C O N C E R T S 

 
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TOURS
(Grand théâtre)

02/03/2002

La verita in cimento
Antonio Vivaldi

Direction musicale : Jean-Christophe Spinosi
Mise en scène : Christian Gangneron
Décors : Thierry Leproust
Costumes : Claude Masson
Lumières : Marion Hewlett

Production Arcal/Ensemble Matheus

Mamoud : Hervé Lamy (ténor)
Rustena : Marie Kobayashi (mezzo-soprano) (soprano à la création en 1720)
Damira : Sylvia Marini-Vadimova (mezzo-soprano) (contalto à la création)
Roxana : Noriko Urata (soprano)
Selim : Philippe Jaroussky (contre-ténor) (castrat à la création)
Melindo : Robert Expert (contre-ténor) (contralto, rôle travesti à la création)


Actuellement en tournée, l’Arcal (Atelier de recherche et de création lyrique) présente aux publics de différents théâtres français le treizième opéra d’Antonio Vivaldi, La verità in cimento, créé en 1720 au Teatro San Angelo de Venise. Heureuse initiative quand on sait que ces publics ne connaissent souvent de Vivaldi que les concertos des quatre saisons voire le gloria ou quelque petite e,volée violonneuse plus ou moins édulcorée. 

Le livret de Giovanni Palazzi, sur fond de crise familiale, balance en permanence entre le tragique et le comique et renferme de nombreuses pointes d’humour et d’ironie. L’intrigue, compliquée au possible, repose sur une sombre affaire de substitution d’enfants. Le sultan de Cambaja, alias Mamoud, a deux enfants : l’un Melindo, fils de Rustena, femme légitime du sultan, l’autre Selim, fils de la favorite Damira. Melindo, demi-frère de Selim, est donc l’héritier légitime (jusqu’ici, ça va à peu près). Le sixième personnage, Roxane, est l’héritier du sultanat de Joghe, ennemi héréditaire de Cambaja, et son mariage avec Melindo doit assurer la paix entre les deux pays. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes orientaux si notre Mamoud en question ne décidait pas, juste avant le mariage, de révéler une vérité terrible: Melindo est en fait le fils de Damira et Selim, le fils de Rustena. On imagine le froid jeté dans le noyau familial et la grande pagaille qui va s’en suivre. Damira, l’intrigante, qui a eu l’idée de la substitution, met en doute la vérité de Mamoud pour défendre les intérêts de son fils naturel (à savoir Melindo) et favoriser sa montée sur le trône. Rustena, la gourde de l’histoire, gobe tout ce que lui raconte Damira et soutient Melindo qu’elle croit toujours son fils (vous suivez toujours ?) La pauvre Roxane, venue épouser Melindo qu’elle aime, doit désormais s’unir à Selim (en fait, c’est plus compliqué mais ayant pitié de vous, je ne vais pas rentrer dans les détails). La vérité de Mamoud est mise en doute (d’où le titre de l’opéra :la vérité à l’épreuve) et par là même son autorité. La résolution du problème sera apportée par Selim, le véritable personnage seria de l’opéra : par sa grandeur d’âme et son désintérêt, il met fin aux conflits en proposant de partager le pouvoir avec Melindo qui épousera par la même occasion Roxane (ouf ! on a in extremis le lieto fine, en fait ce sont les jeunes qui donnent des leçons de sagesse aux vieux).

En réfléchissant bien (dur dur après tout ça), cette histoire très moderne aurait pu servir de sujet à un épisode de « Dallas » ou faire la première page d’un journal à scandale quelconque avec un gros titre du genre « Du jamais vu chez les Grimaldi ou les Windsor ». Christian Gangneron, dont la mise en scène est le premier atout de cette production, a justement opté pour une transposition de l’intrigue à notre époque. Il élimine le cadre oriental, sans intérêt, et décrit un clan de la jet-society qui pourrait s’apparenter à quelques familles royales que nous connaissons bien (d’ailleurs, je trouve, à bien des égards, qu’il y a de fortes ressemblances avec la production d’Agrippina revue et corrigée par David MacVicar à la Monnaie de Bruxelles.) [à ce sujet, lire l'interview de Malena Ernman qui était Nerone dans cette production d'anthologie.]

Les décors sobres de Thierry Leproust s’accordent parfaitement aux costumes élégants et stylés de Claude Masson. Une projection d’images et de films sur un écran permet d’insister sur les moments clés de l’opéra : foule en liesse des sujets de Mamoud lorsque celui-ci dévoile publiquement sa vérité, détails sur les gros titres de différents journaux suite à la révélation de cette vérité…  Bref, l’idée fonctionne et emporte l’adhésion des spectateurs.

Le deuxième atout de cette Verita in cimento est la direction de Jean-Christophe Spinosi, méticuleuse, soignée, nuancée, rapide. 
Sous sa baguette, chaque instrument s’exprime avec clarté, la musique endiablée de Vivaldi donne incroyablement vie aux différents personnages et fait bouillonner leurs sentiments, du désespoir à la colère en passant par la tendresse. 

Des six personnages présents sur le plateau, c’est surtout le Selim de Philippe Jaroussky, à la voix cristalline, angélique et séduisante, qui domine ainsi que la Roxane de Noriko Urata, soprano léger qui affronte alertement les airs vocalisants de son rôle. Le reste de la distribution marquera moins l’esprit, des deux mezzos un peu décevantes (Sylvia Marini-Vadimova était cependant annoncée souffrante vendredi soir), au ténor routinier en passant par le contre-ténor Robert Expert au timbre nettement moins plaisant que celui de son « demi-frère ». Ce spectacle laissera cependant un excellent souvenir, laissant peut-être espérer dans un proche avenir une Vivaldi renaissance.

Quoiqu’il en soit, le treizième opéra du prêtre roux mériterait, à plus d’un titre, un enregistrement discographique digne de ses qualités. 

Alain Colloc

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