C O N C E R T S 
 
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BERNE
25/09/05
© Opéra de Berne
Gioacchino Rossini (1792-1868)

IL VIAGGIO A REIMS

Dramma giocoso en un acte
Livret de Luigi Balocchi

Nouvelle production 
En coproduction avec l'Opéra d'Oviedo

Pietro Rizzo, direction musicale

Mariame Clément, mise en scène
Julia Hansen, décors et costumes

Marussa Xyni (Madama Cortese),
Corinna Mologni (Contessa di Folleville),
Zoryana Kushpler (Marchesa Melibea),
Iride Martinez (Corinna), 
Robert McPherson (Cavalier Belfiore),
David Alegret (Conte di Libenskof),
Orazio Mori (Barone di Trombonok),
Robin Adams (Don Alvaro),
Nicola Alaimo (Don Profondo),
Josef Wagner (Lord Sidney),
Rúni Brattaberg (Don Prudenzio),
James Elliott (Don Luigino),
Vilislava Hristova (Maddalena),
Manami Takasaka (Delia),
Ulrike Schneider (Modestina),
Assen Toscheff (Zefirino),
Andrzej Poraszka (Antonio).

BERNER SYMPHONIE-ORCHESTER
Choeur de l'Opéra de Berne
Direction Lech-Rudolf Gorywoda

STADTTHEATER BERN
Le 25 septembre 2005

Un désopilant voyage.

Quand, en août 1984, le Festival Rossini de Pesaro ressuscite "Il Viaggio a Reims", la magnificence de cette production va redonner un lustre à un festival qui avait tendance à s'étioler derrière des productions plus ou moins réussies. La distribution éclatante, Samuel Ramey côtoyant Ruggero Raimondi, Leo Nucci Enzo Dara, Katia Ricciarelli Cecilia Gasdia, Edoardo Gimenez Francisco Araiza, la baguette de Claudio Abbado, la direction scénique de Luca Ronconi, restent inoubliables.

Depuis cette mémorable production, et sa reprise deux ans plus tard, "Il Viaggio a Reims" est remonté sur différentes scènes européennes avec des bonheurs divers, les plus réussis restant les reprises de la mise en scène de Ronconi comme La Monnaie de Bruxelles la projette en octobre et novembre prochains. Dès lors que la mise en scène de Ronconi est un classique de cet opéra, la nouvelle production bernoise prend toute son importance. Ceci d'autant plus que le Stadttheater confiait ce travail à Mariame Clément, une jeune metteure en scène française dont on ne sait qu'une (très réussie) première mise en scène de "Gianni Schicchi" et du "Signor Bruschino" à Lausanne l'an dernier (voir nos critiques).


© Opéra de Berne

Pourtant, ce second pari de la jeune femme (elle n'a que 31 ans !) est une totale réussite. S'éloignant de la vue historique de Ronconi qui habille ses personnages à l'époque de l'action (1825), Mariame Clément fait voyager ses personnages au seuil des années soixante. Au lieu d'utiliser la diligence pour amener les gens à Reims au couronnement de Charles X, c'est en...avion qu'ils s'y rendront. Usant d'une imagerie d'une rare verve comique, la metteure en scène convie le public à deux heures d'une drôlerie sans bornes. Les stewardesses en tailleur rose au sourire immuablement gracieux, toutes stylées dans une gestuelle identique expliquant les mesures de sécurité à bord et l'utilisation des gilets de sauvetage au rythme de la musique de Rossini s'avère comme un grand moment de théâtre. L'hilarité du public est à son comble quand il assiste, dans l'étroitesse d'une toilette d'avions aux gestes familiers d'une passagère se recoiffant, se repoudrant, se parfumant et se contorsionnant pour changer ses bas. Deux heures de gags et de subtilités étonnantes de vérité et de maturité comique.

Et comment ne pas se réjouir des costumes de Julia Hansen, la complice des succès de la metteure en scène ? Haute comme trois pommes, cette Madama Cortese en Commandant de bord, et cette Corinna en écolo décontractée et physiothérapeute d'occasion flanquée de sa fille en sosie de Björk dans "Dancers in the Dark" de Lars von Trier sont d'une cocasserie exceptionnelle. Mais si la caractérisation des dix-sept (!) personnages est très bien imaginée, Mariame Clément paraît plus empruntée pour raconter l'intrigue. A sa décharge, parce que cet opéra est principalement une suite d'airs sans récitatifs, le côté narratif de l'intrigue est difficile à cerner.


© Opéra de Berne

Pareille mise en scène aurait pu suffire au bonheur du spectateur, mais la musique et les chanteurs étaient aussi de la fête. Passer en revue les dix-sept solistes serait fastidieux (même pour un site aussi spécialisé que celui-ci !). Mais au sein d'une distribution homogène, le ténor Robert McPherson (Cavalier Belfiore), la voix teintée d'un superbe phrasé mozartien et son compère David Alegret (Conte di Libenskof), d'une intelligence vocale "à-la-Diego Florez" sortent du lot. Pendant que le premier donnait la réplique à la pimpante et agile soprano costaricaine Iride Martinez (Corinna), le second s'enflammait pour l'admirable mezzo de bronze ukrainienne Zoryana Kushpler (Marchesa Melibea) dans un duo d'amour au travers de la porte des toilettes de l'avion. Duo impayable à la fois de bouffonnerie et de belcanto. Autre couple d'une qualité vocale et théâtrale de premier plan: le baryton Robin Adams (Don Alvaro) à la parfaite droiture vocale et à l'occasion anthologique danseur de flamenco jalouse une Corinna Mologni (Contessa di Folleville) en diva capricieuse et chancelante du meilleur effet. Capable de chanter sans défaillir dans n'importe quelle position de son corps, la drôlerie scénique de la talentueuse soprano italienne cache une préparation théâtrale impeccable taillée dans un instrument aux couleurs innombrables. Dirigeant cet avion en folie, la soprano grecque Marussa Xyni (Madama Cortese) fait fi de sa petite taille pour imposer un chant d'autorité. A ses côtés le baryton-basse sicilien Nicola Alaimo (Don Profondo) paraissait plus emprunté dans son jeu de scène que dans sa vocalité. Vocalement souple, agile, gracile, la technique bien assurée, il a toutes les qualités d'une excellente basse bouffe rossinienne. Que ne se laisse-t-il pas aller à l'extrême de son chant ? il n'en serait que plus touchant et drôle. Rien de pareil avec le vieux briscard d'Orazio Mori (Barone di Trombonok) qui connaît toutes les ficelles de son métier. Quant aux rôles mineurs, pour la plupart tenus par des membres de la troupe de l'opéra de Berne, chacun semble s'amuser follement dans cette débauche d'airs.


© Opéra de Berne

Toute cette pétulance vocale et scénique est largement alimentée par l'exubérance orchestrale d'un Berner Symphonie-Orchester très en forme. Au pupitre, le chef italien Pietro Rizzo ne ménage pas sa fougue, parfois débordante, pour relancer avec verve le manège rossinien. Le public a logiquement réservé un triomphe mérité à tous les protagonistes appuyant son ovation au talent de la metteure en scène Mariame Clément dont on ne peut qu'admirer la maestria et la rigueur avec laquelle elle a mené son monde dans ce désopilant voyage.
 
 

Jacques SCHMITT

 
 
 

Prochaines représentations : les 2, 8, 18, 22, 28 et 30 octobre 2005.

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