C O N C E R T S
 
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MARSEILLE
13/06/2006
 
© photo libre de droit Christian Dresse
Giacomo PUCCINI (1858-1924)

TURANDOT

Opéra en trois actes
Livret d’Adami et Simoni, d’après la fable de Gozzi

Production de l’Opéra de Marseille
En coproduction avec les Chorégies d’Orange

Mise en scène, Charles Roubaud
Assistant, Bernard Montforte
Décors, Isabelle Partiot
Costumes, Katia Duflot
Lumières, Marc Delamézière

Turandot, Cynthia Makris
Liù, Nicoleta Ardelean
Calaf, Jeong Won Lee
Timur, Ayk Martirossian
Ping, Olivier Heyte
Pang, Jean-François Borras
Pong, Martial Defontaine
Altoum, Charles Burles
Le Mandarin, André Heyboer
Le Prince de Perse, Wilfried Tissot
Une femme, Brigitte Hernandez
Une femme, Florence Laurent

Orchestre et chœur de l’Opéra de Marseille
Chef du chœur, Pierre Iodice

Maîtrise des Bouches-du Rhône
Direction, Samuel Coquard

Direction musicale, Daniel Klajner

Marseille, ce 13 juin 2006

Liù triomphe, Turandot chante

Initialement conçue pour les Chorégies d’Orange, la belle production de Turandot reprise par l’Opéra de Marseille pour couronner sa saison 2005-2006 en porte la trace, en particulier au premier acte, où la foule des choristes et des figurants peine à se déployer dans les limites de la scène municipale . Mais une fois faite cette réserve et en oubliant un mouvement d’ensemble qui rappelle trop la chorégraphie de Maurice Béjart pour le boléro de Ravel, cette version de Turandot est une réussite scénique, vocale et musicale.

Les deux décors sont d’une grande sobriété ; foin d’ornements pittoresques, les hauts murs qui enserrent la scène sont l’image de la forteresse dans laquelle Turandot s’enferme et enferme son peuple. Une passerelle en surplomb sépare le Fils du Ciel de la terre où gémissent les humains. La couleur rouge domine, écho des luxueuses laques impériales et de la sanguinaire névrose de Turandot. Au troisième acte le mur du fond a disparu, et le jour peut remplir l’espace : en nommant son vainqueur la princesse se libère et du même coup libère tous les siens.

Au centre de la scène, une plate-forme circulaire, sorte d’immense disque de pierre gravée, au milieu duquel un escalier peut s’ouvrir, révélant un accès vers d’innommables souterrains. Ce dispositif peut tourner sur lui-même, permettant au trio Ping-Pang-Pong de mener une sorte de danse vibratoire autour du nouveau prétendant. Il est aussi modulable en hauteur et permet ainsi de rendre visible les « chutes » de Turandot qui perd de sa superbe au fur et à mesure que Calaf résout les énigmes.

Les éclairages, très soignés, mettent en valeur les costumes traditionnels des dignitaires, réalisés dans de riches tissus, et souvent on a l’impression de contempler des tableaux saisissants. Mais la direction d’acteurs très fouillée ne permet pas de rester extérieur, et l’accord entre les intentions du metteur en scène et l’engagement des artistes donne au spectacle une force qui va bien au-delà des situations émouvantes par définition.


© photo libre de droit christian Dresse

L’intérêt de cette production, au-delà de la beauté du spectacle, de sa pertinence et de sa cohérence, tient en effet à la crédibilité du plateau dans son ensemble, où même les limites de tel ou tel s’intègrent à la représentation et se transforment en atout. Ainsi l’empereur apparaît-il assez diminué, vocalement ; mais cette faiblesse s’accorde à celle du souverain vieillissant impuissant à résister aux cruels égarements de sa fille. La voix de Cynthia Makris a des stridences désagréables ? Mais n’est-ce pas la voix d’une névrosée en pleine crise d’ hystérie ? D’autant que pour ce qui est du chant, l’interprète est admirable d’intelligence. Sa Turandot n’est pas un monolithe qui vocifère dès son entrée : c’est une femme dont nous voyons et entendons monter l’exaspération, et la voix ne grossit qu’en fonction de cette évolution, composant un personnage dont la vérité psychologique et vocale s’impose. Ajoutons que la tessiture redoutable est affrontée et dominée sans poitriner et sans faiblesse ; dans l’ensemble de la fin du deuxième acte les aigus sont dardés et la voix franchit le mur sonore sans hurler. Enfin une Turandot qui chante ! Et le jeu des regards, les mouvements esquissés et comme réprimés, tout montre la préparation fouillée qui donne un résultat si abouti.

Le Calaf de Jeong Won Lee est d’une belle générosité, et ne donne à aucun moment l’impression d’être aux prises avec une partition exigeante. La Liù de Nicoleta Ardelean, victorieuse à l’applaudimètre, à l’émission impeccable, est juste et touchante, sans la moindre mièvrerie. Ayk Martirosian est un Timur à la fois pitoyable et noble. Olivier Heyte, Jean-François Borras et Martial Defontaine, les trois ministres, ont l’effervescence requise dans leur rôle d’auxiliaires des volontés de Turandot.

Malgré quelques flottements dans les attaques, surtout en première partie, les chœurs et la maîtrise sont de dignes partenaires des solistes.
L’orchestre est placé sous la direction de Daniel Klajner. Hormis quelques ralentissements motivés peut-être par des soucis de coordination entre fosse et plateau, le chef dirige avec précision, alliant énergie et souplesse, et réussissant totalement un équilibre sonore qui ne sacrifie ni l’intensité ni les solistes.

Applaudissements rythmés et ovations ont salué cette belle représentation, qui aura des reprises jusqu’au 23 Juin.


Maurice SALLES

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