C O N C E R T S
 
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PARIS
14/03/2004

© DR
VIVA L'OPERA (COMIQUE)

Musique d'Adam, Auber, Bizet, Boieldieu,
Debussy, Delibes, Gounod, Grétry,
Hahn, Messager, et Offenbach
livret de Benoît Duteurtre

direction musicale : Jean-Luc Tingaud
mise en scène : Robert Fortune
scénographie : Emmanuelle Favre
costumes : Claude Masson
lumières : Philippe Grosperrin
 

Le corniste (baryton) : Michel Trempont
Le fantôme : Bernard Alane
Martin (baryton) : Olivier Lallouette
Manon (soprano) : Marie Devellereau
Anne-Virginie (mezzo) : Agnès Bove
La diva (soprano) : Michèle Lagrange
Jimmy (ténor) : Scott Emerson
Orchestre OstinatO

Paris, Opéra Comique
14 Mars 2004



Viva l'Opéra (Comique) est un noble projet : il s'agit de confier à un auteur talentueux (Benoît Duteurtre) l'écriture d'une pièce censée mettre en lumière les grandeurs de l'institution que fut l'Opéra Comique. Malheureusement, l'échec de ce projet réside dans l'utilisation du passé simple : l'Opéra Comique fut grand, certes, mais que reste-t-il aujourd'hui de cette grandeur ? Pas grand-chose. Jérôme Savary a fait de Favart le terrain de jeu de ses facéties ; celles-ci se déclinent sur le mode de la lourdeur et de la grivoiserie. Il n'y a en effet plus grand monde pour s'amuser de secrétaires auxquelles on pince les fesses. Bref, inutile de faire un nouveau procès à Savary qui - de toute manière - comparaît souvent et s'en tire toujours.

Voilà donc une pièce qui avant tout ne présente pas un vaste intérêt littéraire. On y croise un fantôme, une diva caricaturale, une bimbo et deux homos. Ce qui pourrait être la base d'une bonne comédie de boulevard n'est au fond qu'un prétexte pour enchaîner des airs connus et moins connus. On sourit beaucoup, certes, mais on doit ce plaisir aux chanteurs et à la mise en scène plus qu'au texte. Sa lecture, sans support auditif et visuel, est une aventure que je déconseille aux fans de Duteurtre. Mais parlons un peu de l'intrigue : un fantôme hante l'opéra Comique, il s'y est lié d'amitié avec un corniste (Trempont), aujourd'hui retraité qui s'apprête à participer à une sorte de réunion peur jeunes intellos ayant pour thème l'opéra comique. Nos jeunes intellos sont Martin, parisien légèrement hype (Lalouette), Manon, sa cousine de province arrivée dans la capitale pour entrer à la Star Ac (Devellereau) ; Anne-Thérèse, la prétendante éconduite de Martin (Bove), et pour cause : celui-ci préfère le charme particulier du jeune ténor Jimmy (Emerson). Cerise sur la gâteau, une vieille diva moldovalaque (Lagrange), prof de chant du ténor, s'incruste dans la réunion et assomme les illustres invités de ses souvenirs de scène. Bof ? Oui !

Au fur et à mesure que l'intrigue progresse, des airs d'opéras sont insérés - parfois avec bonheur -, laissant à la discrétion des chanteurs le soin de les interpréter sans trop de casse. On découvre avec joie des pièces rares d'Adam, de Grétry et un extrait franchement rasoir du Devin du Village, unique opéra de Jean-Jacques Rousseau (auquel on saura gré d'avoir privilégié ses talents d'auteur). Des airs plus connus ainsi que des "tubes" sont également au programme, notamment la fameuse Barcarolle des Contes d'Hoffmann (ma voisine, une charmante octogénaire barbue et poitrinaire, m'assura avec un aplomb formidable que la Barcarolle était l'oeuvre de Franz Lehar).

Le casting vocal est pour le moins déséquilibré. D'une part, de talentueux chanteurs d'opéra font ce qu'ils peuvent pour être acteurs (avec succès), d'autre part, des acteurs plutôt moyens font ce qu'ils peuvent pour être chanteurs (avec un peu moins de succès). Olivier Lallouette fait un sympathique homosexuel balladurien qui écoute des disques de cire sur son gramophone, on le trouvera particulièrement à son aise dans le monologue d'entrée de Golaud (accompagné au piano). Agnès Bove, sa prétendante, use d'une voix de crécelle et d'un jeu à la limite de la caricature pour venir à bout de ses interventions. Les moments de silence qu'elle nous offre - avec parcimonie - sont autant de petits havres de paix auxquels on s'accroche avec l'énergie du désespoir. Le ténor Emerson est une énigme ; fantaisiste plus que chanteur, il parvient tout de même à nous sortir un joli petit contre-ré tout coquet, pas très audible, certes, mais c'est l'intention qui compte. Il campe lui aussi un homosexuel très crédible, quoique résolument moins balladurien.

Le trio de tête est donc constitué, dans le désordre, de Michèle Lagrange, de Marie Devellereau et de Michel Trempont. Celui-ci se paie le luxe de chanter, d'entrée de jeu et malgré son grand âge, l'air de Figaro du Barbier de Séville avec un aplomb confondant dans les aigus. Un peu court de souffle (le spectacle est joué cinq fois par semaine - encore une grande idée de Savary ?) il n'en est pas moins impressionnant. "Respect" comme disent nos amis les jeunes. Marie Devellereau, quant à elle, use des qualités qui font son succès : musicalité, jeu désopilant et aigus percutants. Son duo de Lakmé nous fait regretter qu'elle ne s'essaie pas, une fois encore, à l'héroïne au teint hâlé. Enfin, Michèle Lagrange est sans nul doute la star de la soirée, elle campe une diva grotesque, sosie d'Edita Gruberova. La chanteuse joue à fond la carte de l'accent de l'Est et nous offre quelques beaux moments d'humour. Elle se paiera aussi le luxe d'avoir un trou de mémoire dans la Habanera de Carmen, air dont tout le monde connaît les paroles. Elle en sortira hilare.

Le metteur en scène Robert Fortune fait ce qu'il peut d'un tel texte et l'Orchestre Ostinato, constitué de jeunes talents, ne démérite pas.

Encore une fois, avec une telle équipe et dans un tel lieu, il aurait été possible d'offrir au public un meilleur spectacle, mais comme celui-ci s'en va ravi et chantonnant, la critique n'a plus qu'à ravaler sa langue. Dont acte.
 
 
 

Hélène MANTE
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