OPERAS - RECITALS - CONCERTS LYRIQUES
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PARIS
14/02/2008


© Franck Ferville
(Opéra National de Paris)

©
 

Giuseppe Verdi (1813-1901)

Luisa Miller

Opéra en trois actes (1849)

Livret de Salvatore Cammarano d’après le drame Kabale und Liebe de Friedrich Schiller

Mise en scène, Gilbert Deflo
Décors et costumes, William Orlandi
Lumières, Joël Hourbeigt

Rodolfo : Ramon Vargas
Luisa : Ana Maria Martinez
Il Conte di Walter : Ildar Abdrazakov
Federica (Duchessa d'Ostheim) : Maria José Montiel
Wurm : Kwangchul Youn
Miller : Andrzej Dobber
Laura : Elisa Cenni

Orchestre et Choeurs de l'Opéra national de Paris

Direction musicale, Massimo Zanetti

Chef des Choeurs Alessandro Di Stefano

Opéra Bastille, le 14 février 2008

Luisa au pays de Candy


Un décor qui fait penser aux vertes montagnes d’Heidi (1), un encadrement de la scène semblant sertir la scène dans une sorte de boule de neige, où il ne manquerait plus que les flocons et la tour Eiffel, des costumes traditionnels aux couleurs douces… On est ici clairement dans un cadre idyllique et protégé.

Drôle d’endroit pour une intrigue aussi sombre… Luisa Miller, tirée d’une nouvelle de Schiller, est un opéra des passions, jamais loin du mélodrame. Au Tyrol, la jeune et innocente Luisa, fille d’un ancien soldat, est amoureuse d’un jeune homme, Carlo. Or ce Carlo n’est autre que Rodolfo, fils du Comte de Walter, le seigneur local. Le Comte avait cependant d’autres ambitions pour son fils, qu’il souhaitait voir épouser la riche Duchesse d’Ostheim. Avec l’aide du maléfique Wurm, lui aussi amoureux de Luisa, le Comte va tenter de séparer les amants en faisant rédiger à Luisa, sous la contrainte, une lettre d’amour adressée à Wurm.

Le stratagème fonctionne à merveille et Rodolfo, rendu fou de rage par cette trahison, s’empoisonnera après avoir fait boire le même poison à Luisa. Il se rendra compte de sa méprise et de la pureté des sentiments de Luisa, mais trop tard et les amants mourront ensemble devant les deux pères atterrés.

Luisa Miller est une œuvre de transition, juste avant la trilogie de la maturité, Rigoletto / Traviata / Trouvère. Il est à ce titre révélateur que le librettiste, Salvatore Cammarano, soit à la fois l’auteur du livret de Lucia di Lamermoor et de celui d’Il Trovatore. Car si l’on retrouve encore une forme un peu figée héritée du passé (avec l’inaltérable couple aria-cabalette), l’œuvre laisse très largement deviner le Verdi de la maturité, avec des caractères moins monolithiques (le personnage de Miller par exemple), de longues scènes où le compositeur varie les climats.

C’est bien cette dualité qui fait le charme de cet ouvrage rarement représenté, mélangeant l’héritage bel cantiste, la fougue du jeune Verdi, et l’expressivité du Verdi de la maturité… C’est aussi cette dualité qui rend cette œuvre malaisée à distribuer, requerrant des qualités vocales parfois opposées.

En effet, Luisa semble tout d’abord être une héroïne bel cantiste (son premier air « Lo vidi, e’l primo palpito », l’apparente à une Somnambule ou une Linda de Chamonix), mais bien vite l’écriture se fait plus lyrique (le « A brani, a brani, o perfido » demande un certain dramatisme (2)), accompagnant le passage de la jeune fille innocente à la femme victime des hommes.

Le moins que l’on puisse dire c’est que Ana Maria Martinez a les moyens du rôle, techniquement tout est assuré de bout en bout. La chanteuse fait également valoir un timbre frais qui correspond parfaitement à la jeune fille innocente. Pourtant si l’on ne peut qu’admirer la performance, on n’est pas touché. Il manque un je-ne-sais-quoi pour être emporté, peut-être une opulence vocale qui séduirait immédiatement l’oreille ou un engagement scénique transcendant qui rendrait le personnage moins passif.

Rodolfo pose un autre type de problème. Le jeune homme se présente excessif, d’un seul bloc. Son caractère exalté se retrouve dans l’écriture tendue et un chant souvent en force. Une telle arrogance manque à Ramon Vargas, question de volume sonore, de liberté dans les aigus. Pourtant dès que le chant se fait moins héroïque, notamment dans la rêverie du « quando le sere al placido » le chanteur fait valoir toutes ses qualités : timbre séduisant, élégance du phrasé. La scène finale est d’ailleurs émouvante, le ténor compensant une certaine placidité scénique par une grande variété expressive.

On ne pourra pas reprocher un manque de caractère à Andrzej Dobber. Son Miller n’est peut être pas impeccable sur le pur plan vocal (3), mais quel mordant, quel engagement ! C’est le seul à faire réellement vibrer, et ce dès son premier air « Sacra la scelta è d’un consorte » (la cabalette qui suit est moins intéressante). Cette émouvante figure de père prend ici la dimension d’un Rigoletto (4) (le duo final avec sa fille fait d’ailleurs fortement penser à cette dernière œuvre, créée deux ans plus tard).

Les autres interprètes sont mieux que biens, notamment les deux « méchants » - Ildar Abdrazakov et Kwangchul Youn - très efficaces, aux timbres relativement différenciés, rendant justice au beau duo de basses du deuxième acte.

Nous avions laissé volontairement de côté l’aspect le plus agaçant du spectacle… la mise en scène ! Ce qui frappe d’abord c’est sa platitude : Gilbert Deflo abuse du déplacement latéral (gauche droite puis droite gauche…). Les chœurs sont d’un statisme qui appartient à une autre époque et les chanteurs semblent livrés à eux-mêmes.
Tout cela n’aurait rien de rédhibitoire si une telle scénographie ne contribuait à anesthésier toute passion. Par exemple, l’irruption de Rodolfo dans le duo entre Luisa et son père au troisième tableau de l’acte 1 tombe à plat, le metteur en scène laissant Ramon Vargas statique au milieu de la scène tenant nerveusement son chapeau haut de forme dans les mains. On retrouvera cette platitude lors du duo final entre les deux amants : Rodolfo apprenant que Luisa ne l’a pas trompé reste très sagement assis comme si de rien n’était. Le caractère fondamentalement romantique de l’ouvrage appelle, nous semble-t-il, un autre traitement.

Heureusement que l’on retrouve le sens dramatique dans la très belle direction d’orchestre de Massimo Zanetti : vivacité, légèreté de la pâte sonore et aussi un usage intelligent du rubato dans l’accompagnement des chanteurs. Bravo maestro !

Au final, on aura passé une belle soirée, mais un peu trop jolie pour réellement emporter l’enthousiasme… Ce mélodrame au pays de Candy aurait peut-être mérité une recette un peu plus épicée.


Antoine Brunetto

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Notes

(1) Une toile peinte naïve représentant les montagnes en arrière scène, et en avant-scène soit une ébauche de chapelle soit des piliers noirs symbolisant le château du Comte de Walter.

(2) Annonciateur du chant « di slancio » qui culminera avec les deux Leonore (Trouvère et La Force du Destin)
(3) Notamment des passages de registre manquant parfois un peu d’élégance.
(4) Rigoletto qu’ Andrzej Dobber a d’ailleurs chanté à Bastille en février 2006, sans convaincre Placido Carrerotti qui chroniquait ce spectacle.

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