OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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BADEN BADEN
30/09/2007
 
Robert Gambill (Tristan) & Nina Stemme (Isolde)
© DR


Richard WAGNER

TRISTAN UND ISOLDE

Opéra en trois actes
Livret du compositeur

Direction musicale : Jiri Belohlávek
Mise en scène : Nikolaus Lehnhoff
Scénographie : Roland Aeschlimann
Costumes : Andrea Schmidt-Futterer
Lumières : Robin Carter

Tristan : Robert Gambill
Isolde : Nina Stemme
Brangäne : Katarina Karnéus
Melot : Stephen Gadd
Kurwenal : Bo Skovhus
Marke : Stephen Milling
Le marin et le berger : Timothy Robinson
Le timonier : Michael Vier

London Philharmonic Orchestra


Production du Festival de Glyndebourne

1/2

Tristan et (surtout) Isolde


Somptueuse affiche pour ce Tristan und Isolde qui frôle le miracle.

Evidemment, celle qui focalise toute l’attention est Nina Stemme, exceptionnelle de bout en bout. Voix ambrée, corsée, aux graves sidérants, aux aigus tantôt percutants (les imprécations saisissantes du premier acte), tantôt planants (le merveilleux « Lust » final), tout lui semble possible. La puissance de sa voix lui permet de passer la fosse sans aucun problème et de chanter la Liebestod intégralement en fond de scène tout en étant parfaitement audible, ce qu’aide une prononciation impeccable, jamais caricaturale (ah, ces chanteurs qui font « exploser » les consonnes finales... !) et qui rend l’auditoire suspendue à ses lèvres.
Le plus, c’est une présence et une prestance sur scène considérables : que de beauté dans cette position assise de profil, les bras en arrière, au premier acte, cette tête qui se détourne de Marke approchant à la fin du II, ces bras qui enveloppent amoureusement Tristan etc. On mesure donc que l’on tient là une artiste absolument exceptionnelle dans ce rôle et plus généralement dans le répertoire germanique (les strasbourgeois présents à ce Tristan ne se remettent toujours pas de son annulation dans Salomé au mois de mai dernier...). Bref, en un mot : inoubliable.

Comment briller face à une telle étoile ?
Certains y arrivent sans peine pourtant. La Brangäne de Katarina Karneus est superbe de timbre et de ligne. Les voix des deux femmes se marient merveilleusement, et jamais on n’a la sensation que l’une prend le pas sur l’autre. Somptueux.
Côté hommes, c’est le Roi Marke de Stephen Milling qui tétanise littéralement la salle dans son récit du II. Les premières phrases quasi chuchotées coupent le souffle, puis c’est la bonté, la douleur rentrée de ce Roi blessé qui bouleversent totalement. Rien de gratuit dans cette incarnation majeure qui fait songer à celle de Karl Riddersbuch dans l’enregistrement studio de Karajan.
Le Kurwenal de Bo Skovhus est lui aussi sensationnel. Timbre chaleureux, voix d’une solidité qui semble à toute épreuve, finesse du chanteur, on est comblé.

Les seconds rôles sont superbes, notamment le marin de Timothy Robinson, fort stylé, et les chœurs remarquables.

Et Tristan me direz-vous ?... Robert Gambill ne démérite pas, mais il lui est difficile d’atteindre le même niveau que ses partenaires. Il est de ces heldentenors wagnériens plus helden que ténors. Voix large, au medium riche et beau mais qui fait sentir l’effort dans l’aigu, parfois serré. Il tient cependant la représentation jusqu’au bout (nous avons tous connu des ténors qui « craquent » au III, si ce n’est dès la fin du II). Le plus ennuyeux est un chant assez monocorde, avec toujours les mêmes sons traînants et plats. Si cela convient aux deux premiers actes (notamment la fin du II, où il est le plus à son avantage), le troisième acte devient, hélas, un tunnel notamment du fait d’un manque cruel de variété dans l’expression. Là où un Jon Vickers (chez le même Karajan notamment) rend cet acte absolument insoutenable, Gambill nous fait ressentir presque de l’ennui... et pourtant, quelle musique !

Il n’est certes pas aidé par une mise en scène qui est à la peine en ce troisième acte. Auparavant pourtant, elle nous a réservé de fort beaux moments avec une direction d’acteurs sobre et relativement statique. Nikolaus Lenhoff a bien compris qu’avec de tels interprètes, il n’était pas utile d’en faire des tonnes. On n’oubliera donc pas l’Isolde véritable torche humaine au premier acte, les gestes tendres des amants, l’arrivée de Marke au II, Isolde qui s’éloigne en ne regardant même pas le combat entre Melot et Tristan, comme si elle savait déjà que tout est fini ou encore l’obscurité progressive de la Liebestod où seule subsiste une lumière bleutée illuminant la poitrine d’Isolde, symbole de l’amour toujours vivant.

Le décor quant à lui est unique. Faisant penser à une spirale, il évoque tantôt des vagues, tantôt une grotte mais il traduit aussi le vertige des amants et leur destin inéluctable (on pense parfois au décor du feuilleton américain des années 1970, Les Voyageurs du temps, mais je vous parle d’un temps que les moins de trente ans ne peuvent pas connaître...). Si cette unicité du décor constitue parfois un handicap, celui-ci est contrebalancé par de superbes éclairages de Robin Carter qui savent remarquablement mettre en valeur cet espace finalement assez réduit.
Les costumes évoquent quant à eux discrètement le Moyen-Âge.
On l’a compris, rien de « bouleversifiant », rien de dérangeant non plus dans cette vision qui a pourtant l’avantage de laisser respirer la musique. Lehnoff pressentait-il qu’elle serait si bien servie ?...

Car si nous avons parlé des chanteurs, comment oublier un orchestre, le London Philharmonic Orchestra, tout à fait somptueux, et une direction extraordinaire de Jiri Belohlavek ?
De l’orchestre, on ne sait que louer le plus, les cordes magnifiques et chaleureuses, les bois capiteux (quelle clarinette basse qui toujours chante et jamais ne « dégueule » comme parfois, quel cor anglais au III !), les cuivres incisifs et ce, jusqu’à ceux présents en coulisse ? Tous les pupitres nous offrent des sonorités merveilleuses dans lesquelles les chanteurs se fondent dans une harmonie confondante. Le récit du Roi Marke est à ce titre exemplaire et fait de toute la fin de l’acte II un des plus beaux moments de la soirée.
Du chef, on appréciera particulièrement la lenteur des tempi, un discours suprêmement habité, qui dès le Prélude saisit d’émotion et qui soutient les chanteurs de telle manière que pas un décalage fosse-plateau n’est à déplorer. Jamais banal, Belohlavek ose par exemple un Prélude du III étonnant, très en demi-teintes et très doux, bien loin des rugissements fauves d’un Bernstein (tout aussi saisissants) faisant sonner à merveille la crudité de la corde de Sol à vide des premiers violons. Mais Belohlavek sait aussi lâcher son orchestre dans des vagues qui emportent l’auditeur loin, très loin dans le miracle wagnérien...

Pierre-Emmanuel LEPHAY


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