C O N C E R T S 
 
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GENEVE
10/02/05
TRISTAN UND ISOLDE

Richard WAGNER (1813-1883)

Action musicale en trois actes
Livret du compositeur

Nouvelle production

Clifton Forbis (Tristan),
Alfred Reiter (Le Roi Marke),
Jeanne-Michèle Charbonnet (Isolde),
Albert Dohmen (Kurwenal),
Mihoko Fujimura (Brangäne),
Philippe Duminy (Melot),
David Sotgiu (Un jeune marin, Un berger),
Nicolas Carré (Un pilote).

Olivier Py (mise en scène et lumières),
Pierre-André Weitz (décors et costumes).

Orchestre de la Suisse Romande
Sylvain Lombard (cor anglais solo)
Armin Jordan, direction
Choeur du Grand-Théâtre de Genève
Ching-Lien Wu, cheffe de choeur

Genève
10*, 13, 16, 19, 22, 25 et 28 février 2005

Se targuant d'être un opéra entièrement consacré à l'amour, Tristan und Isolde reste un poème de destruction et de mort. Une confusion intellectuelle se révèle comme du pain béni pour des metteurs en scène en mal de sensationnel. Ce n'est pas le cas d'Olivier Py. Alors qu'il aurait pu être aussi hermétique que la symbolique wagnérienne -ses interviews tant journalistiques que radiophoniques montrent son attachement profond à cette oeuvre-, il préfère se servir du texte et de la musique du Maître de Weimar pour illustrer son propos. S'ensuit un véritable éloge à l'immobilité. Durant cet opéra où, "dans chaque acte, il y a pendant près d'une heure, une histoire intérieure et ensuite trois minutes d'action, comme une ponctuation brève, violente" selon le metteur en scène François Rochaix, Olivier Py passionne ses spectateurs avec une admirable direction d'acteurs tout au long des langueurs wagnériennes. Naissant du dépouillement subtil dont il revêt sa mise en scène, son action ne quitte pas la musique. Comme dans ces quelques pas comptés d'Isolde vers Brangäne, le long de la coursive d'un bateau qui traverse lentement la scène. Initiant sa course dès l'ouverture, le navire la termine à la fin du premier acte, la poupe découvrant soudain le port où le Roi Marke attend Isolde. Comme un film au ralenti.

Un film noir. En noir et blanc. Le noir d'un décor aveuglé par la froideur de néons blancs tour à tour hublots du navire, torche qu'Isolde "éteindra" de son manteau ou fenêtres du château de Karéol où agonise Tristan. Le noir d'une Isolde triste. Le noir des personnages la côtoyant. Puis le blanc de son amour éclatant pour Tristan. Cet amour qui les emprisonne, comme dans ces chambres que les deux amants traversent au deuxième acte et dont l'unique fenêtre se ferme peu à peu sur leur destinée.

Une lecture scénique rythmée par la baguette inspirée d'Armin Jordan. Incomparable de musicalité, le chef suisse fond sa musique dans l'action. Dosant savamment son orchestre, jamais il ne couvre la voix des chanteurs. Absent de la scène genevoise depuis vingt ans, ce Tristan und Isolde réunit une distribution haut de gamme d'où émergent d'inattendus talents. A commencer par la soprano japonaise Mihoko Fujimura (Brangäne) qui, d'un instrument vocal lumineux, tire des sons d'une sensibilité extrême. Alliant puissance et pertinence musicale, dépassant la simple interprétation, son chant est un modèle de beauté comme dans son "Einsam wachend in der Nacht", où elle offre un moment parmi les plus émouvants de la soirée. Totalement investie, elle galvanise son environnement, inspirant un "Tatest du's wirklich ? Wähnst du das ?" tout en douceur d'un Alfred Reiter (Le Roi Marke) touchant de compassion. Un plateau vocal de luxe qui ne se dément pas avec l'inoubliable Wotan du Ring genevois de 1999-2001, Albert Dohmen (Kurwenal) "le magnifique".

Si Clifton Forbis (Tristan) possède de beaux moyens vocaux, on peut regretter que ses aigus ne soient aussi assurés au début de l'opéra qu'au dernier acte alors que belle et majestueuse, Jeanne-Michèle Charbonnet (Isolde) conduit sa prise de rôle avec un aplomb ahurissant. Sa voix dorée impose une Isolde princière qu'elle défend aussi bien scéniquement que vocalement. Sans excès, sans stridences aucunes, la cantatrice s'empare de son rôle avec crânerie, déjouant tous les pièges de l'harassante partition. Son "Liebestod", débarrassé des mélancolies "pleureuses" si fréquemment entendues, est un modèle d'élévation spirituelle. Même si les aigus de l'Américaine ne peuvent encore rivaliser avec ceux de ses illustres prédécesseurs, il ne serait pas étonnant qu'on la retrouve bientôt aux programmes de Bayreuth.

En résumé, les craintes de certains d'assister à "un Wagner" excessif dans le chef d'Olivier Py ont été balayées. Si quelques mécontents (malotrus ?) lui ont lancé l'une ou l'autre invective, plus par habitude que par réel goût des choses, cette production restera comme un jalon important dans l'histoire du Grand-Théâtre de Genève. Gage du discernement du public, le triomphe réservé aux chanteurs l'a été tout autant pour le hautboïste Sylvain Lombard, admirable interprète du solo de cor anglais du troisième acte.
 
 

Jacques SCHMITT
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