C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
......
MONTPELLIER
07/12/04
© Marc Ginot / Opéra National de Montpellier
TURANDOT

Drame lyrique en trois actes et cinq tableaux
Livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni
Musique de Giacomo PUCCINI

Production du Gran Teatro del Liceu, Barcelona
Et de la Asociacion de Amigos de la Opera de Bilbao

Direction musicale : Friedemann Layer
Mise en scène : Nuria Espert

Décors : Ezio Frigerio
Costumes : Franca Squarciapino
Chorégraphie : Marco Berriel
Lumières : Carlos Pineiro d'après Vinico Cheli
Chef des choeurs : Noëlle Geny (Montpellier)
Jacques Blanc (Bordeaux)
Valérie Sainte Agathe (Opera Junior)
Assistant à la direction Musicale : Christophe Talmont
Chef de chant : Muriel Bérard
Assistants à la Mise en scène :
Marco Berriel, Xesca Llabres Grau

Turandot : Anna Shafajinskaja
Calaf : Ian Storey
Liù : Alketa Cela
Timur : Daniel Borowski
Ping : Paul Kong
Pang : Sin Mo Kang
Pong : Philippe Do
Altoum : Guy Gabelle
Un mandarino : Ramaz Chikviladze

Orchestre National de Montpellier
Choeurs de l'Opéra National de Montpellier
Et de l'Opéra National de Bordeaux
Choeurs d'enfants Opéra Junior

Représentation du 7 décembre 2004
à l'Opéra Berlioz du Corum de Montpellier



La version du chef-d'oeuvre posthume de Puccini présentée à l'Opéra Berlioz de Montpellier se caractérise par une fidélité assez grande aux données du livret, du moins jusqu'à un certain point, nous y viendrons. Par de multiples détails décoratifs et par les costumes, la Chine des contes et des estampes se trouve ainsi ressuscitée.

A l'acte I, dans la pénombre crépusculaire, s'élève une immense muraille flanquée, côté cour et côté jardin, de bastions ornementés de motifs sinisants, et au centre de laquelle se dresse une idole géante au pied de laquelle brûle de l'encens. Elle dérobe complètement aux yeux du peuple l'espace sacré du Palais Impérial, où siège le Fils du Ciel. C'est aux pieds de cette muraille que le peuple écoute le héraut, participe à l'actualité et la commente, masse versatile dont l'effervescence est vite calmée par la présence d'uniformes de la garde.

Lorsque l'idole géante s'élève dans les cintres, la muraille s'ouvre, révélant les profondeurs mystérieuses du Palais desquelles surgit le monumental trône surélevé que flanquent deux énormes Dragons et, dans le socle, une porte à deux battants cache une niche, toute dorée comme l'ensemble, où Turandot apparaîtra telle une divinité pour la scène des énigmes.

Mentionnons encore le pavillon de bambou auprès duquel Ping, Pang et Pong déplorent l'évolution de la Chine sous l'emprise de Turandot, au début de l'acte II, et le pavillon de jardin à demi-enfoui sous les frondaisons où Calaf repousse les tentations de la luxure et de la richesse et au pied duquel Liù choisit de se donner la mort .

Le duo d'amour final que Puccini n'a pu écrire se déroule devant un voile bleu nuit qui représente le firmament, scintillant d'étoiles. La Fille du Ciel y renonce à son inhumanité, et, le voile tombé, la muraille disparue, révèle au trône et au peuple le nom de son vainqueur.

C'est ici que Nuria Espert s'écarte de la tradition ; à l'image consacrée du couple Calaf-Turandot destiné à rendre à la Chine la sérénité perdue et le bonheur des anciens jours, à l'amour triomphant qui naît du sacrifice de Liù, elle substitue celle d'une Turandot expirant au pied du trône, sous les yeux de ceux qui furent témoins de sa superbe cruauté, dans les bras d'un Calaf impuissant à la ramener à la vie, et cette transgression par rapport à l'usage donne au tableau une résonance supérieure. Qu'elle choisisse de mourir pour sauvegarder ce qu'il lui reste de gloire, pour ne pas survivre à l'humiliation de la défaite, parce qu'elle est submergée définitivement par sa névrose ou parce qu'enfin devenue humaine, elle ne peut supporter celle qu'elle a été, rien n'est dit, rien n'est exclu et ce geste imprévu confère au personnage un mystère qui ajoute à la fascination.

L'idéal, évidemment, serait d'avoir pour interprète une actrice qui rende sensible cette profondeur inédite. Si, vocalement, Anna Shafajinskaja franchit les écueils honorablement, de plus en plus incisive après un air d'entrée négocié prudemment, il manque à sa Turandot, modestement sonore, le feu couvant sous la glace qui ferait de nous des Calaf, peut-être parce que ni le timbre ni le volume ne sont de ceux qui marquent.

Alketa Cela campe un personnage plus facile à incarner et sa Liù est crédible sur le plan dramatique ; malheureusement, cette chanteuse, entendue naguère en difficulté dans Fiordiligi, nous a semblé ce mardi en particulière méforme : sons dans les joues, engorgés, aigus laborieux, une prestation inquiétante.

Que dire de Ian Storey ? Des aigus de stentor mais par moments donnés à l'arraché, un chant, d'ailleurs, en force avec des zones d'ombre dans le grave font-ils un bon Calaf ?

Rien à reprocher, en revanche, au reste de la distribution. Le trio Ping, Pang, Pong était particulièrement réussi, échappant aux caricatures habituelles : les trois interprètes, vocalement très en forme et probablement favorisés par leur origine asiatique, ont maîtrisé avec grâce l'espace scénique et en particulier la chorégraphie qui leur était confiée. Digne, l'Altoum de Guy Gabelle et pitoyable, comme il convient, le Timur de Daniel Borowski.

Friedemann Layer, plus précis que dynamique, accompagnait les chanteurs avec le souci de ne pas les noyer dans la masse d'un orchestre souple, tout à la fois homogène, brillant et nuancé, et ce contrôle permanent de la fosse assura jusqu'à la fin un juste équilibre. (Il est vrai aussi que l'orchestration de Puccini ne pose que rarement problème au plateau). Les choristes, Montpellier et Bordeaux réunis, et les voix d'enfants d'Opéra Junior de Montpellier contribuaient par leur nombre à forger l'image de ce peuple anonyme, personnage témoin à la sensibilité prompte à s'exciter et capable du pire comme du meilleur, en somme, composé d'individus qui nous ressemblent. Comme souvent à Montpellier leurs interventions étaient musicalement très réussies.

Public chaleureux à la fin pour l'ensemble des protagonistes, avec des ovations pour Shafajinskaja Cela et Storey, mais aucun délire, et vif succès pour le trio. Au total, satisfactions musicales et théâtrales, avec un bémol sur le plan vocal.
 
 

Maurice SALLES
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]