04/2007
 
Marc Minkowski
© Muriel Vega
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)

Il Trionfo del tempo e del disinganno

Oratorio (1707)

Bellezza : Olga Pasichnyk, soprano
Piacere: Anna Bonitatibus, mezzo-soprano
Disinganno: Nathalie Stutzmann, alto
Tempo : Stefano Ferrari, ténor

Les Musiciens du Louvre
Direction musicale, Marc Minkowski 

Paris, salle Pleyel, le 6 avril 2007


 
Il trionfo de Marc Minkowski

Quel contraste ! Après un Ariodante bien pâle au Théâtre des Champs-Élysées quelques jours auparavant, c’est un régal de découvrir un Haendel autrement resplendissant.

Il faut dire que ce premier oratorio écrit par le jeune compositeur à peine arrivé en Italie est déjà un condensé de « tubes », parmi lesquels on peut citer le célébrissime « Lascia la spina » chanté par le Plaisir (1). Le maestro de 22 ans fait montre d’une inspiration sans faille dans la variation des accompagnements instrumentaux et la peinture des climats intérieurs, démontrant, s’il le fallait, que la frontière entre oratorio et opéra est bien ténue.

Le livret, de la main du cardinal Pamphili, nous présente le combat que se livrent le Plaisir d’une part, et le Temps et la Désillusion de l’autre, afin de convaincre la Beauté de se ranger à leurs valeurs. Comme il se doit d’un livret moralisateur, Temps et Désillusion sortiront vainqueurs, laissant le Plaisir ruminer sa défaite. La Beauté terminera sa vie cloîtrée, à la recherche du chemin menant vers Dieu et la rédemption.

Les héros de la soirée sont incontestablement Marc Minkowski et ses Musiciens du Louvre.

Ce qui frappe immédiatement, c’est la vivacité de l’orchestre, mais sans âpreté ni sécheresse aucune. Le chef semble insuffler à la musique une pulsation permanente qui emporte l’auditeur de la première à la dernière note. Le silence profond qui a accueilli la fin de l’œuvre, avant que n’éclatent les applaudissements, est à ce titre révélateur de la concentration inhabituelle du public. Marc Minkowski séduit également par l’attention constante qu’il porte aux chanteurs, il n’accompagne pas seulement, il soutient, répond aux solistes. Mais il n’est pas seul dans cette réussite et c’est avec raison qu’il met en avant ses musiciens lors des saluts. Il faut dire que l’ouvrage leur permet de briller, riche en morceaux mettant en valeur les instruments solistes, tel le très beau duo soprano-hautbois « Rico pino, nel cammino » ou le mini concerto pour orgue introduisant l’air « Un leggiadro giovinetto ».

Les chanteurs, portés par cet équipage de luxe, se sont montrés, dans l’ensemble, convaincants.

A commencer par Nathalie Stutzmann, pourtant annoncée souffrante. La prestation de la chanteuse n’a pas semblé trop affectée par ce refroidissement (2) : on a retrouvé avec beaucoup de plaisir son timbre somptueux de vrai contralto, sa longueur de souffle exemplaire qui lui permet de modeler à merveille les longues phrases ascendantes de l’air « Crede l’uom ch’egli riposi ». Par contre, les ensembles mettent en évidence un volume sonore quelque peu réduit, la voix étant souvent couverte par les autres solistes.

Anna Bonitatibus ne peut compter sur les mêmes atouts que son ennemie, la Désillusion, le timbre étant relativement clair et manquant un peu de chair ; ces limites sont particulièrement notables dans les airs élégiaques du Plaisir, notamment le « Lascia la spina », très bien chanté, en mezza voce, mais auquel manque un rien de séduction vocale pour emporter totalement. Les airs virtuoses la trouvent autrement convaincante : dès l’air « Un pensiero nemico di pace », la mezzo, adoptant une attitude guerrière, attaque crânement les vocalises meurtrières de l’air avec une fougue électrisante, variant à l’envie les reprises. La réussite sera renouvelée pour l’air « Come nembo che fugge col vento ».

La Beauté est plus en retrait. Le timbre est pur, l’interprète sensible, ce qui nous vaut un final touchant. Cependant, la technique ne semble pas suffisamment aguerrie pour ce répertoire ; l’écriture virtuose met rapidement Olga Pasichnyk en difficulté dans les vocalises. Il est à ce titre révélateur que l’air « Un pensiero nemico di pace » destiné à la Beauté se retrouve ici chanté par le Plaisir.

Stefano Ferrari, le Temps, a semblé mal à l’aise tout au long de la soirée, se battant avec une tessiture trop grave pour lui.

Au final, une soirée réjouissante qui nous fait regretter de n’entendre plus souvent Marc Minkowski à Paris, lui qui avait été un temps annoncé comme l’un des chefs permanent de l’Opéra de Paris… Monsieur Joël, si vous nous entendez…



Antoine BRUNETTO


(1) Qui deviendra le « Lascia ch’io pianga » de Rinaldo et se trouvait déjà dans Almira, premier opéra de Haendel.

(2) La chanteuse a cependant tout au long de la soirée beaucoup toussé et a visiblement pris sur elle pour assurer la représentation.


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