C O N C E R T S 
 
...
[ Sommaire de la rubrique ] [ Index par genre ]
 
 
BRUXELLES
27/10/05
© Johan Jacobs

Gioacchino ROSSINI (1792-1868)

IL VIAGGO A REIMS

direction musicale : Rani Calderon
mise en scène : Luca Ronconi
collaboration à la mise en scène : Ugo Tessitore
décors : Gae Aulenti
costumes : Giovanna Buzzi
éclairages : Guido Levi
vidéo : Manuela Crivelli
chef des chœurs : Piers Maxim

Corinna : Carmela Remigio
La Marchesa Melibea | Maité Beaumont
La Contessa di Folleville | Désirée Rancatore
Madama Cortese | Alexandrina Pendatchanska
Il Cavaliere Belfiore | Riccardo Botta
Il Conte di Libenskof | Lawrence Brownlee
Lord Sydney | Michele Pertusi
Don Profondo | Giovanni Furlanetto
Il Barone di Trombonok | Bruno Praticò
Don Alvaro | Riccardo Novaro
Don Prudenzio | Shadi Torbey
Don Luigino | Marc Coulon
Delia | Rosa Brandao
Maddalena | Isabelle Everarts de Velp
Modestina | Beata Morawska
Zefirino | John Manning
Gelsomino | Tie Min Wang
Antonio | Pierre Doyen

orchestre & chœurs | Orchestre symphonique et chœurs de la Monnaie
Theater De Spiegel

Théâtre Royal de La Monnaie, 27/10/05

Ce pourrait être un film de Claude Chabrol ou des réminiscences des Charmes discrets de la bourgeoisie de Bunuel; ce pourrait être un roman de Gombrowicz ou la Valse aux adieux de Kundera. Ces bourgeois extravagants, à quelques centimètres à peine de la décadence, réunis dans une maison d'eaux pour aller faire la fête à Charles X, ce tableau singulier pourrait servir de socle à une critique de l'opulence, de la paresse, de l'oisiveté... Rossini bien sûr n'en fit rien, il se contenta de faire vivre cette petite faune peu sympathique à l'heure des réjouissances du couronnement du bon roi Charles en agrémentant leurs journées de quelques contre notes et de tonnes de roulades tout simplement jubilatoires.

Quelle étrange idée de la part de La Monnaie, fleuron de l'expérimentation dramaturgique, de sortir de sa naphtaline la production de Luca Ronconi qui fut créée il y a plus de vingt ans au Festival Rossini de Pesaro pour la re-création de l'oeuvre. Sans doute l'institution bruxelloise a-t-elle fait le pari de mettre tous ses sous dans la distribution et de laisser agir la légendaire production sur les attentes théâtrales du bon public bruxellois. Cette production vieille et laide est un régal: le kitsch est poussé tellement loin que le public se régale; ce qui jadis aurait pu passer pour du conformisme prend aujourd'hui des allures d'avant-garde, cela faisait plus de vingt ans qu'un tutu n'avait pas mis les pieds sur la scène de la Monnaie, le spectateur médusé n'en revient pas et crie au génie; ce qui à Liège aurait passé pour un travail conservateur prend ici un goût d'avant-garde. Et si l'avenir du théâtre n'était plus aux nains qu'on besogne mais aux tutus roses et au carton pâte ? Bientôt, se mettra-t-on à snober des Nozze di Figaro montées dans une cave à charbon ou une Traviata gang-bangée par une bande de Pygmées en rut au profit de lectures kitsch et des costumes d'époque ? Éternel recommencement du théâtre: ô merveille !


Désirée Rancatore © Johan Jacobs

Parlons du casting, justement, qui est en tout point remarquable: voici l'une des oeuvres les plus difficiles à distribuer du répertoire belcantiste dans laquelle on en est encore à chercher une faille ! Tous les protagonistes sont à leur place et affrontent crânement une partition qui ne les ménage pas, jusqu'aux plus petits rôles. Désirée Rancatore chante la Comtesse di Folleville la plus hallucinante de l'histoire, elle traverse l'air du chapeau avec une mine boudeuse ravissante et enchaîne les vocalises et les contre notes. La cadence de l'ensemble concertant lui permettra même d'enchaîner, comme si de rien n'était, des trilles sur contre-fa/contre-sol. Bruno Pratico déguisé en Reichsmarschall Goering promène sa silhouette alerte (!) sur scène et improvise quelques bons mots, ainsi quand Désirée Rancatore se met en un instant de distraction à entonner l'air de la folie de Lucia, celui-ci lui rappelle qu'il s'agit en fait d'une représentation du Viaggo et qu'elle fait fausse route. L'honnête homme ! Carmela Remiggio se tire sans encombre du rôle de Corinna et dresse le portrait d'une improvisatrice espiègle et racée, Michele Pertusi est un Lord Sidney de grand luxe qui se prendra un peu les pieds dans le tapis de vocalises qu'est son air, le jeune Lawrence Brownlee confirme en Libenskof qu'il est l'un des meilleurs rossiniens du moment. Quant à son comparse Riccardo Botta, probablement souffrant, il n'exposera que son magnifique timbre de tenore di grazia, peinant énormément dès que son rôle dépasse le Si. Alexandrina Pendatchanska est ici sous-distribuée en Madame Cortèse qu'elle chante sans la moindre difficulté quant à Riccardo Novaro, il campe un Don Alvaro de premier plan. Reste Maïté Beaumont dont le chant impeccable quoi qu'un peu scolaire n'éveillera pas l'enthousiasme et Giovanni Furlanetto qui trimballe sa roublardise avec bonheur en Don Prudenzio.

Une grande réussite donc qui, en ces murs, prend des allures d'O.V.N.I. - c'est aussi l'un des grands talents de la Monnaie: celui d'être capable de surprendre ses abonnés.

Lionel Rouart
[ Sommaire de la Revue ] [ haut de page ]