C O N C E R T S
 
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SAINT DENIS
26/06/2007
 
Collegium Vocale
© DR

Claudio MONTEVERDI

Vêpres de la Vierge

 
Dorothée Mields & Katharine Fuge, sopranos
Alexander Schneider, alto
James Gilchrist & Julian Podger, ténors
Furio Zanasi & Adrian Peacock, basses

Collegium Vocale Gent

Concerto Palatino
Attilio Cremonesi, direction

Festival de Saint-Denis, Basilique, mardi 26 juin 2007.

Saint-Marc à Saint-Denis

« Il rentrait chez lui, là-haut vers le brouillard / Elle descendait dans le midi, le midi ». Michel Fugain avait raison : de l’improbable rencontre des Flamands du Collegium Vocale Gent et du Concerto Palatino de Bologne est née une idylle aussi intense que brève.

Nous ne nous attarderons pas sur les aspects historico-musicologiques du concert et sur un orchestre certes opulent, mais réduit par rapport aux demandes du compositeur. Ainsi, hors basse continue, les trois trombones, trois cornets et cinq cordes du Concerto Palatino ne remplissent pas les critères prévus pour le « Quia respexit » du Magnificat, qui requiert deux flûtes traversières, puis deux trombones et enfin deux flûtes à bec. Quoi qu’il en soit, le recueil de Vêpres que Monteverdi composa alors qu’il était en charge à la cour de Mantoue et qu’il dédia en septembre 1610 au pape Paul V, ne se réfère à aucune fête mariale précise, et les conditions de leur exécution, certainement partielle, nous sont restées assez mystérieuses, y compris la question de la présence ou non d’un chœur ou simplement des solistes.

Mais nous avons déclaré ne pas nous appesantir sur de doctes considérations, et il est donc temps de rentrer dans le vif de ce concert-phare du Festival de Saint-Denis.

Saluons d’abord la magie du lieu. Nonobstant la charge historique et émotionnelle qui s’attache à la Basilique royale, l’acoustique s’est avérée extrêmement plaisante. En effet, le vaisseau de pierre est particulièrement flatteur pour ce type de composition, mettant en avant les graves, adoucissant les chœurs tout en les réverbérant sans excès, et conservant étonnamment la dynamique des aigus. Même les passages solistes sont demeurés parfaitement intelligibles. La Chapelle Royale de Versailles en pâlirait d’envie, elle qui n’est à l’aise qu’avec les grandes masses.

Dès le chœur d’entrée, superposé à la toccata introductive des princes de Gonzague, le Concerto Palatino met toute sa verve à varier les coloris et à installer un climat. Les cornettistes et sacqueboutiers jouent avec assurance et entrain, très attentifs à la fusion du timbre des instruments. La Sonata XVIII de Dario Castello permettra d’ailleurs aux premiers violon et cornettiste de briller.

Les solistes sont tous rompus au chant monteverdien, et en particulier à ses redoutables mélismes (nombreuses notes sur une syllabe), gruppi (oscillation entre deux notes contigües), et trilli (répétition rapide de la même note). Le « Pulchra es » de Dorothée Mields et Katherine Fuge est envoûtant de sensualité, déroulant un phrasé d’un naturel confondant tandis que James Gilchrist et Julian Podger parviennent à triompher de la succession de coloratures du « Duo Seraphim » avec les honneurs. L’excellent Furio Zanasi a semblé se tenir volontairement en retrait, comme pour ne pas s’affirmer trop devant ses collègues. Sa modestie n’a pourtant pas voilé son talent, la stabilité de son émission, la sensibilité d’un chant chaleureux. Surtout, les solistes constituent une véritable équipe, qui prend le temps de s’écouter et d’échanger : les voix parlent, se répondent (ah, les admirables effets d’écho du « Audi Cealum » !), se fondent entre elles avec des dissonances troublantes qui préfigurent le fameux duo final du Couronnement de Poppée.

Les mêmes qualités se retrouvent au niveau du chœur, tout autant capable de grandeur (« Domine ad adiuvandum », conclusion du Magnificat) que de recueillement (« Lauda Jerusalem »). L’équilibre des parties est très bien dosé, les attaques millimétrées, les voix homogènes. Les effets de doubles chœurs - développés par Gabrieli grâce aux tribunes de la basilique Saint-Marc de Venise - sont particulièrement bien rendus et la réunion soudaine des deux chœurs à la fin du « Nisi Dominus » créé un bel effet de surprise. En un mot, le Collegium Vocale Gent s’est montré à la hauteur de sa réputation, avec un zeste d’expressivité méridionale en sus.

S’il faut vraiment émettre des réserves, elles concerneront l’orchestre, et tirent peu à conséquence devant le kaléidoscope sonore que nous avons entrevu. Tout d’abord, en dépit d’une remarquable harpiste, le continuo aurait pu s’étoffer d’un traditionnel luth. Ensuite, l’effectif des cordes était trop maigre pour faire face à la charge des cornets et trombones, et les violons se sont désaccordés très rapidement, pour jouer avec rusticité dans l’ « Ave Maria ».  Enfin, comme nous le mentionnions plus haut, point de flûtes.

Toujours est-il qu’Attilio Cremonesi a conduit sa phalange d’une main de maître, laissant pleinement la musique s’épanouir, attentif à laisser cette infime suspension à la fin des phrases qui fait naître le rêve. Pendant l’espace d’un soir, nous nous sommes crus à Venise, et nous avons applaudi de façon enthousiaste mais à regret. Regret que le concert soit déjà fini. Mais si c’était  « Un cadeau de la Providence / Alors pourquoi penser au lendemain ? »


Viet-Linh NGUYEN

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